Thème récurrent des cailloux, des galets, dans ma vie et aussi à la suite de la lecture des textes de Valère Novarina…..
Lisant Novarina (Devant la parole, P.O.L. 1999) : idée magnifique que celui qui écrit "ne cherche pas à dire quelque chose qu'il aurait à dire, mais porte chaque mot à son oreille pour entendre" (p. 30).
"La parole m'a été donnée non pour parler mais pour entendre" (Novarina, p. 31).
Les mots comme cailloux, coquillages que l'on porte à son oreille
pour entendre (cf le caractère exploratoire de l'écriture) La
"parole" de Novarina procèderait-elle des deux, parole mais aussi
écriture ?
Cette impression souvent éprouvée que l'on fore avec les
mots dans le monde et dans le sens, que l'on embarque à bord des mots tels des
vaisseaux qui vous entraînent vers des mers inconnues, flots énormes,
mystérieux et insondables dont il sera donné cependant de connaître la crête.
"Le langage n'est plus un instrument à dire mais un
outil d'apparition. Il déchire le monde devant nous". (N. 57)
Bribes de quoi, fragments d'avant,
brisures de solide, écorchures du rigide, semés, vestiges, signaux, fanaux.
Écrire un poème sur
les galets et les cailloux
Méditer sur ceux que j'ai ramassés, prélevés, au Cape, un
jour je m'en souviens à l'Ile de Ré, à Trebeurden aussi.
Bonheur des promenades : cueillettes des ciottoli,
toutes cueillettes au demeurant, fleurs, insectes, feuilles, écorces, photos….
Ciottoli comme microcosmes, un monde dans le caillou,
le monde de ce qu'il fut, le monde de ce vers quoi il entraîne.
"Le mot scintille, irradie et miroite [...] il sait
qu'il ne contient ni le sens ni la choses, mais qu'il l'appelle, l'évoque, fait
résonner tout l'espace de son manque [...] Projectile, il est lancé pour qu'on
entende comme on sonde un gouffre par
l'écho. (N. 166).
Ciottoli/mots, il semble donc qu'il s'établisse un
jeu de correspondances entre les cailloux et les mots.
Les couches géologiques, les concrétions dans l'un comme
dans l'autre, concrétion de sens concassé, concrétion des gemmes de la pierre,
stratification.
Dans le caillou, le temps, le temps prisonnier comme dans la
carotte de glace prélevée au Pôle Nord, le temps compressé sous la pression
énorme des siècles, le galet arraché, poli.
Le trajet dans le temps du caillou comme le trajet dans le
temps et dans le langage du mot depuis son apparition jusqu'à aujourd'hui en
imaginant – vertige – toutes ses occurrences !
Lire et relire Ponge sur le galet :
Le galet (extraits)
"Terne au
sol, comme le jour est terne par rapport à la nuit, à l'instant même où l'onde
le reprend elle lui donne à luire. Et quoiqu'elle n'agisse pas en profondeur,
et ne pénètre qu'à peine le très fin et très serré agglomérat, la très mince
quoique très active adhérence du liquide provoque à sa surface une modification
sensible. Il semble qu'elle la repolisse, et panse ainsi elle-même les
blessures faites par leurs précédentes amours. Alors, pour un moment,
l'extérieur du galet ressemble à son intérieur : il a sur tout le corps l'œil
de la jeunesse.
[...]
Sorti du
liquide, il sèche aussitôt. C'est-à-dire que malgré les monstrueux efforts
auxquels il a été soumis, la trace liquide ne peut demeurer à sa surface : il
la dissipe sans aucun effort.
Enfin, de jour
en jour plus petit mais toujours sûr de sa forme, aveugle, solide et sec dans
sa profondeur, son caractère est donc de ne pas se laisser confondre mais
plutôt réduire par les eaux. Aussi, lorsque vaincu il est enfin du sable, l'eau
n'y pénètre pas exactement comme à la
poussière. Gardant alors toutes les traces, sauf justement celles du liquide,
qui se borne à pouvoir effacer sur lui celles qu'y font les autres, il laisse à
travers lui passer toute la mer, qui se perd en sa profondeur sans pouvoir en
aucune façon faire avec lui de la boue.
Francis Ponge, Le Galet, in Le parti pris des
choses, in Œuvres complètes I, la Pléiade 1999, p. 55
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