Michaux le note (Emergences-Résurgences, Skira,1972), souvent je l’expérimente, tout fait tête, tout fait silhouette. Dans le dessin, dans le décryptage du non-identifiable dans le monde.
« En attendant, viennent quelques personnages et des têtes, irrégulières, inachevées surtout. Tiens ! Pourquoi pas des plantes, des animaux ? Dans tous les inachèvements, je trouve des têtes. Têtes, rendez-vous des moments, des recherches, des inquiétudes, des désirs, de ce qui fait tout avancer, et tout combine et apprécie….dessin y compris. Tout ce qui est fluide une fois arrêté devient tête. Comme têtes je reconnais toutes les formes imprécises ». (22)
Et un peu plus loin « je ne délibère pas. Jamais de retouches, de correction. Je ne cherche pas à faire ceci ou cela ; je pars au hasard dans la feuille de papier, et ne sais ce qui viendra. Seulement après en avoir fait ces quatre ou cinq à la suite, parfois je m’attends à voir venir par exemple des visages. Il y a des visages dans l’air. De quel genre ? Aucune idée (45). et enfin « papier troublé, visages en sortent, sans savoir ce qu’ils viennent faire là, sans que moi je le sache. Ils se sont exprimés avant moi, rendu d’une impression que je ne reconnais pas, dont je ne saurai jamais si j’en ai été précédemment traversé. Ce sont les plus vrais » (49)
Lisant cela j’évoque mon expérience. Ces dizaines de petites cartes couvertes de graphismes ou de calligraphies en noir et gris seulement, au feutre, à l’encre, au bic, au pinceau, à l’encre de chine et qui soudain appelèrent des textes, certaines d’entre elles, baptisées les silhouettes, car au fond c’était cela des silhouettes et ces textes qui vinrent, aussi inexplicables et inexpliqués que les silhouettes des calligraphies firent « venir » comme dans un bain de révélateur, le souvenir des fours crématoires, des âmes brûlées, comme fumées dans le ciel des camps…. ; c’est sans doute pour cela que j’ai été si sensible au travail de Fanny Aboulker et sa graphie patiente des chiffres, de l’infinité des chiffres pour évoquer des millions d’âmes en cendres.
« ASCHENGLORIE
hinter
deinen erschüttert-verknoteten
Händen am Dreiweg.
GLOIRE DES CENDRES
derrière
tes mains nouées-ébranlées
au trois-chemins. »
(Paul Celan)
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