Certains ne sont que poètes, d’autres n’écrivent que de la
prose, voire même de la fiction….certains recourent alternativement aux deux
modes d’ expression, brouillant les frontières ou non……
C’est bien sûr par la poésie que j’ai abordé Vénus
Khoury-Ghata. Mais sur les conseils de mon amie Marilyn
Hacker qui me l’a fait connaître, je viens de lire un récit de
Vénus : Une maison au bord des larmes (que Marilyn vient d’ailleurs
de traduire en anglais et qui doit paraître incessamment aux États-Unis).
Ce livre m’a profondément touchée et pour de multiples
raisons que je vais tenter d’élucider.
L’histoire, le récit menés ici sont terribles. Histoire
d’une famille libanaise, un père, moine défroqué pour épouser celle qui l’a
soigné lors d’une appendicite, devenu une sorte de militaire, « un
mystique dans un monde de brutes », un père qui ne se remet pas de cette trahison par rapport à son destin
initial et qui est d’une inimaginable rigidité vis-à-vis des siens et tout
particulièrement de son fils. Une mère, frustre, qui ne parle qu’un sabir
difficilement compréhensible et que sa fille Vénus décrit comme une
« analphabète bilingue ». Et puis les enfants, 4 filles dont une
morte en très bas-âge, deuil dont le père ne se console pas, Vénus et ses deux sœurs jumelles. Et puis le
fils, Victor. Figure centrale du livre, quasi christique, martyr de son père,
qui le hait, qui ne supporte pas ce qu’il appelle sa dépravation (idée qui a
pour origine de très banales pollutions nocturnes chez l’adolescent), qui le
rejette, le poursuit de sa vindicte et de sa réprobation et qui à défaut de le
tuer physiquement (il tire plutôt les chats et chiens domestiques du
voisinage), le massacre psychiquement, l’éjecte littéralement du foyer, en fait
un exilé, un paria, un drogué et finalement un fou qui vivra enfermé dix ans
dans un asile jusqu’à ce que la guerre le remette dans la rue. Un frère qui
était, peut-être, un génie, qui avait commencé à écrire et dont on sent que
Vénus porte sur elle la culpabilité de lui avoir en quelque sorte repirs le
plume des mains.
C’est un livre très court, 140 pages, mais riche pourtant de nombreux
personnages très bien campés, très vivants, des "figures" de vieilles
femmes, d’exilée excentrique, de tante généreuse, riche aussi de ses magnifiques
évocations du Liban, de la ville et des villages presque abandonnés du Nord.
C’est un récit qui par sa puissance d’évocation, l’économie de ses moyens et sa
nature même évoque par moments les grands récits mythiques de l’Antiquité, on
songe à Œdipe, à Electre. Un livre aussi qui dessine les prémices de la guerre
civile.
Je pense enfin que c’est un livre qui porte témoignage de
l’art poétique de Vénus Khoury-Ghata et qui donne de nombreuses clés pour mieux
entrer dans l’univers de sa poésie.
©florence trocmé