"Ta joie fragile et l'horreur inapaisée", Lorand Gaspar, poème inédit, revue Europe n° 918, octobre 2005, p. 49
Là-bas
blocs béton pisé
bras
et jambes disloqués
enchevêtrés
chaos dessus sens dessous
non explosion implosion
repliement effondrement des structures
happent les corps les
broient
immense presse polymorphe
enclenchée par un doigt
maléfique
bouleversant à tout
jamais
vies paysages à tout
jamais
vies paysages
radicalement
là où il y avait de la
joie
que soient la mort la
poussière les gravats
là où il y avait des
collines et des arbres
que s’établisse un
fourbis dentelé
de failles de crevasses
de débris
le sol aspire le sol
repousse le sol tremble
il tient
il tient il tient bouge
doucement puis soudain
craque s’ouvre s’enfouit
surgit
respiration monstrueuse
de l’animal de pierre
cloques infâmes
du cloaque des boues et
des laves
Là-bas
la pâte de la boue
gluante comme pâte à pain
sans levain
plâtre à fondre
les masques mortuaires
linceuls visqueux sur les
corps
femmes enfants vieillards
hommes adolescents figés
ô toi la petite fille
mourant
autrefois dans sa gangue
de boue
toujours là
minuscule momie vivante
Enchevêtrement des tôles
et des images
des pierres et des mots
des mondes et des peurs
défilé incessant de la
souffrance
visages du Cachemire
visages d’Amérique
centrale
Visages maliens ou sénégalais
abandonnés au désert
(quarante jours ?)
géographie bouleversée
dérélictions simultanées
imaginer les gaz de
souffrance
montant du globe
solitaire dans l’espace
s’accumulant toxiques
jusqu’au seuil critique
©florence trocmé