On voudrait conserver
cet instant, on ne conserve que son oubli
(Jacques Ancet, une Chute
inédite)
Lisant encore ces Chutes et leur notation méthodique à la fenêtre : splendeur d’un ciel bleu total pâle qui rend presqu’ incongrue la drôle de silhouette de la Tour Eiffel, déliant ses poutrelles sculptant ses vides découpant sa flèche. Puis les arbres mi-nus mi habillés (le froid a fait son apparition ce matin). Rues trouées, percées vers, dans le bleu. Terre, minuscule bille perdue dans l’univers, y pensons-nous ? Non, jamais.
Et la lune. Elle était là hier soir énorme boule orangée posée sur l’horizon nord
[pourquoi toujours cette envie de dire que c’est d’une « beauté à crever » ?]
La lune pâle sur fond bleu l’arbre aux feuilles mourant, percée à nouveau d’une rue dans le bleu, dérision des petites ouatures agglutinées affairées sur le macadam sans bleu.
Deux étranges filins, tirants (d’eau ?) entre une cheminée et un mur. Et parallèle, la fine strie de buée d’un avion très haut. Vide tissé, filé, danse sur le vide.
Petits hommes à faire affairés gris sacs cartables cravates, grise la rue en bas, ciel oublié, qui le regarde, qui goûte déguste boit lampe la lumière inouïe de ce matin ?
[est-ce que parce que je suis en train de lire Jacques
Ancet, ses textes à la fenêtre
exercice d’observation d’autant plus fort que ces notes de peintre
jouxtent de très âpres réflexions sur la société du spectacle
que je « vois » ? ]
Petites poteries rouge brique des cheminées alignées boivent le bleu
Rythme – passage de l’obscurité grise terne de la rue en bas aux trouées de bleu à droite de l’autobus. Le drôle de petit lanterneau rouge bordeaux de saint augustin sa croix d’or éclatante et le bleu à l’infini qui fond dans l’infini qui fonce tout vide ouvert béant vers l’infini. Finitude affairée infini à sidérer.
50 mètres, 100 mètres, au mieux 300 mètres et quelque (bergère, ô…) et au-dessus ? Infime frange.
Rue de rome, arioso contrebasses souvenirs de clarinette
[mais on tourne avant la musique]
gare pont de l’europe trains partance départ entrecroisés sapins avions points brillants chaque détail sculpté tiré de ses limbes par la lumière.
Je cherche la lumière vers le haut l’échappée lumineuse au-dessus des toits dans les fentes urbaines. Pas un couvercle ce matin. Boire le bleu. Le Florence le Venezia et l’Atac. Chiffres noms mots inépuisables réserves. Et le bleu.
Je pense à Vian Chambaz B. Noël Parvis poétiques
Cimetière de clichy lune encore et arbres fauve jaunes rouges rue clignancourt percée vers le bas cette fois sur la droite, nous sommes à flanc de butte.
9h30 arrivée. Ingrid Bettencourt sur la mairie du XVIIIe.
Un étrange personnage dans le café sorte de mephisto
crâne rasé deux petites touffes oblongues de cheveux crépus frisés en guise de
cornes barbiche assortie pointue.
Elle, belle
Lisant encore : « pour ma part, plus je vais, plus je lâche ces bouées. Ou plutôt non. Dans Obéissance au vent, c’était déjà fait. Aujourd’hui je les lâche autrement. Dans le cadre rigoureux mais relativement simple d’une suite calculée de longues laisses de vers comptés, je laisse libre cours au surgissement imprévisible de ce qui me traverse. J’écris dans l’oubli systématique de ce qui précède et de ce qui va suivre »
L’expérience du monde est cela aussi. Cette extraordinaire porosité du corps via ses sensations perceptions sur bruit de fond de la mémoire (mémoire de l’eau) qui nous rend perméable à la surabondance de la vie sa prolixité sa prolifération. Que singe calque détruit la profusion du monde marchand.
« A travers le temps musical nous jouons notre temps pour que nous en jouissions sans en mourir » (Michel Imberty, cité par Jacques Ancet).
Ramasser des feuilles
des cailloux des fragments
de texte
pluralité-unité des mondes
Intense désir circulant entre méphisto qui a un visage d’ange et elle.
Je quitte Jacques Ancet et ouvre Henri Droguet Avis de passage. Champ du signe, exergue « je n’objecte rien à ce qui me tombe sous les yeux » (Nicolas de Staël)
Lisant Henri Droguet : bonheur d’une juste nomination osmonde calistémons mythes mer choc de l’infini et du détail « la houleuse abondance des mondes »
[L’ai-je fait exprès ?]
« et le primesaut stupéfiant du plaisir » (11)
Impossible d’ignorer le paysage de l’écriture, le vert
malouin dit émeraude est partout. Et le vent. « Un m3 d’urgent définitif
nuage » « les mondes font silence » et « ta sursitaire
cendre est promesse ». D’Ancet à Droguet, tant de retrouvailles.
« L’abominable douceur quelquefois du bleu
[L’as-tu fait exprès ?]
Elle la femme de méphisto a soudain des larmes plein les yeux [je pense à toi loin ailleurs] à qui me fait-elle penser elle est belle une actrice américaine peut-être ce n’est pas la fille du père noël c’est la femme de méphisto.
Extraordinaire don : donner à voir le vent. Henri
Droguet, l’homme aux mots de vent ?
« la poudre et les os des
anciens/nous les tenons au profond de nos caves/et nous voilà dans le bleu pur
et simple » (24)
[L’ai-je fait exprès ?] [L’as-tu fait exprès ?]
Elle va faire pipi et méphisto baille il a un gant à la main droite
Art descriptif puissant de HD rarement vu/lu la mer et le
vent ainsi mais jamais ou presque jamais le poème ne tombe à plat comme dans
tant de tentatives d’épuisement (de
l’inépuisable).
Il allie l’art du miniaturiste et le souffle de l’épopée.
Méphisto et elle écho de ce qui aurait pu/dû être
maintenant
L’ange méphisto
est parti vraiment drôle de dos je ris seule et rencontre le regard triste
d’Ingrid sur la mairie.
Travail sonore la musique est sous-jacente « [...] la corneille/croque-charogne grince et craille/clique ses aciers bleus met bas/ jette hors sa ventrée noire (33)
[what is "béhémot"]
Parfois un fragment de chanson enfantine de comptine la dérision au coin des vers et des formules qui claquent comme un coup de vent ou de tonnerre : [...]le ciel/expulse tout à coup sa loque aléatoire » (35)
Un homme triste fait des mots croisés, je préfère croiser les mots de Jacques Ancet et d’Henri Droguet.
« (Voilà. C’est fini.)
Comment
désormais se défendre
du froid qui
arrive ? » (HD, 72)
©florence trocmé
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