Lisant Claude Vigée
Claude Vigée aux
USA, où il s'établit pour fuir le nazisme, le Waste Land, le pays vain, dit-il reprenant l'expression
de TS Eliot qu'il traduit :
"J'écrirai ici
mon judan, - la parole qui surgit intacte et nue de
mon présent sur cette terre" (Claude Vigée, La lune
d'hiver, p. 353, cité par Anne
Mounic, La poésie de Claude Vigée, L'Harmattan, 2005, p. 82)
et encore et
surtout :
" On m'a voulu
dès le début ce que je ne suis pas, et malheur à moi si je tardais à m' y
conformer ! J'ai souvent biaisé, louvoyé, mais finalement je n'ai pas joué
votre jeu, je n'ai pas plié pour de bon, je ne me suis pas suicidé pour vous
faire plaisir. J'ai maintenu debout, quoique meurtri, ce moi inassimilable, ce
feu vivant réfractaire aux éteignoirs, ce brasier rebelle aux camisoles de
force familiales, scolaires, sociales, professionnelles, que l'on préparait de
tous côtés pour mon bien personnel. Quelle sollicitude le monde entier ne me
témoigne-t-il pas quand il s'agir de me faire rentrer dans ses rangs, de me
réduire à la commune servitude ! Et bien non, j'ai fait rouage à part, je ne me
suis pas résigné. Je n'ai jamais
fonctionné dans votre usine de morts-vivants, en y mettant le zèle et l'acharnement suicidaires à la besogne dont
toutes les créatures domestiquées sont capables".
(Claude Vigée, La Lune d'hiver, p. 352, cité Anne Mounic, 83)
→ C'est inouï comme
toute parole -et les citations sont omniprésentes par bonheur dans l'essai
d'Anne Mounic-, toutes les citations de Claude Vigée me touchent me concernent
(et quand ce n'est pas moi ce sont "les miens", Marilyn Hacker, Alain
Marc, Angèle Paoli.pour n'en citer que quelques-uns). Quelle force, ici, autour de ces deux expressions clés,
faire rouage à part, ce qui implique bien d'être lié à quelque chose, de n'être
pas dans un comportement autiste, replié, nu et seul mais d'être ailleurs, de
ne pas participer à la grande machinerie à broyer toute personnalité, toute
différence, toute individualité. Cette usine des morts-vivants, oui, cette
seconde expression qui fait mouche dans ce texte de Claude Vigée. On l'entend
presque tourner, grincer, cliqueter, cette usine qui évoque Jérôme Bosch surtout en ces périodes où la consommation
devient une obligation, quels que soient les moyens réels, la pauvreté
incommensurable de certains.
→ "En lisant Claude Vigée", ce n'est pas tout à fait ça puisqu'en réalité je lis l'essai d'Anne Mounic consacré à la poésie de Claude Vigée, moyen que le hasard (qui est sans doute ici plutôt une nécessité) m'a offert pour répondre dans un premier temps aux signaux répétés que cette œuvre m'envoie depuis plusieurs mois.
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