La rencontre. Quelque
chose de très aléatoire, mais d'essentiel. Peut-être que la rencontre est le
seul espoir que nous avons aujourd'hui, la rencontre qui nous fait changer, qui
nous fait avancer, qui nous porte et nous pousse. Sans doute toute rencontre,
avec cet être singulier-là, fait-elle partie de LA rencontre, au sens le plus
large. Ce sont les différents visages que revêt chaque rencontre singulière,
qui serait la rencontre avec quelque chose de vivant, tout simplement. Par
opposition aux furieuses (oui elles sont furieuses, déchaînées, en crue
perpétuelle) forces d'entropie et de mort qui investissent notre monde et
auxquelles il est si difficile d'échapper. Sauf à ne pas se plier à, sauf à ne
pas accepter de, sauf à renoncer à. Et toujours, toujours défaire ce qui a
commencé à se figer, à se gauchir, à se borner, à étouffer ce qui bat, ce qui
pleure, ce qui chuchote, ce qui vibre, ce qui tente de vivre.
Le monde nous entraîne dans un maelström de désirs inutiles, crée sans cesse
l'appétit de nourritures qui sont conçues pour ne surtout pas nous rassasier ;
il nous enchante dans le même temps, avec une infinie perversité, par une
surabondance de richesses, dont certaines ne sont pas matérielles. Comme le dit
Claude Vigée "trop de tout et de tous qui est rien".
Comment ne pas aimer cette richesse inouïe du monde ? Car aux côtés de l'offre surabondante de biens qui excite, qui
rend fou, qui tord l'être dans la concupiscence, il y a aussi la beauté,
celle des livres, de la musique, de l'art, jamais mis à portée comme
aujourd'hui. Comment discerner ce qui nous ouvre, ce qui nous obstrue, ce qui
nous détruit, ce qui est nourriture, ce qui est surcharge, ce qui est poison
?
L'être de chacun est maintenu en perpétuité dans un état d'excitation. De ses
sens, de son corps, de ses désirs. Qui épuise, qui sidère, qui obnubile. Il ne
connaît plus le repos, la distance, l'écart, le doute, le silence. Il est
rempli en permanence, submergé de sons, d'images, d'objets, au-delà de la
saturation. Et le seul moyen de ne pas connaître l'insupportable de cette
situation, c'est de l'entretenir. Se conjuguent alors les puissances
industrielles qui trouvent là les clés de leur expansion et notre propre
appétence à combler le vide qui nous est intolérable. Nous sommes seuls, nous
sommes nus, nous sommes mortels et devant l'horreur de cette situation, que
seuls certains osent affronter en combat singulier par leur art - écriture,
composition musicale, peinture - nous avons comme unique recours fuir, le plus
vite possible, le plus en avant de nous-mêmes possible, en espérant ne pas avoir
le temps de voir, l'heure venue, le mur de la mort sur laquelle nous nous
jetons.
©florence trocmé