L e f l o t o i r

A partir d'un fragment de Jean-Baptiste Para

"de jour en jour les orties gagnent"

(Jean-Baptiste Para, La faim des ombres, Obsidiane, 2006, p. 41)

oui mais sous les orties ils ne viendront pas chercher ce qui reste, ce que tu caches à l'abri de. Quelques pousses entre les pierres, la caillasse. Apporte un peu d'eau et de lumière chaque jour. En secret. 

Nicolas de Staël, compositions

(en visitant l'exposition Nicolas de Staël au Centre Georges Pompidou, le samedi 14 juin 2003.

Nicolas de Staël : Composition, 1950, Tate Gallery
fente noire
ô abysses
gouffre
fente noire
sexe
béant sur
les damiers de la peau
blanche bleutée
emplâtre ciment
grands a-plats
fente irrémédiablement
béance d'effroi beffroi
abyssal
centre de la terre
origine du monde

Nicolas de Staël : Composition, 1959, collection particulière
tôles ardoises
plaques de métal ajointées
carrosserie de peinture
de couleurs
batailles
ou mariages de gris
anthracite fer souris
carbone fumée bitume
gris de titan
coulissants par masses
rapiècements de la toile
du temps
ouverture à gauche
profils ébauchés
échancrure incrustée
d'orange d'orage
pênes serrures sang

Vibrations
"les images de la vie
en masse colorées
à mille, mille vibrations"
Nicolas de Staël, cité sur un mur de l'exposition

Octogone
Pilier octogonal avec vitrines sur les huit faces où sont exposées de très petites toiles
Comment si peu
de tout
couleurs
matière
épaissie
sculpturale
peut-il
dire tant ?

Nicolas de Staël : Parc des Princes 1952, collection particulière
Une très grande toile, fruit d'un soir. Un match de foot en nocturne : cent croquis.
Couleurs à la fois saturées et irradiant de lumière.
Paradoxe de ces couleurs : elles absorbent et diffractent la lumière, en même temps. Est-ce le fait de chaque couleur ? N'est-ce pas plutôt leur assemblage ? Tel vert fermé s'ouvre, irradie, diffuse, au contact du blanc et du bleu qui le touchent. C'est aussi concret que l'effleurement de deux épidermes amoureux.
La composition est fondée sur l'écho des couleurs, ce vert toujours.

Arcs-en ciel de verts
pelouse
infusée
de brume et d'aube
passe
fugitif
le voile bleu
du ciel

Combien de nuances de vert dans cette seule toile ? A l'œil nu au moins dix, mais en analyse colorimétrique, dans doute des milliers ?

Avoir peint ne serait-ce que 3 cm² de cette toile-là suffirait à justifier toute une vie.

Accidents de la matière
(variations sur le Parc des Princes)
à-plats intailles
entailles encoches
coups blessures
biffures ratures
crevasses avalanches
verrues pustules
craquelures éruptions
coulées rayures
 réseaux de rides
balafres cicatrices
dépôts striures
fissures fentes
empreintes gravures
coulures bavures
grumeaux squames
trouées boutures
alvéoles failles
lézardes rainures
griffures
strates feuilletage
infusion diffusion
ouvertures fenêtres
huis pênes
©Florence Trocmé 

Sur des toiles de Nicolas de Staël

Nicolas de Staël : Casse lumière (1946)
galeries
meurtrières vers les abysses
portes béantes
sur gouffres métropolitains
agenouillée
basculant entraînée
par le poids de son buste
inexorablement
vers les profondeurs
balancelle au-dessus du vide

Nicolas de Staël : Composition (1947)
verts
verts de gris et verts de blanc
blancs verts
poutrelles perspectives
ponts jetés sur le vide
en suspens
la verticalité aux abois
diagonales du fou
fonds grouillants
passerelles enjambantes
débouchant sur rien
vide
enchevêtrements
labyrinthes
sauvés par le vert de gris

Nicolas de Staël : Calme (1949)
soudain l'éclaircie
barreaux barrés
champs étalés
raies de lumière
triangles de couleurs
quelques grains de feu
des bleus et des verts
de bonheur
diaphanes intenses
imbibés de lumière tendre
irradiant la douceur
 je viens de naître
pâte en cratères
à explorer
comme les mares
dans les rochers
jadis
microcosmes
ô échelles
cœur de la touche
à la surface de la toile
chemins gravés heurtés
entre deux coulées lisses
 je vais naître
 je viens de naître.

©florence trocmé
(en visitant l'exposition Nicolas de Staël au Centre Georges Pompidou, le samedi 14 juin 2003.