Je te pleure. Qui ?
Toi, mes toi multiples, mes toi intérieurs, Uri, le fils de David Grossman,
chef de tank de Tsahal, tué dans la guerre entre Israël et le Hezbollah, au
Liban, pleuré par son père dans un texte poignant*, texte terrible, qui montre
ce que c’est que la guerre. Pour moi, la seule réalité de la guerre puisqu’il
est vrai je n’en connais pas d’autre, ni le bruit des armes, ni le combat, ni
la mort en face, ni la trouille, ni l’horreur, ni la violence, c’est la
souffrance imaginée de chaque individu dans ce contexte. De quelque côté qu’il
soit, mais plus généralement civil ou sous-fifre que décisionnaire, pas la
souffrance de Olmert ou de Bush que je peine à imaginer mais celle des parents
de Uri Grossman, le soldat, celle des parents des enfants tués par les bombes
israéliennes ou les roquettes du Hezbollah (et je dois avouer que je ne fais
pas de différence, aussi inadmissibles les unes que les autres) ; je te
pleure, qui ? Toi qui n’es pas là, toi qui es loin depuis toujours, toi
qui m’as fait défaut depuis le tout début, ouvrant une faille qui ne se
refermera jamais mais qui est l’outre dans laquelle je recueille l’eau de la
souffrance d’autrui. Je te pleure, qui ? Toi qui souffres, que je ne peux
aider, toi dont je suis obligée de voir la souffrance sans pouvoir y faire quoi
que ce soit. Toi qui m’as quittée il y a quelques mois, sans que nous nous
soyons vraiment dit au revoir et qui reviens souvent au détour d’une rue d’un
visage d’une intonation d’une silhouette d’un rêve toi avec qui je n’ai plus
aucun contact tangible parce que tu n’avais pas de famille et que la seule
trace de toi que j’aie est la trace intérieure que tu m’as laissée. Mes toi d’ici
mais toi d’ailleurs mes toi connus mes toi inconnus mes toi nommés mes toi
anonymes mes toi réels mais toi imaginés, je te pleure.
Le texte de
David Grossman est lisible pendant quelques heures ou jours sur le site du
Monde