Est-on assez sensible au
fait que les choses bavent les unes sur les autres ? Que les lieux
s’imprègnent de ce que nous avons vécu là, que cette musique est infusée de nos
sentiments d’un moment, que certains livres portent entre leurs lignes des mots
qui leur sont étrangers, mots-fantômes du temps de notre lecture, que certaines
odeurs font ressurgir immanquablement cet ascenseur, cette maison, cette
situation, que certaines sonorités, petit avion à hélices dans le ciel bleu,
porteront toujours quelque chose de leur temps premier.
Et ce fait, lié, que l’on
peut refaire le trajet à l’envers. C’est l’œuvre toute entière de Proust.
Partir de l’étrange réminiscence présente dans le présent pour remonter le
cours du passé. Descente délicate, qui demande silence et apnée, tant le fil
ici se perd facilement. Savoir que rejet ou attirance pour un paysage, une
couleur, un parfum, une personne, un prénom ont partie liée avec ce peu
d’étanchéité de nos mondes intérieurs et extérieurs. Pas de barrière
placentaire ici. L’extérieur en permanence pénètre l’intérieur, s’impose,
viole, occupe, annexe, informe et déforme. L’intérieur trie, recycle, rejette
le greffon, s’intoxique, s’engorge (trop de tout), s’étiole (trop de rien), se
laisse envahir, coloniser, s’aliène, se vend, se perd. Quelques ilots
fragmentaires de résistance, minuscules sentinelles, beaucoup de kystes, d’abcès,
d’indurations.
Est-on assez sensible au fait que les choses (du dehors) bavent
sur les choses du dedans ?
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