Ce soir longue
improvisation au piano. Fa # mineur après avoir joué l’accord final du prélude
de même tonalité du clavecin bien tempéré (et quelques heures après, je découvrirai
que la première sonate pour piano de Schumann que j’aime de toujours est en fa
# mineur)
Y a-t-il des tonalités
dans l’écriture ? Et quel est cet accord de l’être avec une
tonalité ? Y a-t-il des tonalités de l’écriture ? Quelque chose de
plus subtil que la distinction majeur / mineur. N’y aurait-il pas plutôt un
accord, au sens d’accord instrumental ? Et pourquoi moi, vais-je assembler ces
mots-là, de façon tellement personnelle (je ne parle pas ici d’originalité) que
les trois phrases que j’écrirais sur la demandeur d’un inspecteur de police
suffiraient à m’identifier aussi certainement que l’empreinte de mon doigt, la
photo de mon iris ou ma graphie ? Mais le niveau de complexité d’une telle
analyse, que l’on peut appeler stylistique, est tel que cette technique
d’identification n’est pas pour demain.
A travailler
l’écriture comme je travaille la sonorité, le toucher, au piano, je me rends
compte qu’il y a bel et bien une notion d’accord. Et de même que l’accordeur
ajuste la quinte, de même l’écrivain écoute, ajuste son « phrasé ».
Chercher l’adéquation entre le mouvement le plus intime de soi et la cadence,
le rythme, le phrasé de l’écriture. Lorsque l’on travaille le piano, on doit
« s’écouter » (ce qui en fait est quasi impossible tout autant que de
se « voir » dans le miroir ). La preuve ? L’enregistrement
toujours étonne, celui de la musique jouée, celui de la voix parlée. Non
reconnue. Travailler l’écriture, c’est aussi écouter, chercher l’accord, le
point exact où l’agencement des mots, des silences, des respirations, les
attractions entre les mots (attractions sonores et sémantiques), les tensions
entre les éléments, leur portée, leur poids, entrent en résonance. Sont justes.
Simplement justes. Sonnent. Disent. Parlent. Juste. Simplement juste.
14 décembre 2006
Que l'agencement des mots parle, certes. Mais aussi qu'il laisse parler, qu'il laisse monter la rumeur, biologique, géologique, sève et lave et bruit de fond. L'accord ne doit pas seulement être juste, il doit résonner, livrer le passage à un son très lointain, qu'il nous rend soudain proche. Et il y a de la violence dans cette soudaineté, cette éruption, cette irruption.
Rédigé par : Pierre Maubé | 17 décembre 2006 à 12h47
Oui Florence, tout à fait d'accord. A ceci je rajouterais le temps: car il faut que l'écriture passe par une forme d'oubli, et que s'éloignant d'elle on puisse prendre un peu de distance, oublier l'émotion initiale, et voir si ce qui reste tient debout un moment plus tard. Enfin bien entendu il faut accepter de s'en remettre à l'autre, à la sagesse comme à l'injustice du lecteur. Penser qu'on écrit pour soi seul me semble une illusion, car la langue est d'abord communication avec un lecteur.
amicalement
Rédigé par : Chan | 18 décembre 2006 à 07h36
Bon, tout cela donne envie de vous entendre, de goûter une telle "improvisation".
Quant à l'écriture, je rejoins le commentaire ci-dessus. Une écriture parle à autrui lorsqu'elle a parlé au préalable à l'auteur. Tout est là, dans le ventre de l'auteur. La question du lecteur vient après. Avant d'être "lisible" pour les autres ; être lisible pour soi.
Rédigé par : Laurent | 22 décembre 2006 à 22h47
Chère Florence,
Il a souvent été dit d'une écriture que nous connaissons bien tous deux qu'elle est parfaitement reconnaissable par sa "petite musique".
Je m'étais interrogé sur cette expression, et sur ce en quoi cet adjectif "petite" donnait à cette "musique" quelque chose d'exemplaire, sinon de grand, que ne lui donnerait pas par ailleurs l'épithète "grande". Je ne parle même pas de l'absence d'épithète. Dire, à propos d'un écrivain, "c'est toujours la même musique", n'est pas particulièrement gratifiant. Remarquez également que cela ne manque pas de panache d'écrire comme Queneau : "Il finit de s'habiller sur l'Opus 136". Mais pourquoi l'Opus 136 ? A mon sens, cela ne signifie pas la même chose si nous avons affaire à Saint-Saens ou à Beethoven. Dans un des deux cas, c'est indéniablement moins "glorieux"!
Rédigé par : Yves | 31 décembre 2006 à 15h55