Ce mot d’impression. Jouent les impressions sur l’œil intérieur, sur la peau de l’autre côté de la peau, sur les eaux du corps, reflets, divagations, navigations. Ce mot d’impression. Ce qui s’imprime, ferme, profond dans la chair comme le fer rouge, sur la chair comme le motif bien encré, stable ou fragile, vite disparu mangé par la lune, cette avaleuse de couleurs. Ce mot d’impression pour ce monde qui danse en soi, visages et mots, regards, quêtes et réponses, attente, écoute, l’autre, le monde. Ce mot d’impression pour ce qui se démultiplie, se fond, leurs visages, leurs mots, leurs présences, absents qui surgissent un moment, penchés derrière l’épaule, pour quelques mots arrivés à l’improviste et les présences d’aujourd’hui, goûtées, ouvertes, offertes, deux mondes en osmose, circulation de flux, d’influx, accords d’instruments, étalonnement. Danse infinie des êtres autour de soi, leur donner le soir un petit lit de papier où les border avec tendresse afin que cette nuit ils dorment bien.
Et soudain, au milieu de ceux-là, les connus, les aimés, les rencontrés, surgissent dans l’effroi les Juifs d’Ukraine, les oubliés de tous, les ensevelis, les fossés commune, les faussés compagnie, trou, bord du trou, trou dans la nuque, poussée, bascule, enchevêtrement, pas toujours morts « ça bouge pendant deux jours une fosse », enfants jetés vivants. Il y a moins de 70 ans, l’empan d’une vie. Savoir que cela continue. Les fosses au bord bourrelet de terre, hommes, femmes, enfants, poussés à coup de trique vers le trou, trou dans la nuque, bascule, mort pas mort, au trou et corps sur corps, mort par mort mourra, morts aux juifs, le soir se frottent les mains cent de moins, sang sur les mains, sans lendemain les juifs, sans trace ceux-là, oubliés fosses, charniers. Un seul homme décidé à ex-humer cadavres à la pelle, à la pelleteuse, les champs ont reverdi, la haine fleurit. C’est une bisannuelle, une vivace, racines traçantes. C’est une bonne affaire, comptez sur elle, ce petit sachet de graines, vous en aurez pour votre argent.
Après ce reportage terrible sur ces Juifs d’Ukraine et ce
prêtre qui sillonne le pays, douze voyages déjà, autant à venir, pour recenser
tous les charniers et recueillir quand il est encore temps les derniers
témoignages, indécence absolue, totale du choix du sujet suivant, l’i-phone d’Apple,
un joujou brillant, chromé, vanté pour ses capacités de communication. Envie de
demander si on peut appeler les morts d’Ukraine avec ce jouet magique. Puis est
venu la mort de Vernant, pourquoi ne pas avoir parlé de lui, l’historien, l’humaniste,
après l’Ukraine. Comment peut-on ne même plus percevoir cette indécence de
vanter un objet de consommation après avoir entendu cela, enfants jetés vivants
dans les fosses où cela bouge pendant deux jours, comment peut-on ?
Une fosse. Un creux. Un vide, une absence, une "disparition".
Abaissement, enfoncement, affaissement.
Une chute.
Une dépression.
Rédigé par : Pierre Maubé | 11 janvier 2007 à 17h44
J'ignore sur quelle chaîne (je vois peu les infos à la télé). Rien d'autre à dire... Silence. Je pense à Celan.
Rédigé par : Laurent | 12 janvier 2007 à 11h32