L e f l o t o i r

La longue résonance

La longue résonance
mer arbre vent
horloge silence
la longue résonance
sons mots
cordes vibrantes
sens du sens échos et retours
la longue traîne
des songes et des mondes
au cœur du monde
cordes vibrantes
harmonies et dissonances.

J’entends vos voix
âmes des instruments
âmes des corps
glottes et tréteaux ouvrant
la voûte palais gorge
cavité dans le bois verni
crypte dans la chair
arceau membrane
pièce infime
pièce à peine
pièce rien sans.

Le soir caisse de résonance
lente expiration des vibrations
phase ou rupture
vibrato.
Et toujours, ostinato,
jamais éteint
mouvement perpétuel basse continue
au fond du couloir
le petit ressassement
appel et aile.

23 juillet 2007

©florence trocmé

Infime d'infime

Débâtir le bâti, exposer le poème au risque [Débâti, s’écroulera].

Avancer dans le taillis des mots, chercher comment s’assemblera à cet instant-là et à celui-là seul, la figure. Dans cet inextricable, cadrer, isoler un infime champ – forme, figure, image, construction projetée –, concentrer l’attention sur  ce petit pan de réalité. Minuscule mais insondable, déniant à l’écriture la capacité d’en excéder la moindre parcelle. Infime mais inépuisable, aussi multiple que le grain de matière et sa danse électronique. Jeter une ligne une seule, dans ce pan, trait-figure, trait seul pour inventer un infime de cet infime.

11 juillet 2007

©florence trocmé, 2007

Tige frêle

Sais-tu, pourrais-tu, sais-tu si tu pourrais, sais-tu si tu pourrais juste avancer, avancer un peu et encore un peu t’appuyant sur cette tige frêle la prolongeant l’inexistante avec ces quelques bribes de coton de mots de feuilles [parfois même mortes], sais-tu si tu peux si tu peux oser encore un millimètre et quand plus de tige la secréter de toi de quelques mots l’allonger pour avancer encore au-dessus du cloaque où grouillent mots morts mondes. Avancer sans vertige sur la tige frêle, au menacé du rompre. Sauras-tu inventer quelque matière nouvelle pour allonger la tige frêle et avancer au risque de la rupture de l’effondre de la bascule pour toujours sans retour [fil n’est pas palindrome]. Pour avancer fabriquer depuis la tige frêle encore de la frêlitude, encore de la tige, brin à brin, horizontal, vertical, ver à soie, secréter ton fil, fil de mots, fils de mots à trier comme lentilles, à arrimer un à un à la tige, au frêle qui bat oscille de ton poids au bord.

©florence trocmé, 2007

Derrière la clôture

Fermer les yeux les ouvrir
Nulle eau ici mais ta rivière
bruits de pneus sur l’asphalte vent dans les arbres derrière la clôture
derrière la clôture profondeur en profondeur monde
dans ce monde l’obscurité
Nasse 
source sous la clôture le siphon
happé avec l’eau du bain
clapet ouvert
clapot mer démontée sous le capot
tendre l’oreille
derrière les mots coulissements bielles taquets
un avion un hélicoptère dans la nuit l’eau se referme
l’onde meurt aux franges
retourner derrière la clôture
dans l’écoute veilleur de nuit guetteur attendre l’improbable boson
lancer les forces
salves groupées vers le collisionneur
chance infime          devoir de
l’attendre derrière le hublot la nasse l’obscur le monde peuplé.
A bras le corps derrière la clôture.

 

©florence trocmé, 2007

Ex ex ex

Exils exodes exclus, errances déplacements dégraissage, nettoyages et regroupements, réfugiés rejetés, camps tentes bâches, exilés exodés, éradiqués errant, regroupés extradés, pris paquets déposés, ailleurs loin nulle part, tête pieds nus, seuls, traqués.

Abandonnés à pas d’eau à trop d’eau, à soif à faim, à chaleur à froid, à nuits à fuites, à balles et gangs, passeurs et marchands, à fric et trafics. Traficotés transportés les éradiqués, trafiqués les exodés, paquets trimballés [à prix d’or, sans cri d’orfraie – silence on tourne, frontière !], chair fraîche à transbahuter, pompes à finances, cotés à bourse du travail, euros pour l’errance, errodollars, exil exode, réfugiés déplacés remembrés, crise sanitaire désastre humanitaire.

Cohortes théories files (dead lines), rejetés reconduits repoussés, emmenés parqués, arrachés, ensemble serrés [tout ce qui reste quand sans nom, sans passé, sans famille, sans amis, sans rien], entassés, de partout repoussés.

Appeler les encombrants au 3475.

©florence trocmé, 2007

quand on reste enfermé on brode

quand on reste enfermé on brode¹

quand on reste enfermé en soi on brode avec des mots
on invente on compose on se raconte on se dit on se parle tout le temps  on se parle pour faire taire le silence, pour masquer le vide, on se parle tout seul, on ne se parle bien que tout seul, le je, le tu, ça valse, du tendre au brutal, pointe de complaisance. Tout seul on se parle, on prend ce qui est là, arrive à toute allure et à toute allure, hop, dans la hotte, volée de mots pour habiller ce qui arrive, mot choppés, mots plaqués, arrimés à l’expérience, pas toujours ad hoc. Quand on est enfermé on brode et on mange du haddock.

 

¹ Patrick Beurard-Valdoye, le narré des Iles Schwitters, 242

Dans la forêt l'errance

Dans la forêt, l’errance, dans la forêt la quête, dans la forêt quête errance, dans la forêt du deuil, marcher à travers les taillis des souvenirs, épaisses fougères, végétations rampantes, eaux vives et mortes, arbres immenses, frémissant de voix, se perdre en mémoire, tourner en rond, ne plus trouver l’issue, dans la forêt perdus, errants en quête des disparus, la femme l’enfant, errants, étrangers et semblables, alourdis du passé, butant, tombant, courant, se relevant, s’enfouissant dans la boue, la terre, dans la forêt errants, dans la forêt en quête, dans la forêt se perdant en cherchant, dans la forêt s’éteignant mourant naissants, perdus invivables dévorés par leurs morts. Arbres et terre, leurs morts tombes, errants invivables perdus en forêt.

©florence trocmé, le 3 novembre 2007, d'après le film La Forêt de Mogari

Mer vent pluie

la mer, la mer, tout près, haute ce soir et le vent et la pluie, mer vent pluie qu’en dire de plus, trio mer vent pluie, sons sourds, rafales, grondements, enchevêtrements de sons [L’oreille peine à les démêler]. Mer vent pluie que peuvent dire les mots de ces mots ressassés vague après vague, rafale après rafale, goutte après goutte, l’épuisé des représentations, la fin des images, le sur-saturé des mots mer vent pluie, pour chacun et pour tous, mer vent pluie, comme reprendre ces mots-là, comme les ranimer [soins intensifs impossibles, ne tiennent pas en place, se dérobent dès que l’on veut les traiter, font le mort] alors quoi faire avec mer vent pluie sinon écouter la mer, écouter le vent, écouter la pluie, ne pas les oublier, ne pas oublier leur existence. Mer – vent – pluie. Menacés & menaces.