On ne pense jamais les choses assez loin,
assez à fond, on ne pense jamais les simples mots, les phrases simples assez
loin, assez à fond. On en fait usage comme d’un torchon pour essuyer un verre
sans même les regarder, les examiner, portent-ils une couleur ou un dessin particuliers.
On voit les choses, en use, on les use, mais ne peut ou ne veut penser,
explorer ce qu’elles sont, ce qu’elles disent. L’afflux sans fin des mots, des
phrases, des choses ! Fonction : détourner de les examiner. Tenter de
penser le plus loin possible, finis mentis, le sens d’un geste, d’un
échange. Passer de l’autre côté de la simple surface, de l’apparence. Apparence
opaque, apparence écran qui masque la profondeur, miroir sans tain, du mauvais
côté de la barrière. Aveuglés par la réflexion, incapables de réflexion. Devant
un mur, glace qui arrête, fige l’image dans le miroir. Elle est vide, elle est
froide, elle est morte. Seul moyen de la revivifier, la stopper net : les mots.
Attraper l’image avec des mots, commencer à l’attaquer avec des mots. La
dé-crire, la dés-imager en l’écrivant. Telle scène, l’ouvrir au-delà de l’image
incrustée pour la faire parler, explorer ce figé de l’image, interroger les
bords de l’image, en nommer les parties, faire le relevé du masqué. Destituer
l’image de son statut d’image, la faire bouger, non comme au cinéma, mais en la
nommant, en l’habillant de mots seuls aptes à la rendre complexe, polysémique,
vivante, vibrante… parlante. Qu’elle ne s’instaure photo mais tende vers le
livre. Pour « livrer » quelques-uns de ses secrets.
Florence trocmé, janvier 2007