Repartir
Après pause nécessaire à l’hygiène mentale, redémarrage général. Le goût
revient, des livres, des contacts avec les uns et les autres, des échanges et
correspondances. Des relevés en tous genres, collectes et merz, photos et mots, phrases et pensées. Et les siens, propres.
L’envie d’écrire ici, d’expérimenter, de donner à lire aussi, puisque c’est le
nouveau chantier ouvert il y a quelques semaines.
Le feu, ses cryptes
Le feu, ses cryptes, portes ouvertes sur le noir, le feu, ses
éboulements, ses consumations, ses milliers de drames ultimes simultanés, le
« petit » feu dans la cheminée et l’impensable feu stellaire, la
violence inouïe des fusions de trous noirs, les énergies que l’esprit est
incapable d’appréhender (chiffres sans sens, chiffres astronomiques). Le feu, théâtre d’ombres, représentation à toutes
les échelles, de l’atome aux galaxies mais aussi le champ social ? ça
brûle, ça s’éboule, ça se remanie, s’étouffe, « tourbillons qui [...]
saboulent le cerveau »
« Tout cest homme icy n’est que du vent qui va, qui vient, qui tourne, qui
retourne, du vent certes, qui s’eslance en tourbillons qui luy saboulent le cerveau, qui l’emportent,
qui le transportent. » [Jean de Sponde, cité par Jean Rousset dans la
préface de son Anthologie de la poésie
baroque française, tome 1, José Corti 1988, p. 7]
du jugement
L’intérêt que l’on attribue (ou plus souvent que l’on dénie) à ce que
l’on écrit ou aux œuvres des contemporains ne semble pas un critère très
pertinent. En tous cas en ce qui concerne le contenu apparent de l’œuvre ou
même la façon dont ce contenu est mis en œuvre. L’ « intérêt » est
sans doute une des valeurs les plus conditionnées par le contexte. Le
contemporain ne peut se décoller du contenu, il a le nez dessus, les mains
dedans. En soi les affaires du monde social exploré par Proust ont-elles un
« intérêt » autre que « local »
→ pensée tâtonnante [comme presque toujours] - transitoire, en chemin sur
l’omniprésente question du sens et de l’œuvre d’art.
Voix
Très belle émission de Contresens
hier soir, Contresens, l’émission de
poésie d’Alain Veinstein (dans Surpris
par la nuit, sur France Culture). Écouté dans le noir, avec le casque….
toujours cette même magie des voix qui passent dans la nuit, voix auxquelles on
est alors complètement perméable, dans une disponibilité absolue, d’autant que
parfois, comme il est tard, la conscience vacille et que les voix seules alors
demeurent, courbes, inflexions, sens suspendu. Écoute,
écoute totale, écoute d’au-delà les mots. Hier soir, comme un concert de voix,
celles d’Eric Pesty, lisant ce très étonnant travail de Clark Coolidge, Polaroïd, celles du lettriste Jacques
Spacagna, celle si prenante de Gherasim Luca [en écho de mes conversations avec
Patrick Beurard-Valdoye, voix entendue et voix en écho, l’autre voix, née d’une
association, d’une réminiscence, d’un souvenir, jeux des voix, réelles dans l'ouïe ou fantômes dans la conscience & la mémoire].
Et puis les voix si différentes de Jean-Pierre Verheggen, chaude, ronde,
joyeuse, celle de Virginie Poitrasson, intelligente, cultivée mais qui laisse
sans doute moins deviner l’émotion, la présence, non pas une voix contrainte,
elle sonne juste mais une voix qui ne serait pas, ou pas encore, entièrement propre, voix de Fabienne Courtade, nue,
la voix de Fabienne Courtade, totalement elle, dans la lecture, dans les
réponses, non pas une voix blanche, il s’en faut de beaucoup, mais une voix qui
a quelque chose à voir avec une voix blanche, une voix blanche avec chair, qui
se tient au bord du vide, tangiblement. Et pour finir, une voix que je ne
connaissais pas encore celle de Jean-Jacques Viton dont j’ai beaucoup aimé le
livre paru récemment chez P.O.L., encore un de ces livres dont je voudrais
rendre compte. Une voix qui dit ce que dit le titre Je voulais m’en aller mais je n’ai pas bougé.
Et quittant l’émission, au bord du sommeil, toutes ces voix soudain devenues
image, lacs de couleurs, comme un théâtre
en un lent glissement de plans, prenant forme et se superposant à mes photos
récentes de feu. Même théâtre d’ombres et de murmures, mêmes enjeux, la
floraison juste avant la mort comme certains arbres, la flamme avant l’effondrement.