Didi Huberman et l’empreinte
Hier
rapatriant dans mon ordinateur le podcast de l’émission « Surpris par la
nuit », je tombe en arrêt devant le titre du livre de Georges Didi-Huberman, sujet de l'émission :
La Ressemblance par contact :
archéologie, anachronisme et modernité de l'empreinte
Je serai un peu déçue par cet entretien, dont le ton m’a
semblé convenu. Dieu sait pourtant que les sujets abordés par Didi-Huberman ont
quelque chose de fascinant : l’image, le temps, l’anachronisme autour
notamment de Walter Benjamin, Aby Warburg et Carl Einstein. A retenir l’expérience
fondatrice pour l’enfant qu’il fut d’une sorte de tension extrême entre beauté
et horreur : il était souvent présent dans l’atelier de son père, peintre
dans la lignée d’un Max Ernst ou d’un Bellmer mais cet atelier abritait aussi
une bibliothèque au contenu terrible : des livres sur la Shoah (et il faut
ici se souvenir que Didi-Huberman a écrit un livre sur les photos des camps, la
représentation de l’horreur), Images malgré tout. Toute une archéologie du désir de
la recherche future.
A ce sujet, il développe l’idée qu’il y a deux sortes de chercheurs, ceux qui
explorent tout d’un champ limité et les autres, auxquels il se rattache,
explorant plutôt par chemins transversaux ou de traverse. Travail dans lequel l’association
joue un grand rôle. Quant à sa méthode, elle rappelle celle de Barthes (et l’extraordinaire
mur de fiches dans l’exposition de Beaubourg de 2003) : fiches, fiches et
fiches, des milliers par sujet, sans idée préconçue puis soudain se fait une
sorte de cristallisation, il étale les fiches, les associe alors qu’elles ne
faisaient au préalable l’objet d’aucun classement, construit des tas, puis des
paquets de paquets et au terme des ces manœuvres, le livre est composé !
Fiches !
[Notes autour de l’exposition Barthes du Centre Pompidou]
[...] de l'extraordinaire matériel de fabrication de l'œuvre : les manuscrits bien sûr qu'il est toujours si émouvant d'examiner, dans le désir où on se trouve de saisir quelque chose de la création en train de se faire mais aussi les carnets si beaux (comme le sont si souvent les carnets d'écrivains ou de peintres), avec un système de notations brèves d'une intelligence suprême dans son aptitude à saisir le maximum du monde avec le minimum de moyens ; quelques lettres et puis les fiches, le monde des fiches de Barthes, un univers en soi, riche de dizaines de milliers d'exemplaires, tous de même format. Bien décrit par Philippe Dagen dans un compte rendu de l'exposition paru dans le journal Le Monde (27.11.2002) : "le dernier mur, celui contre lequel pas et yeux butent [et qui] est couvert d'une installation surprenante : des centaines de fiches manuscrites, prises dans les boîtes où Roland Barthes les classait dans l'ordre alphabétique. Elles étaient sa mémoire, la suite de ses pensées, les éléments de ses livres futurs et d'une chronique personnelle émiettée". Ajoutons qu'elles sont, ces fiches, porteuses de l'écriture magnifique de Barthes, une écriture dont on note l'étonnante stabilité dans le temps, une écriture à l'image de la voix, posée, profonde, présente, une écriture qui semble sortir de la page dans sa lisibilité sans banalité. (Flotoir, mars 2003)
Du Jardin au Boîtier
Plongée – en apnée presque – dans Kchmintmint,
la dernière revue en date d’Ivar Ch’Vavar. Et retrouvailles avec la curieuse
exaltation provoquée par la récente anthologie de la revue antérieure, Le Jardin Ouvrier. Que je pourrais résumer en disant la
force générale du très singulier, qu’il s’agisse de formes ou de langues. Comme
si soudain je comprenais le titre de la revue Le Jardin Ouvrier : ce modeste au cordeau qui pousse là a
saveur générale, parle à tous et parle de tout. Et plonge loin, profond ses
racines (parcelles si petites que le sous-sol est commun). Le picard jamais
entendu et pourtant familier. Un art collectif individuel !
Et puis je retourne au Boîtier de
mélancolie. Et me sens malmenée par les sauts émotifs et conceptuels que me
font faire les photos. Chaque univers cette fois tellement singulier et
inassimilable aux autres. Au point que c’est presque une par une et en cent
jours qu’il faudrait lire ces photos et les textes, parfois limpides, parfois
énigmatiques de Denis Roche.
Ligne de fuite
Écrire, écrire une ligne, écrire une ligne de fuite, écrire une ligne de fuite
vers, écrire une ligne de fuite vers le fond, en fuite toujours, non rebours,
écrire une ligne de fuite en fuite devant les mots, pointe extrême fusant à l’avant
des mots, coupé des mots ouvrant la nuit en avant, fonçant droit vers le point
inaccessible, en fuite éperdue vers le trou, la béance, l’appel irrésistible,
ligne de fuite, tâche aveugle, trou noir, vide à jamais.