Lectures entre elles
Curieux les échos des lectures entre elles, souvent mystérieux. Je lis
« une de ces divinités protectrices qui hantent les bois de mon
texte » (Hélène Cixous, Cigüe,
p. 47) et je vois surgir Peter Handke et la Baie
de personne et Bergounioux et ses étranges totems sculptés. C’est la
question de l’arrière-plan, de l’arrière-monde qui enrichit considérablement la
perception de ce qui advient de nouveau, tout ce jeu des résonances entre passé
et présent, entre le déjà écrit, ailleurs, autrement et le nouvellement écrit.
(14 septembre 2008)
reprendre
Reprendre la plume, le crayon, reprendre les mots à bras le corps, écrire, non pas pour soi, mais parce que ce qui n’est pas écrit trop souvent
n’est comme pas vécu. Pas inscrit. Il s’agit ici de lutter contre l’entropie,
entreprise personnelle mais aussi entreprise de portée plus longue, au-delà de
la petite histoire individuelle, lutter contre l’entropie, cette machine à
broyer qu’est notre temps de plus en plus. Notre temps produit une quantité inimaginable
d’items, articles manufacturés mais aussi productions écrites, images, idées
(le tout souvent dans l’urgence de l’instant et à certains égards c’est très
bien mais il faudrait les adosser plus souvent à une réflexion plus profonde,
plus éloignée de l’immédiat) et cette quantité est tellement indigérable que la
seule solution consiste à détruire ce qui est produit aussi vite ou presque que
cela est produit. Voir par exemple ce qu’on appelle rentrée littéraire, comme
si les écrivains étaient des enfants qui avaient remis leur copie et qui
étaient soumis à un impitoyable concours auprès duquel les concours d’entrée
dans les grandes écoles sont de la rigolade… A peine imprimé, aussitôt pilonné.
Essayer de penser ça à grande échelle, c’est terrifiant. Oser le penser à
l’échelle de l’homme, à peine formaté, fichu à la poubelle…..
Donc essentiel d’écrire, au jour le jour, régulièrement. Noter les idées qui
passent, les bribes de textes qui s’amorcent, les lectures, les rencontres,
laisser une petite trace, tangible, un petit caillot qui peut faire coaguler
quelque chose, autour de lui.
(14 septembre 2008)
Art Brut
visitant le musée d’Art Brut à Lausanne, je ne peux m’empêcher de
ressentir/de penser combien poreuses sont les limites (posées par qui et pour
quoi ?) entre ces œuvres-là, en particulier graphiques, et l’art de
nombreux écrivains que je lis. Et comme ce monde-là semble plus proche, plus
évident, concerne infiniment plus que celui de l’autre visite de ce court
voyage suisse, le Musée de la Réforme à Genève. Calvin si « étranger »,
les artistes bruts si proches, si frères. Ce sentiment que le crayon s’anime en
gouffre derrière les crayonnés, derrière leurs répétitions, que les souvenirs
enfouis s’animent (dessin caché à faire remonter par le passage de la mine, têtes
à la Bernard Buffet au crayola sur papier noir, etc. ). Michaux passe, et
Artaud.
(26 septembre 2008)
Bénézet
Bénézet, celui qui prend contre lui un crâne d’enfant dans un ossuaire et qui le « baise »,
qui l’embrasse malgré, dit-il « l’opprobre environnante » (p. 135). Sans
doute cela, si fort, chez lui, une fréquentation intime, embrassante,
étreignante de la mort, de la finitude. Il embrasse les ensevelis, les
disparus, il leur prête sa voix. Comme dans la la terrible « Suite amère »,
suite à mère, à la suite de la mort de la mère, texte non pas déchiqueté, il
reste cohérent, mais tronçonné, découpé à même les mots, brisé de l’intérieur ;
les lignes naissent mais ne se terminent pas, n’arrivent pas à leur terme,
elles, alors qu’une vie, là, en vient à ce terme. Le féminin et le masculin s’y
mêlent, intriqués étroitement, frontières sans cesse passées de la vie à la
mort, de la vie qui va continuer à la mort qui arrive, le « e »
rejeté à la ligne, elle/lui, mère/fils, nuit/jour, couples homothétiques et
antithétiques, en même temps, en coexistence fondatrice et destructrice.