Alain
Bancquart, collection Inactuelles de Tschann
Reçu d’alain Bancquart une
merveille : un ensemble consacré à la percussion moderne et contemporaine,
au travers d’un portrait du percussionniste Roland Auzet, soit 1 livre, 3 Cd, 1
DVD, le tout édité par Tschann. Je pense que j’en parlerai dans Poezibao et cela pour trois bonnes raisons : 1.
Mon rêve de faire un Muzibao ;
2. Tschann qui prend l’initiative d’une telle publication ; 3. Le côté
exemplaire de cette production qui fait appel à l’audio, à la vidéo, au livre
(bilingue) et qui interroge un demi siècle au moins de musique par percussion
interposée. Cette collection qui voit le jour avec ce premier coffret s’appelle
« Inactuelles ». Elle pourrait servir aussi de modèles, à mon sens, à
des productions autour de la poésie.
Amour grand terrible champ
critique
Tel est le titre de l’œuvre pour
percussion et électronique d’Alain Bancquart donnée ici.
Très fascinant alliage d’une sorte de continuum, une basse continue
électronique, fil sonore, ruban sur lequel, comme sur un chemin de terre ou une
voie d’eau, s’impriment les jeux de la percussion. Je retrouve les pianissimi
extraordinaires déjà admirés dans l’œuvre pour quatuor à cordes entendue à la
Maison de la Radio, Quatuor V (mars
2007). Travail sur le temps, étirement du temps dans un espace-rêve, espace
temps-rêve.
Notes d’écoute :
Frappée de sons, piano (?) quarts de ton, cloches et sonneries horlogères,
vibrations ténues, aiguës, dessinant comme une figure dans l’espace.
Percussions graves, effets de résonance ; une résonance semble tenue en
continu, à la limite de la perception. Effets percussifs électroniques en écho
avec la percussion réelle, matérielle. Antithèse explosion/résonance, le bref
trop vite perdu (mais réitéré) et la résonance de la percussion matérielle. La
basse continue, le fil, la nappe sonore, le substrat qui sous-tend le développement.
Effets de répétition sur le continuo très intéressant. Le tenu (comme un
bourdon), les éclats électroniques et percussifs. Crescendo du continuo,
envahit le champ, menace, obstruction menaçante, passe au premier plan puis
très vite décroît, emportant tout avec soi.
Séquence 3, ce même infra monde, basse continue à peine audible,
« scène » où jouent des visions lointaines, impression très forte de
rêve, fluctuations temporelles et spatiales, le pianissimo en effet, des
figures s’ouvrent et se défont un peu comme les bulles colorées de certains
baromètres. Impression très mystérieuse d’étirement et de lenteur, avec sur
cette trame les incursions percussives, comme des graffitis sonores.
Spatialisation intense de la musique, certains sons semblent très lointains.
Passage à la séquence 4 en fondu enchaîné, quarts de ton, étrangeté, autre
ouverture de l’espace et du temps, coups forts, danse macabre, suscitant en
première vision très étrangement le dépliement intérieur d’une toile de Bosch
(ou plutôt d’une chimère de toile de Bosch composée sans doute de plusieurs
tableaux). Cette musique décachète des mondes fermés. Est-elle en relation avec
ce que Castanet (dans son essai, voir note ci-dessous) appelle l’arrière-monde mémoriel. Sans doute. La
construction est dans la tension du matériau sonore, ce continuum qui entraîne
avec lui toute la pièce. La percussion à la fin renchérit et lutte contre le
continuo, son discontinuo à elle tend vers le continuo, le pique, l’attaque
tout en cherchant l’alliance (corpuscule et onde, une fois encore !)
Percussion(s),
le geste et l’esprit
De quelques notes au fil de la
lecture.
Retenu cette citation de Blanchot (l’auteur de l’essai, Pierre-Albert Castanet
pratique un recours incessant aux citations !) : « L’œuvre
attire celui qui s’y consacre vers le point où elle est l’épreuve de son impossibilité. »
(p. 11, in Roland Auzet, Percussion(s),
Le Geste et l’esprit, livre, 3 CD, 1 DVD, collection « Inactuelles »,
Tschann)
Je notais mes impressions sur le temps en écoutant l’œuvre d’Alain Bancquart
donné dans ce coffret lorsque j’ai découvert cette phrase de lui :
« un temps sans répétition, un temps non pulsé de manière régulière, des
durées autonomes, une absence de hiérarchie entre temps forts et temps faibles… ».
A.B. a écrit un essai qui s’intitule Musique,
habiter le temps ! Je pense à la fois à certaines remarques d’André
Tubeuf dans la pochette du disque Bach/Boulez de David Fray* et à d’autres
remarques, formulées par Sophia Laine, mon professeur de piano, sur la façon
d’aborder certains motifs dans le deuxième prélude de l’opus 11 de Scriabine.
Un temps non régi de façon strict, mathématique mais un temps fluide,
plastique, souple, infiniment naturel.
Noté aussi cette phrase à propos d’une œuvre de Xenakis, Omega, pour percussions et ensemble : « elle possède ce
caractère visionnaire de ritualité profane qui puise ses racines dans
l’arrière-monde mémoriel » (p. 45. Et là c’est tout l’univers d’Auxeméry
qui est convoqué !)
*cette
lenteur, écrit-il à propos des 11’37 de l’allemande de la 4ème partita, n’est
pas un étirement, c’est très exactement un suspense [...] [David Fray] a osé
s’emparer de notre sens du temps…
Fosses
à requins
Et ces fosses à requins,
au large de Maurice, cette danse lente tournante de la cohorte des animaux dans
le ciel de la fosse, ces bleus, ces lenteurs, l’eau, le rêve, un univers pas si
loin de la musique d’Alain Bancquart (documentaire sur Arte, Sauvagement vôtre
(Afrique Du Sud, Ile Maurice, 2008, 43mn) ZDF : au large de l'île Maurice, le
directeur d'une école de plongée et un biologiste marin ont découvert dans les
récifs des fosses profondes où se pressent des bancs de requins d'une densité
inhabituelle)
Je
chante parce que j’ai peur
Ouvrant la plaquette du disque Signs, Games and messages de G. Kurtag,
je lis cet exergue de Dickinson qui me fait immédiatement penser à certains de
mes textes : I sing, as the Boy does by the Burying/Ground – because I am
afraid –