For Bunita
Marcus (Lire, écouter)
Très singulier petit
livre de Guillaume Belhomme (Le Mot et le reste, 2008) sur la pièce de piano For Bunita Marcus de Morton Feldman.
Méditation par tableaux, cinquante en tout, en prenant le temps que prend la
musique (71’33″ dans l’interprétation de Hildegard Kleeb).
Musique à la limite du silence. De très belles intuitions : « pour
écarter l’ennui, le compositeur refuse de recourir aux structures rassurantes
des ritournelles et interroge un temps sans garde-fous, sur les conseils, une
fois encore de Beckett, ″le temps s’est transformé en espace et il n’y aura
plus de temps″. Voici donc la grande rencontre : espace et temps convoqués
ensemble. Bientôt. » (p. 17)
Un beau conseil d’écoute, pour toute musique et singulièrement pour celle-ci :
« préférer toujours l’expérience en solitaire et travailler tant que
possible à la rendre unique à chaque fois » (26). Ce que l’auteur du livre
va s’attacher à faire puisqu’après avoir beaucoup écouté For Bunita Marcus chez lui, il va emporter la musique dans
différents lieux ou sites du monde. Expérimenter cette musique ailleurs, la
confronter à d’autres cadres spatio-temporels. Il mène aussi sa réflexion
autour de deux femmes, l’interprète, Hildegard Kleeb et la dédicataire qui est
compositrice et amie de Feldman, Bunita Marcus.
De Feldman, cette remarque « quand dans la vie nous faisons tout pour
éviter l’anxiété, dans l’art, il nous faut la pourchasser » (cité p. 27)
« Une composition qui n’a l’air de
parler que d’infini quand son véritable propos est l’imminence ».
Imminence de ce qui doit arriver et qui serait toujours neuf : « For
Bunita Marcus clame d’un bout à l’autre de sa partition que l’important est, à
chaque fois, d’être venu s’y perdre » (30). Très belle méditation,
transversale, sur le temps, là ou selon Thoreau, « tout dans notre vie et
notre culture nous emporte de force » (ce matin, sur un autobus, publicité
pour un film, titre : Fast and
Furious !). Alors que « au concret figé et imposant rencontré
partout, le compositeur préfère les silhouettes insaisissables, mais en
mouvement, ″evolving things″ et
autant d’apparitions » (30). Le livre tisse plusieurs fils, ensemble, avec
des « reprises » et en fil d’Ariane celui-là, la répétition dans
maints panneaux de fragments déjà écrits, déjà lus. Les fils : Feldman, l’œuvre,
l’interprétation d’Hildegard Kleeb, Bunita Marcus, les peintres (dont Feldman
fut proche notamment Rothko, Kline, Guston), le temps, le mouvement, le silence.
L’auteur du livre avance lui aussi, en une démarche comme mimétique de celle de
la pièce musicale, et reprend des bribes dispersées pour avancer dans son
projet.
A noter aussi, tout ce qui concerne l’idée de surface. La musique de Feldman
serait selon son ami Brian O’Doherty la seule musique « qui a une surface »
car selon ce dernier « une musique qui a une surface se construit avec du
temps. Une musique qui n’a pas de surface se soumet au temps et devient une
progression rythmique ». Cette notion entraîne de très intéressants
rapprochements avec la surface picturale et singulièrement celle de Rothko. Feldman
disant au demeurant « mes compositions on devrait les appeler toiles
temporelles » (21).Autre référent singulier, souvent invoqué par Guillaume
Belhomme, Beckett.
Guillaume
Belhomme
Morton Feldman/For Bunita
Marcus
Le Mot et le reste, 2008
7 € - sur le site Place des Libraires