Vorrei e non vorrei (Lire, ecouter)
(En lisant la biographie de Jouve de
Béatrice Bonhomme).
Jouve, très perturbé pendant l’adolescence, passe des heures à improviser au
piano1. Pour lui il s’agissait de « soigner le corps organique
de la parole par l’attouchement guérisseur du son » accomplissant ainsi
« l’acte emblématique du souci de la poésie moderne : la
cicatrisation de la blessure du verbe au contact de la matière sonore »
(propos de Michèle Finck, cités par Béatrice Bonhomme, p. 217)
Michèle Finck qui écrit par ailleurs :
Je propose de placer l’ambiguïté oscillatoire, consubstantielle aux rapports
entre poésie et musique, sous le signe d’un air emprunté au Don Giovanni
de Mozart : “Vorrei e non vorrei”. Voici l’hypothèse risquée : le poète
est vis-à- vis de la musique en proie à la tentation conflictuelle d’une
adhésion et d’un retrait, comme Zerlina son double féminin. La formule de
Zerlina “vorrei e non vorrei ” (“je voudrais et ne voudrais pas”, selon
la traduction de Jouve), peut être lue comme le sésame
de l’instabilité inquiète du dialogue entre le poète moderne et le musicien. Le
poète “voudrait et ne voudrait pas” le duo avec le musicien : telle est
l’équation interprétative placée au centre de l’approche comparatiste de la
poétique du son. Le propre de la poésie moderne est d’exiger d’elle-même que
toute adhésion à la musique (“vorrei ”) engage un possible retournement
contre la musique (“non vorrei”). Pas de “vorrei” d’adhésion,
adressé par la poésie à l’art sonore, qui ne soit un “vorrei” critique.
La poétique du “vorrei e non vorrei” est une poétique de l’union dans la
désunion : noeud tensionnel des rapports entre poésie et musique. (Document
poésie et poétique du son en littérature comparée, disponible ici)
1.On raconte aussi que Giacinto Scelsi, au cours d’une
très profonde dépression de plusieurs années, restait assis des jours entiers à
son piano en frappant indéfiniment une seule et même note : « Pendant
un internement en hôpital psychiatrique, il ne joue au piano qu'une seule note
(un la bémol) dont il explore toutes les possibilités sonores avec les
harmoniques provoquées par les vibrations par sympathie. Entre deux
internements, il se rend à Paris et fait éditer par Guy Levis Mano ses recueils
de poésie, et fait la connaissance d'Henri Michaux, avec qui il se lie d'amitié
(notice
Wikipédia)