Très beau récit de Christine Jeanney
(édition numérique, publie.net),
Signes cliniques. Elle décrit
admirablement ces sensations très particulières et que je n’aurais pas aussi
bien identifiées mais que j’ai parfaitement reconnues qui sont celles éprouvées
dans le temps de l’attente la veille au soir et le matin d’une opération. Pour
elle en plus, cancer et ablation d’un sein, ce dont il est peu question
finalement mais plutôt de l’étrange dépersonnalisation qui nous prend dans ces
lieux hospitaliers si peu hospitaliers. C’est très fort, et c’est
remarquablement écrit. Ce n’est pas que le récit d’une expérience, c’est un
livre d’écrivain.
Mais encore une fois ce qui me semble important c’est que Christine Jeanney n’a
pas écrit un énième témoignage sur un moment douloureux, particulier, décisif, elle
a écrit un vrai récit, avec une vraie plume d’écrivain, sachant explorer très
en détail une pelote d’émotions, de ressentis, ce qui donne à ce travail une
dimension universelle (cela aussi qui fait travail d’écrivain, pas une
expérience individuelle, mais une dimension où beaucoup peuvent se
reconnaître). La démarche a quelque chose de proustien dans la façon dont elle
analyse des ressentis très particuliers
au lieu de les laisser au bord de la route comme nous faisons tous avec ce qui
est hors de notre champ habituel. Elle n’a pas « raconté »
l’opération, ce que cela peut faire cette ablation...cela a souvent été dit,
écrit, il n’y a pas forcément d’autres choses à en dire, directement mais en
même temps elle en dit énormément par ce biais, qu’est la
« représentation » par l’écriture de cette attente, de ce tournant
dans une vie sans doute, etc. D’où non pas quelque chose de factuel qui suscite
certes sympathie et empathie mais un texte qui s’ancre dans le lecteur
et qui agrandit, par la reconnaissance de quelque chose qu’on connait mais
qu’on ne savait pas connaître, le for intérieur.
Je prends conscience d’un autre écho, avec Kafka, cet univers blanchi, dénué de
tout affect, impénétrable, cette réalité à laquelle soudain on ne peut, quasi
physiquement, plus ou pas adhérer. Comme si toute notre conscience en
permanence avait, entre autres fonctions, celle d’adhérer un minimum à ce monde
qui nous entoure et comme si un tel état d’attente, de même que certains états
dépressifs, affectaient soudain ce réel en le déréalisant précisément, en le
rendant incompréhensible sous ses redoutables apparences de normalité....
Christine Jeanney
Signes cliniques
éditions publie.net, 5,99 € (téléchargement)