Une étrange superposition
Sur Arte, le concerto de Grieg avec en soliste Elisabeth Leonskaja – visage très beau, impressionnant, émouvant, une sorte d’à nu, de joie grave – et en arrière-plan, insistant, le visage d’Arlette Albert-Birot, peut-être en raison d’une toute petite ressemblance – double étrangeté, d’imaginer Arlette jouant du piano – et de la croire vivante et présente.
Perros parle de la note
Non seulement il en écrit et sans doute il n’écrit presque que ça, mais il en parle.
Il en dit notamment deux choses magnifiques :
Elle est naïve, parce que confiante.
Elle préfère sonner, résonner.
→ Cette naïveté, oui, qu’il ne faut pas craindre. On est à nu, parfois très bête, manifestement inculte lorsqu’on note (puisqu’on note aussi pour « travailler »). (Mais aujourd’hui la puissance d’Internet permet de vérifier ses approximations et de les corriger – ceci est un aveu !!!!)
Cette naïveté qui doit être l’épouvantail des auteurs de livres de ou à thèse.
→ de nouveau l’analogie note et son (deux lettres en commun dans ces mots)
Si elle sonne juste, pour moi en tous cas, je l’entends et le m’accorde à elle.
Elle résonne, je capte cette résonnance, souvent en la notant à mon tour, en la glosant parfois, en y repensant (façon de la faire sonner de nouveau), la ruminant comme ce « je ne travaille pas, je suis travaillé ».
Perros et les noteurs
Pascal, Leopardi, Lichtenberg, Nietzsche, Valéry, Simone Weil.
Je retrouve deux de mes grands « fascinants » : l’auteur du Zibaldone et celui des Cahiers. Valéry, le noteur par excellence.
Lichtenberg et le livre-brouillard
Je ne connais le sens du titre Sudelbücher de Lichtenberg.
Recherche :
1. Lichtenberg n’a jamais employé le mot d’aphorisme, pour désigner son travail d’écriture, dont il parle davantage comme d’un Sudelbuch, « livre brouillard », une allusion aux registres comptables et de gestion.- source Wikipédia)
2. livre-brouillard, main-courante, mémorial (terme ancien). Registres comptables d'emploi facultatif, sur lesquels on note les événements intéressant l'entreprise, dans l'ordre où ils surviennent, en langage naturel, et sans formalisme particulier, donc sans ouvrir de comptes. Servent de brouillon et de mémoire-tampon, permettant l'inscription au Journal, sans blancs ni altérations, comme l'exige la loi.
→ pour une fois que la comptabilité a quelque chose de poétique ! quel terme superbe que ce livre-brouillard, étonnant qu’aucun écrivain français ne s’en soit emparé (en tous cas à ma connaissance)
De la note et de l’aphorisme
Ariane Lüthi développe ensuite très longuement le parallèle entre la note et l’aphorisme et cherche toujours à faire rentrer la note dans un genre littéraire ou à démontrer qu’elle n’appartient à aucun genre, voire qu’elle en constitue un.
La note montre le processus de la pensée, dans son cheminement.
L’aphorisme donne le résultat.
Et Perros : « sous forme de pensée-phrase, le germe du fragment vous vient n’importe où » (cité p. 133)
→ n’importe où, parfois n’importe quand, souvent en raison d’un défaut de la cuirasse, un abaissement des défenses (lesquelles adorent le prêt-à-penser ou l’obsession mentale) : moments de fatigue, de laisser-aller, d’endormissement, d’éveil après le sommeil ou au cours du sommeil...
Perros et l’aphorisme
Perros a beaucoup recherché l’aphorisme, l’a beaucoup pratiqué et là je sens que je m’éloigne et que ma compréhension adhésive ( !) ou adhérente ( !) se retire, se voile, se décolle. J’ai même du mal à comprendre. Toutefois grande admiration quand il écrit:« l’œuf est le plus bel aphorisme qui soit » !
Car ce qui apparaît à propos de l’aphorisme, c’est son côté fermé, clos « l’aphorisme se passe de l’homme » (cité p. 134). Alors que la note témoignent d’une « pensée intuitive, empirique et indépendante, volontiers paradoxale, ouverte à tous les possibles, à tous les combinaisons [j’ajouterais à toutes les associations]. Formée de pensées qui suggèrent des pensées : art exploratoire, créateur [...] qui met en œuvre les tensions du langage et de l’expérience. (Ariane Lüthi, p. 139, exemple même de ces très belles analyses dont je parlais plus haut).
Liquidité et solidification (Perros)
Merveilleux Perros : « ce que je cherche, ce n’est pas la justice de mes pensées, mais la justesse, le tremblement, la solidification de leur "liquidité naturelle" (Pc1, 147, cité 144)
→ ajouter cependant que là où tant solidifient compact, pâteux, pesant, lui solidifie aérien, aéré. On a l’impression qu’il matérialise et donc pérennise, comme d’un trait de crayon, le trajet, le tracé de la flèche.
Et Lüthi, maligne, propose aussi que le lecteur soit incité à reliquéfier ce qui a été cristallisé.
Cioran et ses « petites crises d’épilepsie »
À propos de ses aphorismes, réfutant l’idée qu’ils en soient : « chacun d’eux est la conclusion de toute une page, le point final d’une petite crise d’épilepsie. Je laisse tout tomber et je ne donne que la conclusion » (cité p. 145)
Cixous et les larmes de Saint-Simon
Elle démarre fort, Cixous (Double oubli de l’orang-outang, Galilée, 2010). Sur l’évocation de sa découverte à la BNF d’une étrange ligne dans un manuscrit de Saint Simon, des tout petits dessins censés représenter les larmes de l’auteur, en proie au deuil de sa femme. « je me souviens de la douleur manuscrite de Saint-Simon pleurant terriblement sa femme comme ceci [ici deux lignes de petits dessins, reproduits dans le livre], ligne de larmes, « jet de larmes dessinées » « une ceinture de larmes en file ».
Le carton, l’oubli (Cixoux)
Paradoxe du carton (qui n’est pas le fameux carton de 1996 qui contenait les lettres perdues du père), il n’est « ni oublié ni non oublié ». Il va donc obliger à « repenser le subtil si subtil concept d’oubli ». Le programme du livre, sans doute et de nouveau cette autre réflexion sur le temps perdu, retrouvé, l’oubli, par quoi souvent Cixous fait penser à Proust.
Échelle
paysage de ville nocturne, regardé ce hérissement d’habitation comme une simple couche d’atomes – infime, infimité à l’échelle des astres – et pourtant les lumières, la multitude proliférante, millions de respirations synchronisées, milliards de combinaisons génétiques – infiniment moins encore qu’une couche d’atomes sous le balayage du microscope.