Empreinte du texte (Claude Mouchard)
« Tout au plus avec des souvenirs de phrases comme des trainées, odeur, sons »
→ oui sons, oui odeurs, non phrases, immense regret. Jamais ou si peu de phrases mémorisées comme tant et tant de sons, jamais sortie d’un livre comme de certains concerts, ivre de notes et de sonorités, de fragments musicaux. Infiniment plus fuyants, les mots. Parfois l’empreinte très éphémère d’une écriture donnée qui ferait écrire selon si on prenait le crayon à cet instant. J’aimerais tant une « signature » des phrases, du poème, comme celle laissée par la musique !
Du bleu (Claude Mouchard)
Chez Claude Mouchard, beaucoup de données abstraites, le temps, la pensée, sont dites bleues ou bleutées. Signe peut-être qu’il les voit comme des matérialités. À ce propos, une phrase très frappante et émouvante sur « l’espace-temps meuble » dans lequel la marche fraye un chemin et ce constat que ce plaisir est refusé à jamais à « l’un de ses enfants ». (268). Percée minime d’un drame personnel qui influe sans doute en arrière-plan sur l’écriture. Cette difficulté à se mouvoir qu’elle semble avoir parfois.
Le soi-disant (C. Mouchard)
« Les phrases défaisant alors en elles le soi-disant (si inévitable, si faux, si irréel-cruel) et devenant effectives jusqu’à rejoindre devenir presque des lieux de combustion soudain suffisante. » (269)
La fin de la phrase se dérobe, me demeure énigmatique. Mais rude prise de conscience de la vérité de son début sur le « soi-disant » ! Et l’adjectif effectif, en écho avec les propos de Nicolas Pesquès sur ce que « font » les mots, les phrases, sur ce que « fait » le poème. (« ce que fait chaque œuvre et qu’elle est seule à faire » dit aussi Meschonnic dans le Traité du Rythme, p. 28).
→ Peut-être est-ce parce qu’une œuvre précisément ne « fait » rien qu’elle ne laisse pas de trace, pas d’empreintes. Peut-être que la parole qui fait est inoubliable (ce serait une des implicites des grands livres des religions, Bible, Coran, etc.)
→ à cela toutefois, je vois une autre raison, qui tempère ce jugement. Dans la musique, il y a toujours peu ou prou, répétition ce qui donne loisir aux thèmes de s’engrammer dans la mémoire. Le poème n’est plus répétitif, à de rares exceptions près, il n’y a plus de refrain, de rimes qui furent peut-être autant de « marqueurs » et d’aides pour la mémoire ? D’où une empreinte mémorielle beaucoup plus pâle, moins efficace ?
De l’action du texte (Mouchard)
Du texte de Claude Mouchard, je dirais qu’il (me) fait quelque chose. N’ai-je pas employé déjà le terme de « dérangeant ». Je peux le moduler ce déranger en balayant diverses acceptions proches : mouvoir, pousser hors de ses positions, de ses retranchements, de ses défenses, heurter, choquer, intriguer, faire honte ! Alors oui indéniablement cette écriture fait.
Poèmes ou visions (C. Mouchard)
Statut étrange de certains textes en italique, semblent des poèmes mais pourraient être aussi transcriptions de rêves, de visions, de fantasmes (cf. Fario, n° 9, p. 270-271). Et la page 273, sidérante au vrai sens du mot. Est-ce une vision, est-ce la trace imparfaite d’un de ces raptus intérieurs rarissimes où la réalité devient soudain presqu’insupportable de réalité, de présence non présente ?
–––, diptyque 1
puis toujours dans ce même numéro de Fario, lecture de textes de l’ensemble « Poètes de Czernovitz ». Mais cela je ne peux pas le « gloser ». Juste en dire qu’ils constituent un ensemble impressionnant, qui sera publié en tout dans quatre numéros successifs de Fario, du 7 au 10, sur la terrible histoire de la déportation et de l’assassinat des juifs en Transnistrie.
––– ; (ditpyque 2)
les jadis le savaient, les sans sépulture hantent le monde, les aujourd’hui l’oublient mais nos fondations sont fosses communes, fours et charniers – le désastre engendre le désastre et si le désastre s’habille de rires, de fausses dents, s’il porte l’un de ses masques les plus rutilants, lentement, de l’intérieur, irrémédiablement, il ronge et pourrit – ce qu’on appelle vie, une purulence de vermine ivre & aveugle sur une immense décomposition