Bernard Collin
Hier assez étrange séance au Petit Palais autour de Bernard Collin (Séminaire Pourquoi le poésie, organisé par la Maison des écrivains) dont je tenterai de rendre compte, sans être sûre d’y parvenir. Contraste saisissant entre les tentatives de dialogue, fragmentées, voire éclatées, déstabilisées et déstabilisantes, souvent très drôles et les temps de lecture, comme une seule coulée vive et cohérente, emportant tout sur son passage.
Comme une neige (Sereine Berlottier & Kenzaburô Ôé)
Lecture, toujours, de Attente, Partition de S. Berlottier
« si peu à peu, le silence tombait sur cette scène, comme une neige fine, inaperçue d’abord dévorante plus tard » (80)
→ très belle formulation du travail de l’oubli comme une neige de poussière qui recouvre parfois, bien opportunément, ce qui advint et que la conscience individuelle ou collective préfère ensevelir sous un second linceul.
→ Cette phrase aussi tellement en écho avec ce qui se passe en ce moment-même, si appropriée aux radiations nucléaires. Je viens de lire dans le Monde de ce jeudi 17 mars, supplément consacré à la catastrophe japonaise, un admirable article de Kenzaburô Ôé qui montre comment le Japon petit à petit s’est éloigné des idéaux pacifistes et antinucléaires d’après-guerre. L’écrivain dit qu’il a depuis longtemps le projet, qu’on ne peut s’empêcher de trouver terriblement prémonitoire, de « retracer l’histoire contemporaine du Japon en prenant comme référence trois groupes de personnes : les morts des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, les irradiés de Bikini et les victimes des explosions dans les installations nucléaires [Bikini, populations irradiées dans cet atoll par des essais de bombe à hydrogène]. Il ajoute que l’histoire du Japon est entrée dans une nouvelle phase et que « une fois de plus, nous sommes sous le regard des victimes du nucléaire ». « Les Japonais ne doivent pas penser l’énergie nucléaire en terme de productivité [...] c’est la pire des trahisons de la mémoire des victimes d’Hiroshima ». Il parle aussi de l’ambiguïté du Japon vis-à-vis du nucléaire : « Le souvenir des victimes d’Hiroshima et de Nagasaki nous a empêchés de relativiser le caractère pernicieux des armes nucléaires au nom du réalisme politique. Nous nous y opposons. Et en même temps nous acceptons le réarmement de fait et l’alliance militaire avec les États-Unis. La réside toute l’ambiguïté du Japon contemporain ».
Ce rapprochement, alors que fouillant dans Poezibao à la recherche d’un texte de Sereine Berlottier, je redécouvre qu’elle m’avait proposé et que j’avais publié en novembre 2009 un texte de Tôge Sankichi, extrait des Poèmes de la bombe atomique, traduits du japonais par Ono Masatsugu et Claude Mouchard
Des noms
Ces noms de lieux auparavant inconnus et qui auraient dû le rester qui deviennent de terrifiants symboles dont le nom seul suffit à faire lever des associations très puissantes, très douloureuses, très inquiétantes : Ravensbrück, Auschwitz, Oradour, Guernica, Hiroshima, Tchernobyl, Sabra & Chatila... sans doute demain Bengazi et Fukushima.
On dévisse, comme en montagne (Sereine Berlottier)
Toujours frappée par la puissance de certains passages. Pas éprouvé depuis longtemps ce sentiment de désirer retenir, par cœur, certains d’entre eux.
peut-être / jamais // est l’impossible / fragment d’énoncé // où tout se brise dans / définitif // comme le dernier visage / de soi //celui dont / les mains seront croisées par des mains //dont chaleur à jamais (85)
→ la mort, le renoncement au désir qui est une sorte de mort, la peur que ce qui est tant désiré, si fondamentalement désiré, l’enfant, n’arrive jamais, le découragement de tout l’être, croisé avec sa propre finitude.
Recopié en écoutant Ludovico Einaudi, dont le moins qu’on puisse dire est que sa musique est très mélancolique (et très belle, un peu trop teintée parfois par l’influence de Phil Glass, me semble-t-il, quoique Einaudi ne se situe pas, je crois, dans le champ de la so genannte musique contemporaine savante.
Je pense parfois à Dominique Fourcade en lisant Sereine Berlottier. Cette façon de vous déchirer, presque mine de rien, par une façon très particulière d’ouvrir le texte, en apparence simple, proche de la vie quotidienne, sur un abîme. On dévisse, comme en montagne.
Le secours du livre
Pensée traversante, lisant : effrayée de penser qu’elles, si fragiles, si vulnérables, n’ont pas le secours des livres et de la musique. Alors, comment tiendront-elles le coup ?
L’attente encore (S. Berlottier)
« encore » n’est-il pas redondant par rapport à « attente » ?
l’attente – et si / l’attente ne meurt pas et qu’il faille / l’ensevelir de force //vivante / son cri dans loin // ne pas se préparer / ne pas consentir (105)
Enveloppes vides à aura de présence (avec S. Berlottier
Je trouve page 111 un ensemble qui me frappe comme une parfaite formulation de ce qu’on appelle parfois la chimère, cette entité qui se construit entre deux, par exemple entre l’auteur et le lecteur, entre deux personnes qui se parlent, etc. Cette construction d’un nouvel espace, qui n’est ni l’un ni l’autre mais procède de l’un et de l’autre et surtout de leur échange. « et qu’une place soit là, et même alors / inoccupée / une place est là qui est là / qui est la place sans place de cette forme étrange entre nous » « je cherche le nom de la place vide qui n’est pas absence et qui n’est pas vide, pas ombre, pas fantôme, je cherche le nom de la place vide qui n’est pas deuil, pas disparition / occupée par ce qui n’a pas de nom, de forme, pas d’autre poids que la somme des gestes, des pensées, des images, des peurs, des désirs, qui donnent lieu à cette forme sans forme (111 et 112)
→ je pense à toutes les chimères et à tous les fantômes. Deux mondes d’irréels très réels, d’enveloppes vides à aura de présence.