Une sorte de concentration (Sereine Berlottier)
Suite de ma lecture de Attente, Partition de Sereine Berlottier. Je note une sorte de concentration de ce qui a peut-être été une scène de la vie réelle, une attente, un différend, de telle sorte que tout l’anecdotique individuel s’estompe sous des mots de portée plus générale, plus universelle : « les visages, lorsqu’on se regarde, ne sont pas accueillis » (53)
→ profonde justesse de la formulation et d’un ressenti très particulier non élucidé et qui soudain s’éclaire.
Le livre comme un lièvre effaré (S. Berlottier)
Très belle image du livre à écrire comme d’un « lièvre effaré dans la lumière des phares ».
→ chez certains poètes, il arrive que la phrase bifurque assez soudainement et radicalement sur la plaque tournante d’un mot (je pense à Valérie Rouzeau) ; chez Sereine Berlottier, il y a plutôt un glissement très discret, une sorte de fondu enchaîné et l’on se retrouve, comme le lapin, ailleurs : « et le voilà / un éclair il / et fourrure dense / douce en allée »
C’est à la fois extrêmement précis (en ce sens que l’image n’a rien de gratuit, d’artificiel) et déchirant (54)
Un moment d’amusement
Un petit sourire me vient soudain lisant ce livre pourtant poignant ; et puisque je prétends écrire un « journal de lecture », il faut en relater la cause ! Elle est là : « des mots du livre sont lus, à la lumière d’une lampe frontale, au milieu de cette nuit-là » (64)
→ la petite lampe frontale, d’autres donc aussi, et la taquinerie de l’entourage aussi pour le profil de mineur ?
Intensification (S. Berlottier)
Le livre me semble aller crescendo, avec comme une intensification de la douleur de l’attente toujours déçue. On en perçoit parfaitement le côté insupportable. Ce livre, qui est au sens plein un livre de poésie, fait aussi comprendre de l’intérieur ce que ressentent ces femmes, ces couples, animés du désir d’enfant, de l’enfant qui tarde à venir ou qui ne vient pas et le calvaire qu’ils vivent souvent, ballottés de médecin en médecin, pour des tentatives qui chaque fois réveillent un grand espoir et dont l’échec est de plus en plus difficile à supporter. Je repense au mot d’œuvre-témoignage choisis par Claude Mouchard, dans un tout autre contexte, bien sûr, mais pour parler de ces livres qui tentent de dire quelque chose d’une expérience terrible, par le biais de l’art poétique ou littéraire et non pas sur le seul mode du témoignage écrit, apparenté souvent à un récit journalistique.
« le temps franchit le corps, lèvres closes, comme on enjambe un mort, un évanoui » (67)
Un art poétique (S. Berlottier)
et page 77 ce qui peut être une sorte d’art poétique :
« ce que tu rêves ici prose brève, souffle nu, longtemps filtré jusqu’au plus clair, au moins évitable.
Malgré ce qui, de fragment en fragment, freine ou relance.
Enchaînements ou ellipses, hoquets, syncopes, et les pauvres chevilles de bois mort par quoi, souvent, tu tentes d’aller contre ce mouvement » ; (77)
Intrication (S. Berlottier)
Il y a une intrication subtile du corps, du matériel et du mental : « on ne sait rien du refus / Il y a des secrets / où sont rangés des secrets encore. » (79)
→ et il y a des pensées tellement enchâssées dans d’autres pensées qu’elles fuient à la vitesse de l’éclair. Des pensées rangées dans des pensées encore, les plus promptes à se dérober, notamment quand l’approche du sommeil vient dérégler les rythmes de la lecture, de la compréhension.
laps écrasé
fragilité de la certitude, du construit, du droit, du solide, de ce qui croît – fausse éternité, laps écrasé, le temps-étau referme ses mâchoires, craquements, broie la matière, n’en fait qu’une bouchée amère, rejetée en miettes – il n’y pas d’avaloir pour ce désastre, il s’étale, opulent et les personnages fantômes dans ce théâtre de ruines – errance sidérée, recherche interdite, racines et liens rompus vif et à vif.