Fukushima
Relevé dans le Monde, daté du 19 mars 2001 (p. 3) ces mots de Vladimir Naoumov, un des « liquidateurs » survivants de Tchernobyl : « Probablement qu’autour de nous volaient tous les éléments chimiques de la table de Mendeleïev. »
deux préalables (Claude Mouchard)
Reprise de Qui si je criais... ?
De nouveau la justesse de sa position me frappe, avec en quasi exergue, cette nécessité affirmée : éviter à tout prix de « tirer un effet » par ce que l’on peut dire de ce qui est « arrivé » (Celan) – mesurer toujours sa position et la distance qui nous sépare de cela (39).
Deux préalables qui en réalité rendent presque (mais presque seulement et sans doute tout se joue là) impossible de parler. Deux préalables dont il m’est arrivé, plus d’une fois, lisant l’un ou l’autre, de comprendre qu’ils n’étaient pas posés. Et que même s’il y avait là une forme d’empathie ou de sincérité respectables, il n’y avait pas eu de travail intérieur, de réflexion, de « précaution » au fond.
Et puis bien sûr, toujours, le risque, pour chacun d’entre nous, d’une forme d’utilisation de ce qui est arrivé, de ce qui arrive encore pour se mettre soi en avant, en valeur.
le douteux ici-maintenant de chacun
Qui parle, lorsque nous parlons ? (se) demande Claude Mouchard « chacun à sa façon, chacun depuis son propre (et ordinairement douteux) ici-maintenant »
→ douteux l’ici-maintenant de chacun, ses compromissions, ses manques, ses lâchetés... Toujours soupçonnable d’être douteux (et de multiples façons dont certaines ont à voir avec l’inconscient) ce qui nous porte vers cela.
Or il faut savoir que « nous » avons d’abord affaire « à de la distance, du vide » (41)
inscription dans les lieux (H.G Adler)
« Aboli le pouvoir que chacun peut avoir, fût-ce pauvrement, de vivre son inscription dans les lieux »
→ renvoie aux pages extrêmement frappantes du début d’Un voyage où HG Adler parle de l’appartement de sa famille et de la véritable radiation de ce lieu comme son lieu d’inscription.
une des voies de l’accueil
Peut-être qu’une des voies de l’accueil du témoignage, puis d’une possible réémission de ce qu’il dit, est formulé par Claude Mouchard ici : il faudrait que « l’instance susceptible d’accueillir le témoignage soit elle-même en question » (44)
→ Aucune possibilité d’être sûr de son fait et de ce qu’on fait, aucune certitude de légitimité à le faire versus la question permanente de la nécessité, des voies choisies, de la place et de la distance.
comment « faire œuvre » (C. Mouchard)
Notion très importante sur le « faire œuvre » à partir de ce qui a eu lieu dans les camps, dans les ghettos : l’œuvre ne peut être comprise selon l’opposition vérité / fiction ou témoignage brut /son « esthétisation » mais « s’impose ici la puissance d’initiative, de constitution ou de reconstitution de l’écrit » (47)
résorber toute histoire individuelle
Et puisque j’écris des journaux de lecture et que ce que vit le monde en ce moment est terrible, dans une autre dimension, comment ne pas relever : « l’énormité des événements ne paraissait-elle pas de nature à résorber monstrueusement toute histoire individuelle ? »
→ quelle histoire individuelle encore pour les habitants de Sendai dévastée par le tsunami au-delà de l’imaginable (disent ceux-là même qui, secouristes, sont intervenus après l’ouragan Katrina), ou pour ceux-là que Kadhafi écrase sous ses bottes comme de vulgaires insectes.
le besoin de témoigner (1914)
Page très intéressante sur l’évidence du besoin de témoigner à partir et à partir seulement semble-t-il à ce niveau de la guerre de 14/18. Ces soldats qui avaient presque tous un carnet dans leur sac comme le relate Maurice Genevoix. Car avaient alors commencé à se développer les moyens d’information et donc de propagande et de manipulation des esprits. Il fallait tenter de dire la vérité des tranchées contre le « bourrage de crâne ».
→ Rien ne semble changé. Ou plutôt tout a exponentiellement augmenté dans ce domaine) : que de mensonges, de non-dits, de choses gravissimes cachées, on le sait déjà, à Fukushima.
nuages non merveilleux
feu sourd, rampant, brûlant les racines des herbes vertes, encore vertes, belles têtes, jolies couleurs – danse des apparences, dernière floraison, chant du cygne et des signes, sur eaux pourries, noires, puantes, terres souillées – sirènes et dauphins et baleines émerveillants en océans de particules, de plastique, de toxiques – assis sur le toit de l’enfer, compter les fleurs, les étoiles, ouvrir les mains, scruter les iris, faire naître des sourires et des souris modifiées – monde de l’ambiguïté, du faux-semblant, des catastrophes inodores – puissance toujours accrue des moyens et des puissants, fragilité toujours plus fragile de l’œuf, de l’abeille, de l’euphraise, de l’air, de l’eau – accumulation de nuages non merveilleux.