Jean-Christophe Bailly et les temporalités
Lecture du dossier du magazine Le Matricule des Anges, consacré à Jean-Christophe Bailly. Il y parle de ses ressources méthodologiques, assez peu nombreuses : 1. Le parti pris des choses de Ponge ; 2. L’importance du généalogique, dans une optique à la Walter Benjamin : « le temps n’est pas perçu comme quelque chose de continu, de linéaire et de transparent, mais comme une masse stratifiée et mobile entre des temps composés, des futurs antérieurs et tout cela ne cesse de se brasser ».
→ ici pour moi triple référence, qui est aussi un brassage des temps, un temps presqu’immédiat (Gleize), un temps très récent (Mouchard), un temps plus long et un peu plus lointain (Beurard Valdoye) qui tous trois me semblent jouer sur les glissements du temps et parler des temporalités différentes. Les accueillir simultanément sans les trier, les hiérarchiser nécessairement. Ainsi Jean-Marie Gleize dans son entretien avec Philippe di Meo publié hier dans Poezibao : « Les dates font signe ou font signes. Mais aussi bien le "temps réel" et sa perception : ralenti, accélération. Le ralenti n’existe pas, c’est le temps réel. La chronologie (au sens où nous l’entendons tous) n’existe pas, ce sont ces temporalités chevauchantes, discontinues, fragmentaires, qui font ce que nous appelons notre "présent". »
JC Bailly, photos, silence, mots
« Je devais y faire des photographies avec des mots. La photographie parce qu’elle contient un rapport au paysage et au silence, a été mon modèle » (LMDA, n° 123, p. 23)
Où l’on retrouve ce qu’il disait aussi de la peinture, dans cet extrait publié dans les « notes sur la création » de Poezibao encore : il y a « une ressource de la langue devant le silence de la peinture. Le silence renforcé de la peinture [est] d’abord un défi pour le langage, mais surtout une chance et une réserve de sens inépuisable. Parce que ce n’est pas un sens articulé, mais une présence d’un sens à lui-même, comme une énigme suspendue. »
→ Lisant tous ces propos de Jean-Christophe Bailly, je suis frappée de voir à quel point ils sont en phase étroite avec le travail géo-historico poétique de Patrick Beurard Valdoye, notamment en ce qui concerne la trace. Tous deux au demeurant ont travaillé et écrit sur Schwitters ! « Mon idée, en cela pleinement benjaminienne, dit Bailly, est que tout passage laisse une trace qui, elle, n’a pas à être perceptible immédiatement mais que je dois, par mon travail, faire remonter ».
→ c’est ce que j’appelle parfois la "mémoire de l’eau" : ce que l’eau a une fois touché, baigné, elle en garde pour toujours quelque chose, une trace, à la limité de la matérialité tellement elle est infinitésimale, d’une nature que la science ignore peut-être encore, mais réelle.
Même chose sans doute pour la mémoire humaine, moins volatile que l’air, moins fluide que l’eau, pâteuse, malléable, empreintable, riche de milliers de fossiles, émettant des ondes fossiles comme les étoiles mortes émettent une lumière fossile, coquillages d’affects, incrustations de chagrins, sillons d’effrois.
« Tout compte et tout devrait être raconté » dit encore Jean-Christophe Bailly, allant ainsi sans doute dans le sens d’une Histoire qui se fait aujourd’hui plus attentive aux petits faits, aux détails, au vivre quotidien.
Encyclopédisation
« Cette histoire originaire et intellectuelle », dit-il aussi, en réponse à une question d’Emmanuel Laugier sur son écriture sensible, presque tactile, traversée par une multitude de savoirs, dans un vrai brassage des sources, « histoire qui est ou que représente Novalis… et son concept d’encyclopédisation. Il réfute l’approche hiérarchique du réel [...] c’est plutôt en laissant venir les choses à soi que l’on dégage des pistes d’intelligibilité…et de ces pistes des directions de références, de renseignements, d’enquêtes [...] il n’y pas de hiérarchie à faire ou à tenir. Dans mon travail d’approche, je récolte dans ma nasse ce qui entre dans le cadre du projet [...] mais autant dans le réel, dehors, que dans certaines phrases d’auteurs, dans des tas de documents, qui vont tantôt vers le menu d’une cantine d’école punaisé sur une porte, tantôt vers une ligne de Ponge, vers les marquages ou signes, discrets mais prégnants que font certaines marques dans la mémoire…[...] tout cela construisant l’ouverture à ce tremblement de la provenance et à toute la polyphonie du langage » (ibid. p. 26)
→ écho fort avec ma manière de penser, de regarder, d’écouter, pas toujours en rapport avec un projet défini mais avec une forme de recherche indéfinie et infinie. Et les trois temps toujours : quête, diffusion et parfois écriture.
de cette faille monte une raison d’être, vers la lumière
faille, entaille, percée du sens, la poussée de la plante, germination vers la lumière en appel – l’herbe folle écarte le béton, raconte la terre et ses vers, redonne le vert essentiel, dit les saisons – de cette faille monte une raison d’être, vers la lumière, brièvement mais nécessairement
écriture
Trop voulue, décidée et thématique : quand le sens (métaphore en fait) conduit le pic chercheur au lieu que ce soit hasard des mots, leurs frictions, frottements et rebonds qui viennent désaxer la raison, le descriptif, l’enclenché pavlovien, le dicté des modes.