Être sans destin
J’ai fini le très fort Être sans destin d’Imre Kertész. Ce qui me permet aussi de mieux comprendre la démarche de Claude Mouchard et ce qu’il écrit dans Qui si je criais… ? et dans ces notes très fortes dont il a publié deux fois des extraits dans la revue Fario. La question de la douceur au milieu du désastre, de la catastrophe. Car Kertész termine son livre en parlant d’une forme de bonheur à Buchenwald, par moments. Il est totalement « ailleurs » par rapport aux questions qu’on lui pose. Et il écrit cela, presque scandaleux, si difficile à concevoir : « Tout le monde me pose des questions à propos des vicissitudes, des "horreurs" : pourtant en ce qui me concerne, c’est peut-être ce sentiment-là qui restera le plus mémorable. Oui, c’est de cela, du bonheur des camps de concentration, que je devrais parler la prochaine fois qu’on me posera des questions. Si jamais on m’en pose. Et si je ne l’ai pas moi-même oublié » (Imre Kertész, Être sans destin, Babel, p. 359) – j’ai retrouvé dans cette scène finale le sentiment de totale incompréhension devant le dire de celui qui revient par ceux qui l’accueillent, si bien rendu dans Un voyage, de H.G. Adler. Question double, question centrale, insistante : le déni de vérité opposé à ceux qui reviennent, mais cela c’est bien connu ; le côté inconcevable de ce qu’ils disent, à la fois pour ce qui s’est produit mais aussi en raison de la façon dont ils l’ont vécu. Le hors-norme semble partout et pourtant ils sont comme nous, bourreaux et survivants, tissés de la même étoffe….
Cela me fait me poser la question de la représentation que nous nous faisons des choses, de notre capacité à imaginer aussi la réalité vécue par autrui. Et de façon encore plus générale, la question de notre perception de la réalité.
petite main saisie
petite main saisie, ruines de Dresde, incendie du grand magasin, brume, perdue, quelque part, petite main prise, serrée, froide ou chaude, et courir, fuir aussi loin que possible sans savoir vers où, vers quoi, avec la petite main saisie, petite main lâchée, seule, perdue, chaude ou froide, serrée très fort, morceau de tissu, le mouchoir d’Elfried, enfant de jadis, enfant venu, enfant qui ne naîtra pas, petite main saisie ou perdue dans le noir