Antelme et Cixous
Continué ma double lecture. D’Antelme, toujours difficile de parler sauf à dire que l’effroi me semble aller croissant au fil de la lecture, et un sentiment très paradoxal, peut-être scandaleux ou contestable, d’intime fraternité avec cet homme. Lire ce livre est une expérience, au sens le plus fort de ce mot.
Cixous ? Je me suis bien enlisée dans toute la partie centrale, qui me parait un peu faible et très répétitive (un livre au moins chaque année, c’est peut-être un peu beaucoup ?), mais je la retrouve dans la fin du livre sur la littérature, sur Montaigne, sur la Tour, sur « Aller à Montaigne », voyage initiatique chaque année renouvelé à la Tour de Montaigne. Ici, il est question de « ne plus aller à Montaigne », ce qui semble en fait signifier la fin d’une relation amoureuse. Comme toujours ce qui passionne c’est ce qu’elle écrit à propos de la littérature et du soutien vital que celle-ci nous apporte.
Cixous, quelques phrases inoubliables
« Moi-même j’ai vécu sous le règne de quelques phrases inoubliables. Je me les répète dans certaines circonstances, lorsque les ténèbres atteignent une épaisseur qui me conduit au bord du précipice, à la dernière extrémité, je les allume, ce sont les phrases et quoique leur lueur soit trop ténue pour m’assurer la splendeur d’un bonheur, du moins suffit-elle à m’éviter l’abîme » (Revirements, Galilée, 2011, p.159)
Hélène Cixous et le Nous
très belle méditation sur le pronom nous.
« Nous est fort et doux, déchiré et angoissant, comme tous les nous, car aucun pronom n’est plus tremblant et autoritaire, plus présomptueux et rongé de doute que Nous [...] et comme on a envie de dire nous, envie et horreur. Ce Nous je l’adore et je m’en méfie. Nous survivra-t-il ? Nous est toujours en danger de mort. [...] Sitôt nous assemblé, promis, accordé, la disjonction commence. Nous est toujours déjà travaillé par la dissolution future» (159)
et elle enchaîne sur l’écriture !
« C’est ainsi que l’écriture est venue faire nous avec Montaigne à la place de la Boétie. On prend une partie de son propre corps, on l’allonge en tant qu’ombre de l’autre sur du papier et on continue à se nounoyer. » (160)
→ l’écriture contre l’absence, cela expérimenté dès l’enfance souvent, dans la tentative d’écrire aux parents absents, aux amies éloignées, pour combler un peu le vide terrible du présent, là et maintenant, sans eux, sans référence, sans référent. Alors le papier oui, écriture d’un journal, c’est souvent comme ça que ça commence, écriture de lettres éperdues mais qui ne doivent pas en avoir l’air. L’écriture pour se tenir compagnie, quand l’autre défaille, s’efface, disparaît, n’écoute plus, n’écoute pas, quand on comprend que l’autre n’écoute jamais, n’a jamais écouté et que toujours et constitutivement on est seul. Mais de cela l’écrivain doit s’éloigner, au risque de tuer la possibilité de faire une œuvre. Il ne doit pas écrire, jamais, pour.
Cixous et échos
Cette notion d’écho, de résonance, à laquelle je suis si sensible… : « On dit une chose, décisive, et on sent à l’instant qu’elle résonne d’une autre chose ».
→ à mettre en parallèle avec cette idée que lorsque l’on écoute un grand cycle de variations (les Goldberg, les Diabelli, etc.) et que le thème est redonné à la fin de l’œuvre (où qu’on le réécoute), dans son apparente nudité, il n’est plus du tout le même. Savoir que tous nos mots sont chargés à blanc de résonances, certaines perçues par tous ou par un grand nombre, ou par un certain nombre (la question des références) mais certaines aussi strictement personnelles. Ces résonances personnelles les grandes poètes savent en faire des données universelles.
Cixous, Joyce, Dujardin
Elle évoque le fait que Joyce a pris conscience de la « langue intérieure du moi qui coule continuellement » par l’intermédiaire de l’écrivain Édouard Dujardin qui avait découvert le « courant de conscience » : « Joyce avait dû à Dujardin la découverte des champs électromagnétiques en littérature » (162)
Et sur les livres, toujours Cixous
« Je ne pouvais pas imaginer [...] que j’aurais atteint les rives d’indifférence où je ne lirai plus jamais Kafka, où je pourrais passer des années sans avoir envie ni besoin de boire une goutte de Shakespeare [...] où je vivrais comme si je n’avais jamais lu une ligne de Stendhal, où toutes les bibliothèques par lesquelles je respire seraient murées [...] où j’éprouverais seulement la pâleur et l’éloignement qui gagnent les figures des anémiés de l’âme… » (173)
→ anémiés de l’âme, quelle superbe formulation, qui me fait songer à ce que j’appelle les morts sur pied, ces êtres qui ont l’air vivant et qui sont intégralement desséchés intérieurement, comme certains arbres toujours debout, mais creux ou gangrenés par de minuscules champignons qui absorbent toute leur substance, les vident de leur être, de leur essence, de leur pouvoir de reproduction, de leur fécondité potentielle….
Le papier blanc, Cixous
« Quand je suis revenue à moi, c’est-à-dire au papier blanc comme la figure de mon âme » (176)
assise banc vert là
assise banc vert là assise seule silence sans bouger et quelques pensées fuyantes seule assise sur le banc vert silence – je fus sur le banc, face au parc, fus seule assise sur le banc vert là un moment, double inexistence pâlie, là seule assise sur le banc, et le parc et ses silhouettes-jouets – et le bruit du vent dans les feuilles, seul tangible l’instable, le volatile, le fugitif, gage d’être, figure d’inscription, accroche du je suis déjà décomposé en fus ai été seule assise banc vert là seule silence