Antelme
Saisie, effrayée, éblouie par le livre d’Antelme, en effet sans doute un des livres majeurs de ce temps. L'avant-dernière partie, « la route », est encore plus âpre, plus terrible que celle relatant la vie du kommando à Gandersheim. La troupe de détenus, kapos et SS qui fuit devant l’avance alliée, la décomposition des SS, la terreur des villageois qui voient passer cette horde à l’aspect innommable, le secret espoir qui habite les détenus et la peur de ne pas tenir, tant les conditions sont insupportables, marche forcée (celui qui tombe est abattu) et pas de nourriture alors que les corps sont déjà à bout de ressources, grouillant de poux, exsangues.
Il me faudra, un peu plus tard, recopier toute la page 240 qui est l’explication du titre, l’Espèce humaine et une immense leçon d’humanité. Une pensée très forte et essentielle aujourd’hui, pour chacun, à commencer par moi. Devant la souffrance étalée partout, les immigrés, les affamés, les sans-logis, les déportés…. avec en toile de fond l’action infiniment discrète mais tellement concrète et sans doute en cela, seule juste, de C..
Valéry
Noté encore une ou deux petites choses dans le Hors-Série Valéry du Magazine littéraire.
À propos du rituel matinal des Cahiers : « Rituel avant que d’être produit fini, processus plutôt que résultat,[...]témoins d’une activité dont ils sont moins le but que l’instrument. » (p. 46)
Valéry, Gide, lecture
« Il avait vite fait de s’assimiler le peu de matière nutritive d’un livre » (Gide à propos de Valéry)
→ Entièrement d’accord avec cette idée, je crois que de plus en plus je procède ainsi, j’ai retrouvé dans mes notes anciennes une remarque de Thomas Bernhard disant qu’il ne lisait jamais un livre en entier et je me souviens du conseil le plus intelligent jamais reçu dans ce domaine, venu de P., dans l’enfance : si tu ne comprends pas, continue, avance, il y a toute chance pour que l’écrivain se répète. Il n’y aurait ainsi qu’une ou deux idées dans un livre, très souvent, donc très peu de matière nutritive, appréhendable rapidement. Et souvent je note un épuisement de la lecture (et peut-être alors aussi de l’écriture ? aux 2/3 du livre…).
De toute évidence, la matière nutritive d’Antelme dépasse ce que l’esprit et le cœur peuvent absorber en une seule lecture, souvent défensive.
« Du reste il lisait peu, ne sentant nul besoin de recourir à autrui pour penser… » écrit encore Gide à propos de Valéry.
Peut-être même qu’il se protégeait d’autrui ? Même idée chez Michaux, de se débarrasser de tout l’acquis. Et j’avais bien noté, lisant les Cahiers, que les « références » étaient extrêmement rares. Compris qu’il lisait très peu en fait et qu’il ne s’appuyait pas sur les livres pour penser.
Et cela même déconstruit toute idée de comparaison (avec toutes les précautions qui s’imposent ! ) entre mon entreprise générale et mon entreprise flotoir avec celle des Cahiers. Cela me permet de prendre conscience aussi de mon indigence : car sans les livres d’autrui, pour moi souvent point de pensée, point d’écriture même, je l’ai expérimenté tant et tant de fois. Oserais-je un jour me défaire de ces tuteurs (dans les deux sens du mot), oserais-je un jour laisser aller ma pensée, ma compréhension du monde (partielle, partiale, minuscule mais existante) s’épanouir en plus grande liberté ?