Ciel
Ciel gris dominant avec 5% de rose sur l’horizon nord, températures un tout petit peu plus basses, 8° et toujours pas de pluie, malgré l’humidité ambiante.
Ce ciel matinal décidément moins intéressant que les spectaculaires visions à l’ouest, il y a quelques années, relevées il est vrai au fil de la journée et des évènements météorologiques et non pas à heure quasi fixe.
Gabriel Bestion de Camboulas
Hier concert d’orgue à la Madeleine. Un programme pas toujours passionnant mais la découverte d’un "Boléro de concert" de Pierre Cochereau avec accompagnement de caisse claire très dynamique, et Bach, Franck, Vierne, Florentz. Je découvre en rentrant qu’il s’agit du frère (ou d’un cousin), un peu plus vieux (né en 1986) de Louis-Noël Bestion de Camboulas (né en 1989), entendu en Août 2010 en cette même église de la Madeleine.
Du futur antérieur surgie
Du futur antérieur surgie, immense et tendue, elle toujours appelant et à l’autre bout du temps, présent composé, la petite géante aux yeux mystérieux, nées de la musique, par elle campées ensemble, l’ascendante et la descendante et moi, gué pour elles, par la musique et donnant à chacune la main.
Marielle Macé
Son livre, Façons de lire, manière d’être (mais on pourrait dire aussi manières de faire et manières de vivre…) est aussi une très belle analyse de la façon de lire d’au moins trois immenses lecteurs, Proust, Sartre et Barthes. Proust dont elle dit que pour lui la lecture est un terrain d’expérimentation où se nouent en permanence « le perçu et le remémoré » ce qui provoque l’évènement proustien par excellence : « celui de la désorientation, un déphasage temporel indissociable d’un vacillement identitaire » (70)
→ il parait important d’accepter cette dimension de déstabilisation que peut procurer un livre, voire même de forcer un peu le passage, d’insister au lieu de s’enfuir… devant ce qui rebute, ce qui choque, ce qui déplait, accepter que la lecture ne soit pas toujours confortable, ne vienne pas systématiquement provoquer une identification positive, l’assentiment, la reconnaissance (dans les deux sens du mot). On se grandit sans doute à lire des choses vraiment étrangères à soi, à tenter de les intégrer, fut-ce pour les rejeter ensuite. C’est peut-être aussi le prix pour une surprise du type de la désorientation proustienne…. une chance de retrouver quelque chose de puissamment refoulé et qui pourtant est là, depuis toujours agissant ? On pourrait dire en ce sens et sans référence religieuse que la lecture est aussi un exercice spirituel.
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et d’ailleurs un peu plus loin, dans le sillage de Proust, cette remarque magnifique : « toute phrase lue peut bien être jetée comme un nouveau filet sensible dans le réel [...] comme une comparaison, dirait sans doute Michaux : "Comme une comparaison voguant négligemment en apparence dans un esprit distrait, s’en va, pêchant une réalité encore obscure dans une zone encore plus obscure et vous la met à jour, tout à coup, timbre de mots significatifs" » (cité p. 73, extrait de Épreuves, exorcismes)
→ cela aussi qui fait la qualité des plus beaux essais, qu’ils s’appuient sur les grands auteurs, qu’ils les donnent à relire, par fragments, qu’ils réveillent leur présence assoupie en nous… lecture qui fait lever les figures intérieures….et qui donnent ou redonnent des phrases, à jeter comme un nouveau filet sensible dans le réel, ce que ne manquera pas de faire cette citation de Michaux !
Rien de moins !
« car la lecture est capable d’imprimer une sorte de pente, de tournure à notre vie intérieure ». (73)
Modelage par les lectures, strates par strates, époque par époque de nos vies, par champs s’étendant, souvent s’engendrant les unes les autres, corps second, habité de présences toujours disponibles, donnant tout et ne demandant rien…. Manières d’être, de vivre, de comprendre, de sentir, de voir, de désirer très profondément façonnées par nos lectures. Pour autant sommes-nous les livres que nous avons lus ? Je ne crois pas qu’on puisse formuler les choses ainsi, car l’un des plus immenses avantages de la lecture, c’est son infinie polyvalence. Peut-être le lecteur obsessionnel d’une œuvre unique devient-il ce livre…. peut-être certains chercheurs oublieux de la vie réelle deviennent-ils des clones de leur auteur… mais nous, les lecteurs de base, qui lisons de tout, depuis toujours, sans hiérarchie, par passion matérielle du lire, depuis l’enfance, lisant les affiches, les modes d’emploi, les annuaires, les dictionnaires, les livres de quat’sous et les plus grands chefs-d’œuvre, en toute liberté [car jamais personne ne s’en mêle de ça au moins !], eh bien nous, nous sommes comme des cristaux à multiples facettes sculptées par tous nos auteurs aimés. Incapables de dire précisément la plupart du temps à qui nous devons quoi, mais qui serions sans doute infiniment pauvres, vides et désespérés si nous ne nous étions nourris de tous ceux-là que nous avons lus, que nous lisons encore continuant, sans fin, les découvertes.
Et cela même sans doute qui manqua
Car que dit d’autre Bergounioux « je postule que tout enfant a l’intuition de ce qui se passe, et le concerne et l’affecte, mais qu’en l’absence, provisoire ou définitive du mûr discernement qui lui permettrait d’en prendre conscience, il attend d’un tiers, mort ou vif, d’une parole dite ou écrite, qu’ils éclairent ce qu’il ressent » (Pierre Bergounioux, L’héritage, rencontre avec Gabriel Bergounioux, Argol, 2008, p. 71)
→ je n’avais jamais encore remarqué que cette position confirme tout ce qu’a toujours dit Françoise Dolto sur l’information très précoce du petit enfant de tout ce qui le concerne & de la souffrance engendrée par l’absence d’une parole qui puisse lui permettre d’en prendre conscience.
Et l’on sait quel lecteur immense est Pierre Bergounioux, depuis la décision de ses 17 ans, d’essayer de comprendre un peu ce qui lui arrivait. Lui qui était cerné selon ses propres dires par une quadruple muraille « escarpements de granit et de grès [fortement pensé à lui en ramassant des cailloux tout à l’heure, si désolée de ma totale inconnaissance de la géologie], rangs serrés des taillis de châtaigniers [...], absence d’esprits cultivés, [...] de ressources cohérentes, opératoires, libératrices, universelles » (ibid. p. 72)
→ j’ajouterai qu’à mon avis, peu importe si les ressources ne sont pas très riches, reluisantes et cohérentes… du moment qu’elles sont, embryon de dire, début d’accès susceptible d’engendrer un autre accès, déverrouillage de portes successives, une fois le mécanisme enclenché. Toute la question étant l’enclenchement de ce mécanisme qui a si rarement lieu.