Ciel
rose à l’aube, puis s’infusant de jaune – près de 12° - mais en suspension dans l’air, matérielle, la pollution dégrade la lumière
Mots, un « suicide documenté »
Profondément choquée par ce titre du Monde (via Google Reader)
« Le cadre de La Poste qui s'est suicidé dimanche avait documenté son geste »
Le plus proche (Marilyne Desbiolles)
« Je fais le pari que le plus proche n’est jamais donné, que le même n’est jamais connu, et qu’en l’arpentant, en l’observant, on peut le déployer à l’infini » (Marilyne Desbiolles, dans une interview à la Quinzaine littéraire, du 16 mars, p. 5)
→ ce que je ressens parfois, en explorant le territoire proche de chez moi, lorsque je promène mon chien imaginaire et surtout lorsque j’ai un appareil de photo qui m’ouvre littéralement les yeux….
Terza pagina
belle allusion de Philippe di Meo dans un article sur Alphabets de Claudio Magris (ma prochaine lecture !) à la pratique des journaux italiens, sans doute condamnée, de toujours consacrer la page trois à la culture. Terza pagina où nous dit-il s’illustrèrent aussi bien Landolfi, Calvino, Pasolini, Moravia, Zanzotto que plus récemment Citati et Magris (excusez du peu !)
(Quinzaine littéraire du 16 mars, p. 11)
Données personnelles (internet)
« Si vous ne payez pas un service sur le net, c’est que vous n’êtes pas le consommateur, vous êtes le produit vendu. » (Andrew Lewis, blogueur américain cité dans Le Monde du 16 mars 2012)
→ C’est terrifiant en réalité si on essaie de penser plus avant. J’ai le tort de me sentir un peu protégée par l’étroitesse de mon domaine, la littérature, et son peu d’intérêt commercial. Si je cherche James Sacré ou Marielle Macé sur le net, je ne vois arriver aucune proposition vaseuse dans mon courriel. Les rares fois où je cherche un objet de grande consommation, il en va tout autrement. Ce n’est plus l’œil de Caïn dans la tombe c’est celui de la grande déesse Commerce derrière l’écran, qui nous regarde tout aussi intensément et en connaissance de cause.
Dans le même article, un chercheur affirmait que les données personnelles étaient le pétrole de demain ! Pour employer une expression familière contemporaine : bonjour la comparaison ! Nous voilà réduits non plus même à un cerveau dont on louerait quelques espaces pour mieux le conditionner, mais à une mer noire de goûts, de désirs manipulés, plutôt même de pulsions (au sens psychanalytique). À extraire par la technique de la fragmentation bien entendu. Je crois qu’ici comme toujours le vocabulaire est très loin d’être anodin.
Japon (Le Monde) et langues
Supplément Japon dans Le Monde des livres, Japon qui est l’invité d’honneur du Salon du livre inauguré hier soir. Je relève dans un article consacré à une « Tokyoïte de Berlin », Yoko Tawada, des propos intéressants sur les langues, pour elle qui est passée du japonais à l’allemand et qui écrit dans les deux langues, si bien que son livre Journal des jours tremblants, après Fukushima, porte la double mention traduit de l’allemand par B. Banoun et traduit du japonais par C. Sakai (et paraissant chez Verdier, ce qui est un indice de qualité !) : « une langue est d’abord une vibration, une force vivante qui circule entre individus. L’important n’est pas qu’elle soit ou non "maternelle", mais qu’elle puise son énergie dans le corps et qu’elle s’extériorise. À partir de là, j’ai cessé de me dire : "cette langue est la mienne, celle-là ne l’est pas." (Monde des Livres, vendredi 16 mars 2012, p. 1)
→ ce qui est aussi libérateur pour les apprentis linguistes ! Ce qui compte c’est le désir de parler à un moment donné dans cette langue-là (ce phénomène toujours surprenant de voir surgir dans le tissu de notre langue usuelle des mots d’origine étrangère, des bouts de phrases dans une autre langue… pourquoi ? À quoi cela renvoie-t-il ?)
À noter que Yoko Tawada a fait une thèse en allemand sur la littérature européenne (elle est née en 1960 et est venue en Allemagne en 1982).
→ Une manière, pour reprendre un propos de Barthes cité dans l’article d’ « éprouver l’hémorragie, la dissolution du moi » et de « défaire le réel sous l’effet d’autres découpages », tout cela advenant lorsque l’on connait une langue étrangère que cependant on ne comprend pas…
→ c’est aussi la chance de réapprendre et de travailler une langue étrangère à l’âge adulte, en étant capable de prendre conscience de la différence essentielle d’appréhension du monde et de la réalité qui se traduit dans la façon dont cette autre langue est fabriquée !
Maria Gabriela Llansol, la « langue de la nature »
Poursuite de la lecture de Finita.
« Tout ce que je sens, autour de moi, devient synonyme d’être vivant. En toute forme, il y a vie et mouvement, compréhension et projet, perception et sensibilité. Cette pierre que j’ai posée au centre de notre table de Noël, et que j’ai apportée du Portugal battue par les vents, sait que le réel a un revers et une face. Mais moi j’ignore comment elle sait que le revers n’est pas entièrement inaccessible. » (Finita, p. 90)
→ beauté en partie énigmatique de cette phrase, qui me semble très emblématique de la personnalité littéraire très particulière de MG Llansol, ce que j’ai appelé la porosité entre les règnes, entre le dedans et le dehors, entre ce qui est soi et ce qui ne l’est pas, cette manière qu’elle a de s’incorporer aussi bien un écrivain qu’un arbuste de son jardin. Et qui se traduit entre autres par un recours fréquent à l’oxymore.
Et un peu plus loin : « comment la langue de la Nature a-t-elle pu devenir langue morte. Cette langue est morte parce que nous ne parlions pas avec Elle, ou bien la Nature elle-même aurait-elle cessé de parler ? A quel moment l’homme, dans sa forme la plus apte, s’est-il pris pour une forme unique et exclusive ? » (p. 90)
Lire (Llansol)
« La finalité de lire n’est pas de garder en mémoire. Moi, j’oublie ce que je lis, mais à la tombée de la nuit, je le retrouve. Le fondement de ma lecture est la question suivante :
"Combien de temps lis-tu durant une courte période vaste ?"
Une seconde, une minute, une année, toute cette nuit, ou toute cette vie ? Lire se déploie à travers le temps et exige de l’espace au jour le jour pour projeter son ombre. Lire se déploie sur des versants inconnus, et moi, je lis peu, mais infiniment. De ces métaux précieux je choisis un métal, et je le transforme intégralement en mon étoile. » (p. 95)
→ cette dernière phrase il me semble que je pourrais la placer en exergue de tout mon flotoir. J’y reconnais quelque chose de ma façon de lire. Le livre étant pour moi une carrière, une mine, dont j’extraie toutes sortes de matériaux, pour cette construction éphémère qu’elle le flotoir, certains matériaux inclus tels qu’ils sont et sans commentaires, d’autres au contraire origine de tout un développement, appui pour une pensée hésitante, inducteur comme j’aime le dire. Inducteur de pensée, de rêve, de dynamique, de désir….
Mais l’écueil serait la prédation. Il faut sans doute développer une sorte d’éthique de la lecture (dont le versant le plus noir serait l’appropriation, avec sa figure clé, le plagiat).
→ Très belle aussi l’idée de l’ombre projetée par le lire sur la vie : souvenir des journées presqu’hallucinées de l’enfance, totalement dédiées à la lecture, avec quasi perte de l’identité propre.
→ La lecture se projette souvent sur les heures de la journée exactement de la même façon qu’un rêve un peu prégnant. L’une et l’autre imprègnent la teneur du jour, versant mélancolie ou versant euphorie.
Bach (Llansol)
avec cette note qui atteste du versant mystique de Maria Gabriela Llansol déjà évoqué à plusieurs reprises dans ce petit « journal de lecture » de finita :
« Bach a volé nu, et a réalisé qu’il avait des bras. Celui qui vole vers lui-même trouvera, au fond de l’ogive, une porte ouverte. Voler vers soi c’est disparaître dans la lumière de sa propre expérience. » (p.96)
→ disparaître au cœur de son expérience de lecture….
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