ciel
Pas de rose à l’aube ce matin, en raison du brouillard qui enrobe tout, la tour, le dôme, les coteaux… une dizaine de degrés et ce retour, triste, du gris, après la lumière somptueuse d’hier
Maria-Gabriela Llansol
J’entre en douceur dans Infinita et je note cette remarque de l’auteur, Marie-Gabriella Llansol, au seuil précisément d’un livre : « J’ignore quelle rencontre m’attend » (19).
→ Je l’ignore encore quelque peu mais ce que je comprends déjà c’est que je suis ici en présence d’une personnalité très singulière, d’une pensée et d’une écriture étranges, déroutantes, à laquelle il faut se faire mais qui attire très fortement, car on la pressent profonde et révélatrice sans doute d’univers proches mais inconnus.
« Pourquoi me suis-je engagée justement dans cette écriture ? Quand ai-je cessé d’écrire des histoires, pour faufiler les passages de l’Être subtil dans vos vies ? Quand me serais-je aperçue que seul dans la proximité de ce lieu, en suivant les berges de ce passage, la vie pourrait peut-être accéder aux sources de la Joie ? À quel moment ai-je su qu’en créant des réels-non-existants seulement [...] nous ouvririons l’accès à ces sources ?
Je reste perplexe de voir que, en dehors du texte, ces réels sont évanescents. Et que si nous les perdons, nous serons réduits au chaos, sans cartographie.
Comme le monde apparaît en état de langage….
Comme ceux-ci ont surgi peu à peu sous des formes se faisant…
Comme l’on peut y retourner, en faisant et défaisant… » (Maria-Gabriela Llansol, Infinita, traduit du portugais par Cristina Isabel de Melo, Pagine d’Arte, 2012, p. 24)
→ ces notions de réels-non-existants sont pour l’instant un peu obscures et les termes d’être et de joie, avec des capitales, pourraient faire penser à un contexte où jouerait une forme de croyance, mais je crois qu’il n’en est rien, même si sans doute cette pensée-là a à voir avec celles des mystiques.
lumière et son (Llansol)
Observant la flamme d’une chandelle, Maria-Gabriela Llansol la voit soudain différemment de toutes les fois précédentes (ce qui accréditerait l’intuition que peut-être, parfois, par l’écriture et par elle seulement, elle passe une sorte de frontière pour accéder à ces réels-non-existants dont il est question plus haut ?). Elle écrit :
« j’ai senti l’égalité entre flamme, son et vibration. Le même rythme, la même oscillation, la même création d’espace, la même variété de "temps", l’extrêmement identique combustion.
J’ai découvert que les manifestations sonores sont des combustions lumineuses.
Les sons meurent parce qu’ils se consument et, en se consumant, ils rendent la matière évanescente.
Les sons se transforment en fumée ; celui-ci deviendra nuage.
Nuage et mélodie sont les deux faces de la matière. Rien ne se dissipe ; tout passe de mont en mont, de main en main, en retentissant. » (p. 30)
→ tout y est, le rythme, l’oscillation, la vibration, l’espace et le temps !
→ et si tout passe de mont en mont et de main en main, être passeur, transmettre le signal reçu, le réémettre au besoin avoir l’avoir amplifié, tels ces pylônes dressés sur les proéminences…. tâches de Poezibao et du flotoir ?
Piémont
« Zone de plaines et de collines située au pied d'un ensemble montagneux et résultant de l'accumulation de matériaux détritiques, alluvions en particulier. » (Tlfi)
Cette idée de relever et préciser des termes peu ou mal connus de moi, la continuer et l’assortir des citations où ils sont in situ. Le flotoir est aussi un dictionnaire !
« Cette petite ville de piémont, malgré ce qu’elle a dû perdre (ses salines, puis sa faïencerie), avait de la tenue et quelque chose d’un charme lointain [...] » (JC Bailly, Le Dépaysement, à propos de Salins-Les-Bains, p. 274)
Passé et lieux (Bailly), la méthode sensible
« De tout cela, qui est toujours à l’œuvre sous le décor parfois bouleversé d’aujourd’hui, un promeneur peut se rendre compte : captive et captivante est la façon selon laquelle le passé se filtre continûment dans le présent » et après avoir précisé que cela n’a évidemment rien à voir avec le patrimoine, il ajoute « quelque chose de flottant, comme l’esprit des rivières, quelque chose de discret et d’insituable, qui pourtant irradie une contrée et parfois s’y dépose. » (274)
→ c’est une méthode de lecture du paysage, un guide pour la promenade mais à condition sans doute ici encore de privilégier non pas l’attitude touristique, tournée vers le patrimoine, mais une écoute flottante, ouvrant les pores d’une forme de réceptivité plus subtile, qui me semble être à l’évidence la façon dont Jean-Christophe Bailly aborde un lieu, l’écoute de tout son être, et cela malgré l’ampleur de toutes ses connaissances, de ses savoirs, historiques, géographiques, philosophiques, géologique, rien donc d’une attitude naïve et désinvolte, mais la mise en contact en soi-même de ce fond de connaissances totalement intégrées, faites siennes, avec une forme de perception aiguisée par leur présence certes mais néanmoins entièrement sensible, au plus beau sens du mot. Et ici, j’entends soudain en moi le mot allemand sensibel, et la très belle explication donnée par Mireille Gansel sur les questions que lui posa ce mot, à l’orée de son travail de traduction de Rainer Kunze.
« était venu s’instiller un très subtil et très loyal souvenir, fin comme un présage, de tous les rêves faits en ce pays », ainsi JC Bailly conclut-il ce magnifique chapitre consacré à la rivière La Loue.
Puits (ou cavernes) du temps (Bailly)
Bailly qui s’en va sur une autre rivière, La Vézère, et sa vallée aux 147 gisements archéologiques, aux 25 grottes ornées. Il évoque Pierre Michon qui, dit-il, « a remarquablement attrapé cela, cette sorte d’appel muet qui, venant du fond des âges, semble siphonner tout le pays et placer sa rumeur sous les gestes et les corps en les enroulant dans sa nuit. ».
→Il me semble que l’on pourrait appliquer cette remarque aussi à Pierre Bergounioux.
→et comment ne pas entendre cette rumeur en écoutant la musique du Moyen-Age, de la Renaissance, du XVIème siècle, tel ce In darknesse let me dwell de Dowland (1553-1626) que j’entends à l’instant…
Un montage, Catherine Weinzaepflen & Christine Jeanney
La première écrit :
« j’aurais pu écrire un journal, y consigner la chronologie de mes journées mais l’histoire des vies est fausse, les évènements ne se succèdent pas, ils se mêlent. Je ne crois qu’au présent » (Catherine Weinzaepflen, Celle-là, Éditions des Femmes, p. 15) – (noté le 5 mars 2012)
Et la seconde :
« Revenir à lui, lui qui vient d’apparaître et roule, chronologie admise (le contrat faux, s’imaginer que les heures se succèdent sans se doubler se dépasser, alors que bien sûr non, un souvenir imbriqué en écharde, l’intuition du demain, ordonnancement fouillis, projection modifiée, étape ratée, et qu’est-ce qui reste au fond, de chronologique que le présent). (Christine Jeanney, dans son étonnant et encore inédit Lotus Seven)
→ et comment ne pas voir les échos, multiples, rebondissant, entre toutes ces considérations sur le temps, partout sans doute dans le flotoir dont il me semble que c’est un des thèmes majeurs, pour ne pas dire le thème et ici, Bailly, Llansol sans doute, Weinzaepflen, Jeanney ? Pli selon pli, le temps passé collé au présent.
destin d’effacement
signes, traces, destin d’effacement, laisses reprises par la mer – sauf gravés, peints peut-être sur une paroi – pierres des jardins, des chemins, vouées à l’indifférence, à l’oubli sauf ramassées, gardées au fond d’une poche, seules, sans nom, en traversée du temps, silencieuses : nous regardent.