Ciel
Inchangé, 13°, pollution aux particules fines, avec un pic sans doute aujourd’hui. Les yeux piquent.
sauvages de ma rue
Bien aimé l’idée de cette initiative de recensement par chacun de la flore de son coin de ville. Un « observatoire de vigie-nature », qui s’attache à toutes ces petites plantes sauvages qui poussent un peu partout, auxquelles je suis attentive et sensible depuis de nombreuses années et que j’ai souvent photographiées.
les destinations non suivies
Jean-Christophe Bailly, in Le Dépaysement (409) fait un peu le bilan du parcours qu’il a suivi dans ce livre et parle de « l’immense réseau latent des pistes non suivies ».
→ sentiment d’être en présence, en permanence, de cette immense réseau, toutes les tentations, tous les désirs, toutes les envies de pistes non suivies, par exemple, pour rester dans la ligne du paragraphe précédent, celle d’une connaissance bien plus grande de la flore, des plantes sauvages, des fleurs, des arbres, des insectes aussi, des papillons. Piste non suivie. Pistes non suivies aussi dans le domaine des lectures, où il faut que les idées surgies puis disparues insistent parfois pour qu’on en vienne à se porter vers le Lenz de Büchner (je vais y revenir) ou vers Don Quichotte…. œuvres qui semblent vous appeler, vous regarder, vous dire « alors, c’est pour bientôt ?). Tant de pistes non suivies.
→ devant l’impossibilité de suivre toutes les pistes, innombrables, à la mesure de la dévorante curiosité du monde, savoir repérer et emprunter les « étranges et imprévues bifurcations » qui en général, font sens bien plus qu’on ne le croie.
→ N’avais jamais remarqué que le mot bifurcation contenait celui de biffures, pour bifurquer, il faut rayer une autre destination possible.
Le goût des lisières
Ce qui m’amène à un goût fort, identifié tout récemment sans doute au contact de ces lectures géographiques à certains égards que sont celles de Bailly et de Pélissier : le goût, l’attrait pour les lisières. Ces territoires, parfois larges, où un milieu le cède à un autre, mais où se jouent les échanges. Lisière par exemple entre bois et champ, entre pré et rive, entre ville et banlieue, entre zone d’activité intense et poche de silence comme la ville la plus bruyante en réserve de très surprenantes. Silence persistant là comme les petites mauvaises herbes déjointant les pavés ou désarmant le béton.
Empreinte des territoires originels (Pélissier)
« Si l’on peut concevoir que notre cœur et notre entendement ne sont pas indifférents au dehors où nous avons provisoirement débarqué [...], que dans l’étendue sensible où nous sommes versés nous trouvons les ressorts et même le principe de toute étendue intérieure, et qu’en somme notre être est bien, pour partie, de réflexion, alors cette marge perdue, ce débord clandestin m’a livré quelques signes. Il me soufflerait parfois [...] une sorte d’attention à ce qui se tient ou s’anime dans le silence, aux présences improbables, aux visites muettes, à tout ce qui vit sans titre de séjour, à ce qui parle non pas en figures mais en clarté, à ce qui dément les raisons raisonnables, les clôtures officielles » (Vincent Pélissier, Toucher terre, p. 69)
→ toujours ce façonnage, ce façonnement multiple de l’être intérieur, qui configurent l’étendue intérieure, polarisant telle ou telle part de notre sensibilité qui sera désormais réceptive à telles ondes et pas à telles autres, qui nous demeureront étrangères, quels que soient nos désirs et nos efforts. L’empreinte du territoire. Est-ce à dire que nous ne saurons être bien que dans des lieux qui ont quelque chose à voir avec ces lieux d’origine, même de très loin, même à l’autre bout du monde, une certaine configuration générale, une forme d’ambiance géographique ?
→ ce passage qui évoque aussi fortement la démarche de Bergounioux, l’éclaire en profondeur. Il est bien sorti de son territoire obscur, décrit souvent chez lui comme arriéré, pour aller se frotter à la vie, aux études de haut niveau, mais l’empreinte a conditionné d’une certaine façon toute sa vie et très profondément son écriture qui n’a eu de cesse de retourner vers ces impressions premières.
Mais Lenz…
Choc profond de la lecture, d’une seule traite, du Lenz de Büchner, dans la traduction de Jean Pierre Lefebvre. Et ici encore ce phénomène de constellation évoquée hier. Dans Le Dépaysement, que je viens de terminer, dans les pages de remerciements, Jean-Christophe Bailly évoque une invitation faite par Isabelle Howald et Gérard Haller à leurs « Lectures dans la montagne », près de Strasbourg, un 20 janvier, « date anniversaire du départ de Lenz dans la forêt, tout près de là ». Date aussi on le sait de la conférence de Wannsee qui en 1942 devait décider de la « solution finale », comme le rappelle Jean-Pierre Lefebvre dans sa très belle introduction. « L’évènement 20 janvier, la date-schibboleth »
→ Je suis sortie enfin d’une sorte de confusion autour de ce nom de Lenz, puisque se mêlait le nom de l’œuvre de Büchner et le nom de l’écrivain allemand, sujet et objet de cette nouvelle. Deux écrivains que séparent plus d’un demi-siècle puisque Lenz est né en 1751 et est mort en 1793 et se rattache au mouvement artistique et littéraire Sturm und Drang et que Büchner, mort à 23 ans, en 1837, est né en 1813. L’histoire de la nouvelle Lenz a été inspirée à Büchner par un épisode réel de la vie de Lenz : Lavater, l’éminent physiognomoniste, tente de le soigner de graves crises d’origine psychique en l’envoyant chez le pasteur Jean-Frédéric Oberlin. Le 20 janvier 1778, Lenz se rend à pied de Strasbourg à Waldersbach dans le Ban de la Roche (Steintal en allemand).
Ce sont ce périple et le séjour chez Oberlin qui forment le sujet de la nouvelle de Georg Büchner composée en 1835.
Récit totalement fulgurant ! D’une beauté et d’une profondeur inouïe. Avec lors de cette première lecture, la double impression faite par les descriptions de paysages de montagne, mais aussi le fait que cette description n’est pas faite par un observateur neutre, ni par une sorte de peintre qui s’attacherait à le décrire minutieusement, mais avec les yeux d’un être profondément troublé sur le plan mental et à qui ce trouble donne une perception très particulière de la réalité : non pas déformée mais d’une certaine manière plus réelle que le réel perçu par un être ordinaire, tout blindé dans ses défenses. Il y a une sorte de contact direct et parfois terrifiant de Lenz avec la masse rocheuse, le ciel, le poids du paysage qui est admirablement rendu. Descriptions liées et puissantes, des états intérieurs du jeune homme, en proie à des crises terribles, dont il se délivre parfois en allant se jeter en pleine nuit dans la fontaine d’eau glacée qui est au bas de la demeure du pasteur ou par de très longues marches solitaires.
Il faut maintenant chercher le texte allemand et tenter une relecture dans la langue originale !
et son ombre, le ciel
la roche l’eau l’eau la roche, le poids, l’amas, la force : écrasement – le ciel éternel, bleu foudre cuisant, un coin dans la chair fragile et ses remous muets – l’eau à peine, neige, calme et gel, froid d’âme et en veines, courant, courant, fuir l’emprise écrasante, roche et son ombre, le ciel
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