Ciel
Très beau temps, beaucoup de lumière, fraîcheur, une dizaine de degrés.
Persistance et défense
Il y a, à notre insu la plupart du temps, une trace quasi physique du passé tout récent alors même que nous sommes engagés, résolument, et en apparence sans arrière-pensée, dans le fil, le courant du présent. Un long trajet en voiture laisse trace d’une sorte de déplacement, même lorsque celui-ci est matériellement achevé.
Confirmation d’une impression (Llansol)
« Finalement, ma vie est une quête spirituelle » (102)
Je continue donc la lecture de Finita de Maria Gabriela Llansol, livre qui me déconcerte, qui m’échappe complètement par maints aspects mais qui en même temps me retient par je ne sais quoi. Il y a cet aspect mystique déjà évoqué qui me rebute mais en même temps il est lié à un ancrage dans le réel très particulier et par ailleurs il y a glissement perpétuel des plans de conscience, images et sensations, projections et souvenirs, présences intérieures quasi hallucinées.
Écriture (Llansol)
« Je souhaiterais une écriture vivante que je puisse prendre pour une rencontre. » (125)
→ difficile à interpréter, un peu énigmatique. Mais il semblerait que chez Llansol, le moi soit très dilué dans quelque chose de plus vaste et que l’écriture soit le terrain de la rencontre avec des voix et des figures intérieures, quasi tangibles, aussi réelles, voire même plus que les êtres extérieurs (mis à part sans doute Augusto, le mari et Cristina, l’amie). Il y aurait une sorte de caractère étranger du livre, qui serait donné et non produit ? ?
A rapprocher peut-être de Florence Pazzottu : « Livre, cette forme non sue que le travail délivre » in l’Inadéquat, p. 63.
La couleur verte (Llansol)
Très belle page (126) sur le jardin et qui se termine par « Je m’assieds sur la poussière lumineuse, légèrement fatiguée. Aujourd’hui, je suis devenue complice de la couleur verte. C’est mon huile d’écriture. »
→ ce qu’elle écrit là me rappelle les sensations parfois éprouvées lors d’une séance de photos, lorsque la conscience semble disparaître, que l’on n’est plus que dans la vision dans l’objectif, le monde observé, les formes et les couleurs souvent inouïes que l’on trouve là, si l’on scrute d’un peu près… et l’immersion, quasi physique, dans une couleur. Et ce qui semble être une prédilection partagée pour le vert, dont ce n’est pas la première mention dans le livre.
De l’usage des choses et de la mémoire (Llansol, Adrienne Rich)
Dans la droite ligne de cette note sur le vert, cela : « Oui, les choses sont un moyen de connaissance, à mesure qu’elles se présentent, elles expérimentent notre pensée et mettent à l’épreuve notre façon d’agir. Je les dispose d’une certaine façon et déjà d’autres perceptions surgissent, je les change de place et j’établis entre elles des liens de réciprocité, et déjà de nouveaux êtres se présentent et commencent à s’exprimer (envers moi), afin que je ne les abandonne pas, les décrive, les sustente, les renforce dans leur réalité naissante. ; quand j’aurais tout abandonné (je pense à la mort), il y aura des objets qui, dans d’autres maisons, appelleront quelqu’un à leur destin. » (p. 127)
→ il y a là une idée de personnification des choses et des sensations qui me semble aussi une clé pour comprendre cette pensée et cette écriture si particulières. Une écriture qui gomme les frontières entre les genres, entre les champs, qui fond les identités intérieures et extérieures en une seule entité, très riche, vivante et effrayante en même temps par certains côtés.
→ idée aussi d’une certaine responsabilité par rapport aux choses, au monde qui serait peut-être fondamentalement celle de la poésie. Rendre compte du silencieux, de cette vie-là omniprésente mais que tout tend à faire disparaître, dans un monde affolé de bruit intérieur et extérieur. Surgit ici de nouveau cette image fortement installée, au point d’être devenue récurrente, d’objets poussiéreux dans le tiroir d’un vieux meuble remisé dans un grenier, dans un poème d’Adrienne Rich.
« Un des tropes qui me frappe comme "cinématique" (par son efficacité visuelle, mélange de repos et de mouvement), récurrent comme un leitmotiv dans les poèmes de Rich est celui de mains s'emparant de menus objets récupérés et entreprenant de construire quelque chose : fragments noirs et bruns de poterie ramassés sur un site archéologique et conservés dans un pot cabossé ("Shooting Scripts") ; un petit camion jouet et deux fusibles poussiéreux mais encore bons dans un tiroir inexploré depuis longtemps ("From An Old House in America") ; des clés et un œil de verre dans le compartiment d'une commode en bois du XVIIe ("When We Dead Awaken") ; une table achetée dans une vente de charité, couverte de soucoupes en porcelaine, des chausse-pied en argent, une boite à biscuits 1930 en fer blanc ("Natural Ressources") ; des plumes en bronze collées pour former des ailes et des bouteilles en verre vertes cassées ("Margherita") – et il y en a d'autres, partageant tous l'énergie latente de la récupération, du patchwork, du collage. » (Article de Marilyn Hacker, paru dans Poezibao le 15 juillet 2006)
→ où l’on voit aussi que la mémoire opère des transformations sur les souvenirs, avec tendance à en amalgamer un certain nombre, pour former une nouvelle image. Je n’avais pas le souvenir de toute cette énumération, fondue en une seule image, des objets dans le tiroir d’une commode ! On pourrait parler ici du caractère métamorphique (comme on le dit d’une roche) du souvenir, recomposant ses éléments constitutifs du fait de la pression exercée par le temps. Curieux qu’il n’y ait pas une mesure physique de la pression du temps, comme il y en a pour l’atmosphère ou la masse liquide !
Nécessairement l’héritière (Llansol)
Dans une page où elle parle de sa mère, d’une tante, d’une sorte d’héritage familial, Maria Gabriela Llansol écrit : « Je suis nécessairement l’héritière, j’ai unifié nombre de perceptions perdues de ces êtres, et je les ai reliées entre elles ».
Cette idée de la généalogie intérieure, celle d’une transmission quasi occulte, de traits, de perceptions, de sensations, qui très curieusement semblent infuser d’une génération à l’autre, mais uniquement par certains canaux de l’ascendance. Je pense ici notamment à nombre de poèmes très généalogiques de Maryse Hache.
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