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Rédigé par Florence Trocmé le 24 mars 2012 à 16h30 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
toujours très beau, presque 15° ce matin, anomalie saisonnière de nouveau ; le marchand de légumes vend des pots de petites herbes aromatiques car, dit-il, dans les jardins tout a gelé.
De la lecture toujours (Marielle Macé)
« La plupart des théories de la réception regardent la lecture comme un "moment" autonome, séparé et même un peu exorbitant : un comblement de lacunes, une suractivité sémiotique où, quelle que soit l’importance supposée du lecteur, il manque toute la part du devenir, de l’intériorisation lente, de la durée existentielle où reposent en réalité beaucoup d’enjeux de la lecture. » (Marielle Macé, Façons de lire, manières de vivre, p. 107)
→ cette remarque me semble essentielle ! J’aurais envie ici de joindre deux domaines sur lesquelles je tente de me pencher en ce moment, lecture et géologie. Car il semble bien qu’il y ait une véritable sédimentation des lectures dans le for intérieur, tout comme de minuscules particules pleuvant sur une surface réceptive (laquelle ? inconscient dit collectif ?) et aboutissant, par longueur de temps, à former de grands agrégats. En cela seul, la lecture fait quelque chose au lecteur. Ce qu’il a lu, en quelque sorte il ne peut plus ne pas l’avoir lu et cela même s’il oublie complètement cette lecture, le titre même du livre, voire le nom de l’auteur. Se forment ainsi des sortes de filons intérieurs, formés par ces dépôts de la lecture.
→ de plus il semble évident que la lecture n’est pas que le fait de l’instant où elle se produit, matériellement. Livre refermé, il y a souvent une sorte de prégnance de la lecture, phénomène surtout frappant dans l’adolescence, lorsqu’au terme d’heures de lecture, plus un moins emporté dans le livre, le lecteur demeure longtemps dans son aura, coupé en partie du réel, absent aux autres, absorbé, dans la tension dynamique aussi du retour, le plus vite possible, au livre, à la lecture. Avec le destin souvent déceptif de ce renouvellement du plaisir ou du bonheur de lire mais qui semble le fait de l’adulte plutôt que de l’adolescent….
dans l’ombre double absent
dans l’ambre le temps et dans l’ombre double absent le bleuté du jour – temps passé, couleurs délavées, fuient et meurent – de la trace, restent seuls squelette, tracé, le tu, l’enfoui, sédiments – émotion du caillou, ramas de silences concassés, à frotter non pour feu mais bruit du temps.
Rédigé par Florence Trocmé le 24 mars 2012 à 10h32 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
ciel
très beau, comme de printemps, 13°.
se laisser désorienter
Un bel article de Roger-Pol Droit dans Le Monde des Livres sur le sinologue François Jullien, à l’occasion de la parution d’un « petit » livre : Entrer dans une pensée ou des possibilités de l’esprit, titre qui me semble très en phase avec toutes mes réflexions en cours, notamment dans la confrontation avec la pensée et l’écriture ô combien étrangères de Maria Gabriela Llansol. :
« [...] l’idée de seuil. La clôture de notre pensée, il faut la franchir, sortir de nos évidences, nous laisser désorienter par une pensée étrangère. Reste à trouver le chemin. Pas question d’entrer dans une pensée comme dans un moulin. On y entre plutôt comme dans un parti, en adhérant à ses perspectives, par connivence plutôt que par critique. Et c’est par la langue qu’il faut passer d’abord, car elle seule permet d’entrevoir des opérations mentales qui nous demeurent étrangères. Du coup il devient inutile pour éprouver le vertige d’un univers différent, d’accumuler les traductions, les panoramas, les études et les commentaires. À la limite, il suffit d’une phrase, bien choisie, scrutée en VO, mot à mot, pour franchir cet invisible seuil. » (Le Monde des livres, daté vendredi 23 mars 2012, p. 1).
→ cette idée que l’a-priori favorable, l’empathie sont nécessaires pour tenter d’entrer dans une pensée plutôt qu’une position critique qui aurait quelque chose de défensif. Souvent éprouvé cela chez certains lecteurs qui penchent toujours du côté de la critique négative : une position de défense, peut-être une peur de leur propre jugement ? Et je suis bien consciente d’être trop souvent à l’extrême opposé, toujours prête à faire crédit (mais tout de même moins sans doute, au fur et à mesure qu’une certaine forme de connaissance, d’expérience, grandit).
→ cette idée que c’est la langue qui est le vecteur principal de cette connaissance possible. Si l’on va au bout de cette pensée, que je crois juste, on pourrait considérer que tous les spécialistes et experts non pratiquants de la langue du pays qu’ils étudient (mais cela existe-t-il ?) seraient incapables d’en comprendre véritablement la spécificité ?
→ idée jointe que nous avons peut-être en nous des pattern qui nous rendent sensibles à telle ou telle langue et pas à telle autre. Question de génétique peut-être, question de lieux de l’enfance et d’imprégnation à cette époque, où l’enfant n’est pas, constitutivement, dans une position critique mais dans une position totalement réceptive.
Roger-Pol Droit conclut son article sur François Jullien, en écrivant : « il s’agit d’en finir avec la vieille clôture du pré carré européen, d’envisager sans crainte les différentes possibilités de l’esprit humain, l’histoire polycentrée de l’intelligence. Entrer dans d’autres pensées, c’est en finir avec l’option "tout grec" – comme on dit "tout nucléaire" – et travailler à l’élaboration collective d’une pensée polyglotte et mobile. » (ibid.)
→ comment ne pas être d’accord devant ce programme, histoire polycentrée de l’intelligence et pensée polyglotte et mobile, mais comment ne pas éprouver un vertige, alors même qu’entrer dans la pensée des autres pays européens est déjà si difficile ! Ici de nouveau, lire est une bonne école. Lire des pensées étrangères, lire des écritures qui nous sont étrangères… et apprendre des langues.
des connivences intérieures
Ce sentiment si fort d’être en présence d’une pensée-sœur (mutatis mutandis, toutes proportions gardées et sans aucune prétention à la comparaison !) avec certains auteurs et musiciens, pour moi, parmi beaucoup, Schubert et Proust par exemple, dont j’ai le sentiment intime d’épouser la pensée musicale ou littéraire, avec qui je suis en terrain de connaissance, où je reconnais quelque chose à chaque note, à chaque mot.
objets, temps, photo (Llansol)
J’en ai fini hier soir avec finita, ce livre déconcertant mais passionnant de Maria Gabriela Llansol qui est bien l’exemple d’une écriture qui m’a demandé de franchir, un peu, la clôture de mon esprit !
« si j’aime tant ces objets, parfois d’une grande simplicité et sans aucune marque de distinction, c’est parce que là où certains voient un temps sédimenté, je vois des images superposées qui me regardent, prêtes à poursuivre leur voyage dans le il y a ». (cité dans la postface de Joao Barrento, p. 142)
→ rien de mort, donc, ni de figé, dans ces choses, dans ce monde, mais une tension non pas horizontale, vers le futur, mais verticale, dans le présent, considéré comme force dynamique et non statique. Comme si chacune de ces choses accumulait de l’énergie et que cette énergie se transmettait. Pour Llansol c’est sous forme d’images (il semble que son imaginaire soit très fortement constitué d’images ; on a le sentiment souvent d’une véritable scène intérieure !).
Il y aurait donc là une sorte d’aura, dont je ne sais si elle a à voir avec celle décrit par Benjamin, mais qui fait la force de certaines photos et aussi qui expliquerait ce phénomène que les photos, dans certains cas, prennent de l’intérêt en vieillissant, se bonifient comme un vin. Sortant de leur banalité, pour nous, pour exsuder ces images superposées dont parle MG Llansol et qui sont sans doute difficiles à percevoir dans l’image contemporaine de notre présent.
réexposition perpétuelle
(reprise de l’annotation du livre de Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être)
Comment ne pas être frappé par la similitude entre ce que dit François Jullien et ces propos de Marielle Macé : « Chaque expérience de lecture conduit à adopter un certain comportement attentionnel [...] qui n’est pas nécessairement en rapport de continuité avec nos manières d’être ou nos préférences : [elle] peut s’appuyer sur elles, les confirmer mais aussi bien les transformer ou les faire bifurquer du tout au tout, rouvrant le jeu. »
Elle continue sa réflexion autour de notre style cognitif, cette notion très féconde, déjà évoquée dans ce flotoir, pour dire que toute expérience le remet au travail « en lui donnant l’occasion concrète de s’altérer ou de se confirmer, transformant la stylisation de soi-même en tâche et en réexposition perpétuelle, ordinaire » (p. 93).
→ pour nous permettre de franchir les clôtures (défensives si souvent) de notre esprit ?
→ important de ne pas toujours aller vers le même, ce qui nous plaît, nous attire, mais aussi vers ce qui nous rebute, nous déstabilise, nous déconcerte. Pour l’éprouver, a minima, avant de le rejeter. Peut-être aussi une réponse à mon jeune ami J.K. qui s’interroge sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’art contemporain qui le rebute, alors même qu’il est conscient qu’il est difficile de faire l’impasse sur les productions contemporaines si on veut comprendre quelque chose de notre monde ?
→ dans cette optique, nécessité d’une forme de répétition de l’expérience, qui rend la tâche doublement difficile. En musique contemporaine par exemple, une première audition ne suffit presque jamais. Se souvenir des premières réactions à des musiques déconcertantes (et peu concertantes !) adoptées ensuite avec passion !
Et au demeurant, un peu plus loin, Marielle Macé rappelle la conviction de Merleau-Ponty d’une « possibilité d’augmentation des modalités de la conscience et des allures du corps dans la pratique esthétique. » (cité p. 95). Il faut donc essayer de ne pas « s’immobiliser dans un habitus perceptif » et cognitif, résister une fois encore à la tentation du même
une volée de minuscules, d’étourneaux
Palet poussé, cailloux et miettes de poucet, têtes et pierres veinées, pistes valides ou invalides, droites ou tordues mais fil d’ariane, oui, cailloux, fil, chemin – précaires, à demi enterrés, à flairer, à tâter du pied, radar et sonar, captures d’une volée de minuscules, d’étourneaux et d’idées fugitives – poussière lumineuse
Rédigé par Florence Trocmé le 23 mars 2012 à 10h42 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
Très beau temps, beaucoup de lumière, fraîcheur, une dizaine de degrés.
Persistance et défense
Il y a, à notre insu la plupart du temps, une trace quasi physique du passé tout récent alors même que nous sommes engagés, résolument, et en apparence sans arrière-pensée, dans le fil, le courant du présent. Un long trajet en voiture laisse trace d’une sorte de déplacement, même lorsque celui-ci est matériellement achevé.
Confirmation d’une impression (Llansol)
« Finalement, ma vie est une quête spirituelle » (102)
Je continue donc la lecture de Finita de Maria Gabriela Llansol, livre qui me déconcerte, qui m’échappe complètement par maints aspects mais qui en même temps me retient par je ne sais quoi. Il y a cet aspect mystique déjà évoqué qui me rebute mais en même temps il est lié à un ancrage dans le réel très particulier et par ailleurs il y a glissement perpétuel des plans de conscience, images et sensations, projections et souvenirs, présences intérieures quasi hallucinées.
Écriture (Llansol)
« Je souhaiterais une écriture vivante que je puisse prendre pour une rencontre. » (125)
→ difficile à interpréter, un peu énigmatique. Mais il semblerait que chez Llansol, le moi soit très dilué dans quelque chose de plus vaste et que l’écriture soit le terrain de la rencontre avec des voix et des figures intérieures, quasi tangibles, aussi réelles, voire même plus que les êtres extérieurs (mis à part sans doute Augusto, le mari et Cristina, l’amie). Il y aurait une sorte de caractère étranger du livre, qui serait donné et non produit ? ?
A rapprocher peut-être de Florence Pazzottu : « Livre, cette forme non sue que le travail délivre » in l’Inadéquat, p. 63.
La couleur verte (Llansol)
Très belle page (126) sur le jardin et qui se termine par « Je m’assieds sur la poussière lumineuse, légèrement fatiguée. Aujourd’hui, je suis devenue complice de la couleur verte. C’est mon huile d’écriture. »
→ ce qu’elle écrit là me rappelle les sensations parfois éprouvées lors d’une séance de photos, lorsque la conscience semble disparaître, que l’on n’est plus que dans la vision dans l’objectif, le monde observé, les formes et les couleurs souvent inouïes que l’on trouve là, si l’on scrute d’un peu près… et l’immersion, quasi physique, dans une couleur. Et ce qui semble être une prédilection partagée pour le vert, dont ce n’est pas la première mention dans le livre.
De l’usage des choses et de la mémoire (Llansol, Adrienne Rich)
Dans la droite ligne de cette note sur le vert, cela : « Oui, les choses sont un moyen de connaissance, à mesure qu’elles se présentent, elles expérimentent notre pensée et mettent à l’épreuve notre façon d’agir. Je les dispose d’une certaine façon et déjà d’autres perceptions surgissent, je les change de place et j’établis entre elles des liens de réciprocité, et déjà de nouveaux êtres se présentent et commencent à s’exprimer (envers moi), afin que je ne les abandonne pas, les décrive, les sustente, les renforce dans leur réalité naissante. ; quand j’aurais tout abandonné (je pense à la mort), il y aura des objets qui, dans d’autres maisons, appelleront quelqu’un à leur destin. » (p. 127)
→ il y a là une idée de personnification des choses et des sensations qui me semble aussi une clé pour comprendre cette pensée et cette écriture si particulières. Une écriture qui gomme les frontières entre les genres, entre les champs, qui fond les identités intérieures et extérieures en une seule entité, très riche, vivante et effrayante en même temps par certains côtés.
→ idée aussi d’une certaine responsabilité par rapport aux choses, au monde qui serait peut-être fondamentalement celle de la poésie. Rendre compte du silencieux, de cette vie-là omniprésente mais que tout tend à faire disparaître, dans un monde affolé de bruit intérieur et extérieur. Surgit ici de nouveau cette image fortement installée, au point d’être devenue récurrente, d’objets poussiéreux dans le tiroir d’un vieux meuble remisé dans un grenier, dans un poème d’Adrienne Rich.
« Un des tropes qui me frappe comme "cinématique" (par son efficacité visuelle, mélange de repos et de mouvement), récurrent comme un leitmotiv dans les poèmes de Rich est celui de mains s'emparant de menus objets récupérés et entreprenant de construire quelque chose : fragments noirs et bruns de poterie ramassés sur un site archéologique et conservés dans un pot cabossé ("Shooting Scripts") ; un petit camion jouet et deux fusibles poussiéreux mais encore bons dans un tiroir inexploré depuis longtemps ("From An Old House in America") ; des clés et un œil de verre dans le compartiment d'une commode en bois du XVIIe ("When We Dead Awaken") ; une table achetée dans une vente de charité, couverte de soucoupes en porcelaine, des chausse-pied en argent, une boite à biscuits 1930 en fer blanc ("Natural Ressources") ; des plumes en bronze collées pour former des ailes et des bouteilles en verre vertes cassées ("Margherita") – et il y en a d'autres, partageant tous l'énergie latente de la récupération, du patchwork, du collage. » (Article de Marilyn Hacker, paru dans Poezibao le 15 juillet 2006)
→ où l’on voit aussi que la mémoire opère des transformations sur les souvenirs, avec tendance à en amalgamer un certain nombre, pour former une nouvelle image. Je n’avais pas le souvenir de toute cette énumération, fondue en une seule image, des objets dans le tiroir d’une commode ! On pourrait parler ici du caractère métamorphique (comme on le dit d’une roche) du souvenir, recomposant ses éléments constitutifs du fait de la pression exercée par le temps. Curieux qu’il n’y ait pas une mesure physique de la pression du temps, comme il y en a pour l’atmosphère ou la masse liquide !
Nécessairement l’héritière (Llansol)
Dans une page où elle parle de sa mère, d’une tante, d’une sorte d’héritage familial, Maria Gabriela Llansol écrit : « Je suis nécessairement l’héritière, j’ai unifié nombre de perceptions perdues de ces êtres, et je les ai reliées entre elles ».
Cette idée de la généalogie intérieure, celle d’une transmission quasi occulte, de traits, de perceptions, de sensations, qui très curieusement semblent infuser d’une génération à l’autre, mais uniquement par certains canaux de l’ascendance. Je pense ici notamment à nombre de poèmes très généalogiques de Maryse Hache.
Rédigé par Florence Trocmé le 22 mars 2012 à 10h13 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
rose à l’aube, puis s’infusant de jaune – près de 12° - mais en suspension dans l’air, matérielle, la pollution dégrade la lumière
Mots, un « suicide documenté »
Profondément choquée par ce titre du Monde (via Google Reader)
« Le cadre de La Poste qui s'est suicidé dimanche avait documenté son geste »
Le plus proche (Marilyne Desbiolles)
« Je fais le pari que le plus proche n’est jamais donné, que le même n’est jamais connu, et qu’en l’arpentant, en l’observant, on peut le déployer à l’infini » (Marilyne Desbiolles, dans une interview à la Quinzaine littéraire, du 16 mars, p. 5)
→ ce que je ressens parfois, en explorant le territoire proche de chez moi, lorsque je promène mon chien imaginaire et surtout lorsque j’ai un appareil de photo qui m’ouvre littéralement les yeux….
Terza pagina
belle allusion de Philippe di Meo dans un article sur Alphabets de Claudio Magris (ma prochaine lecture !) à la pratique des journaux italiens, sans doute condamnée, de toujours consacrer la page trois à la culture. Terza pagina où nous dit-il s’illustrèrent aussi bien Landolfi, Calvino, Pasolini, Moravia, Zanzotto que plus récemment Citati et Magris (excusez du peu !)
(Quinzaine littéraire du 16 mars, p. 11)
Données personnelles (internet)
« Si vous ne payez pas un service sur le net, c’est que vous n’êtes pas le consommateur, vous êtes le produit vendu. » (Andrew Lewis, blogueur américain cité dans Le Monde du 16 mars 2012)
→ C’est terrifiant en réalité si on essaie de penser plus avant. J’ai le tort de me sentir un peu protégée par l’étroitesse de mon domaine, la littérature, et son peu d’intérêt commercial. Si je cherche James Sacré ou Marielle Macé sur le net, je ne vois arriver aucune proposition vaseuse dans mon courriel. Les rares fois où je cherche un objet de grande consommation, il en va tout autrement. Ce n’est plus l’œil de Caïn dans la tombe c’est celui de la grande déesse Commerce derrière l’écran, qui nous regarde tout aussi intensément et en connaissance de cause.
Dans le même article, un chercheur affirmait que les données personnelles étaient le pétrole de demain ! Pour employer une expression familière contemporaine : bonjour la comparaison ! Nous voilà réduits non plus même à un cerveau dont on louerait quelques espaces pour mieux le conditionner, mais à une mer noire de goûts, de désirs manipulés, plutôt même de pulsions (au sens psychanalytique). À extraire par la technique de la fragmentation bien entendu. Je crois qu’ici comme toujours le vocabulaire est très loin d’être anodin.
Japon (Le Monde) et langues
Supplément Japon dans Le Monde des livres, Japon qui est l’invité d’honneur du Salon du livre inauguré hier soir. Je relève dans un article consacré à une « Tokyoïte de Berlin », Yoko Tawada, des propos intéressants sur les langues, pour elle qui est passée du japonais à l’allemand et qui écrit dans les deux langues, si bien que son livre Journal des jours tremblants, après Fukushima, porte la double mention traduit de l’allemand par B. Banoun et traduit du japonais par C. Sakai (et paraissant chez Verdier, ce qui est un indice de qualité !) : « une langue est d’abord une vibration, une force vivante qui circule entre individus. L’important n’est pas qu’elle soit ou non "maternelle", mais qu’elle puise son énergie dans le corps et qu’elle s’extériorise. À partir de là, j’ai cessé de me dire : "cette langue est la mienne, celle-là ne l’est pas." (Monde des Livres, vendredi 16 mars 2012, p. 1)
→ ce qui est aussi libérateur pour les apprentis linguistes ! Ce qui compte c’est le désir de parler à un moment donné dans cette langue-là (ce phénomène toujours surprenant de voir surgir dans le tissu de notre langue usuelle des mots d’origine étrangère, des bouts de phrases dans une autre langue… pourquoi ? À quoi cela renvoie-t-il ?)
À noter que Yoko Tawada a fait une thèse en allemand sur la littérature européenne (elle est née en 1960 et est venue en Allemagne en 1982).
→ Une manière, pour reprendre un propos de Barthes cité dans l’article d’ « éprouver l’hémorragie, la dissolution du moi » et de « défaire le réel sous l’effet d’autres découpages », tout cela advenant lorsque l’on connait une langue étrangère que cependant on ne comprend pas…
→ c’est aussi la chance de réapprendre et de travailler une langue étrangère à l’âge adulte, en étant capable de prendre conscience de la différence essentielle d’appréhension du monde et de la réalité qui se traduit dans la façon dont cette autre langue est fabriquée !
Maria Gabriela Llansol, la « langue de la nature »
Poursuite de la lecture de Finita.
« Tout ce que je sens, autour de moi, devient synonyme d’être vivant. En toute forme, il y a vie et mouvement, compréhension et projet, perception et sensibilité. Cette pierre que j’ai posée au centre de notre table de Noël, et que j’ai apportée du Portugal battue par les vents, sait que le réel a un revers et une face. Mais moi j’ignore comment elle sait que le revers n’est pas entièrement inaccessible. » (Finita, p. 90)
→ beauté en partie énigmatique de cette phrase, qui me semble très emblématique de la personnalité littéraire très particulière de MG Llansol, ce que j’ai appelé la porosité entre les règnes, entre le dedans et le dehors, entre ce qui est soi et ce qui ne l’est pas, cette manière qu’elle a de s’incorporer aussi bien un écrivain qu’un arbuste de son jardin. Et qui se traduit entre autres par un recours fréquent à l’oxymore.
Et un peu plus loin : « comment la langue de la Nature a-t-elle pu devenir langue morte. Cette langue est morte parce que nous ne parlions pas avec Elle, ou bien la Nature elle-même aurait-elle cessé de parler ? A quel moment l’homme, dans sa forme la plus apte, s’est-il pris pour une forme unique et exclusive ? » (p. 90)
Lire (Llansol)
« La finalité de lire n’est pas de garder en mémoire. Moi, j’oublie ce que je lis, mais à la tombée de la nuit, je le retrouve. Le fondement de ma lecture est la question suivante :
"Combien de temps lis-tu durant une courte période vaste ?"
Une seconde, une minute, une année, toute cette nuit, ou toute cette vie ? Lire se déploie à travers le temps et exige de l’espace au jour le jour pour projeter son ombre. Lire se déploie sur des versants inconnus, et moi, je lis peu, mais infiniment. De ces métaux précieux je choisis un métal, et je le transforme intégralement en mon étoile. » (p. 95)
→ cette dernière phrase il me semble que je pourrais la placer en exergue de tout mon flotoir. J’y reconnais quelque chose de ma façon de lire. Le livre étant pour moi une carrière, une mine, dont j’extraie toutes sortes de matériaux, pour cette construction éphémère qu’elle le flotoir, certains matériaux inclus tels qu’ils sont et sans commentaires, d’autres au contraire origine de tout un développement, appui pour une pensée hésitante, inducteur comme j’aime le dire. Inducteur de pensée, de rêve, de dynamique, de désir….
Mais l’écueil serait la prédation. Il faut sans doute développer une sorte d’éthique de la lecture (dont le versant le plus noir serait l’appropriation, avec sa figure clé, le plagiat).
→ Très belle aussi l’idée de l’ombre projetée par le lire sur la vie : souvenir des journées presqu’hallucinées de l’enfance, totalement dédiées à la lecture, avec quasi perte de l’identité propre.
→ La lecture se projette souvent sur les heures de la journée exactement de la même façon qu’un rêve un peu prégnant. L’une et l’autre imprègnent la teneur du jour, versant mélancolie ou versant euphorie.
Bach (Llansol)
avec cette note qui atteste du versant mystique de Maria Gabriela Llansol déjà évoqué à plusieurs reprises dans ce petit « journal de lecture » de finita :
« Bach a volé nu, et a réalisé qu’il avait des bras. Celui qui vole vers lui-même trouvera, au fond de l’ogive, une porte ouverte. Voler vers soi c’est disparaître dans la lumière de sa propre expérience. » (p.96)
→ disparaître au cœur de son expérience de lecture….
Rédigé par Florence Trocmé le 16 mars 2012 à 10h03 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
pastilles roses mouvantes de l’aube – lumière à flots, voilée – 10°
Maria Gabriela Llansol
Toujours aussi déconcertée par cette lecture de finita mais le livre ne suscite cependant pas de lassitude ou de rejet. Il échappe mais n’exclut pas le lecteur, très curieusement. Peut-être peut-on trouver dans cette citation un début de compréhension : « Toutes ces pensées, ces notes, sont mes personnages, mes interlocuteurs. Ils m’interpellent, tout autant que la vie quotidienne et, ensemble, ils forment un tout récurrent. » (p. 56)
→ il me semble en effet qu’il y a une étonnante porosité des règnes et des domaines chez elle. Il y a une sorte de communication osmotique permanente entre des éléments que l’on considère d’habitude comme extérieurs à soi, ne faisant pas partie de soi-même et le for intérieur. Les lectures notamment, plus encore les écrivains deviennent parts d’elle-même, aspects de sa personnalité. Elle est d’une certaine façon Hadewijch, mystique et poète du XIIIe siècle dont elle parle sans cesse, elle est Ana de Peñalosa, une proche de Saint Jean de la Croix (noter toutefois qu’il ne me semble pas y avoir de dimension mystique religieuse chez elle, aucune référence apparemment à une transcendance, mais des notions assez difficiles à interpréter, comme ce mutuel, qui revient souvent). Porosité des règnes aussi, en ce sens qu’animaux et plantes sont placés exactement sur le même plan que ces personnages-là. C’est tout autre chose me semble-t-il qu’un mécanisme d’identification. C’est vraiment une sorte d’incorporation au sens le plus physique du terme de l’autre -écrivain, prunus, chat- à soi-même, parts de soi devenus.
Llansol et la production littéraire
« Ce qui me choque, c’est l’immensité des textes qui ne subsisteront pas et qui, aujourd’hui, dans l’espace clos de la librairie, font un bruit assourdissant de "papotage" qui a rendu presqu’inaudible le dialogue entre les livres qui se parlent et maintiennent entre eux l’art de la conversation interminable sur l’entr’être »
→ Comment ne pas relever ces mots, au matin même de l’inauguration du Salon du livre, dont j’entends, presque matériellement, la rumeur, le bourdonnement excité et vain, les livres de papotage occupant le devant de la scène, tels des stars du show-biz et les livres importants broyés, ridiculisés, néantisés par « l’éreintant laminoir des puissances médiatiques » (JC Bailly).
« Je m’enveloppe » (Llansol)
à la suite d’une rencontre qui la met mal : « Atroce, surtout quelques heures plus tard quand l’anesthésie de l’extraversion s’évanouit.
Je m’enveloppe
pour oublier,
dans des couvertures textuelles et animales » (p. 78)
→ remarquable décryptage d’un double ressenti, souvent éprouvé. Celui du retour à soi, au for intérieur, en général plutôt apaisant et bénéfique, a contrario de ce qu’elle écrit ici, après l’extraversion qui peut être une rencontre, un spectacle, un évènement…. et cette merveille : l’enveloppement dans la couverture douce, chaude, bienfaisante, toujours disponible du livre. Qui signe le retour à soi aussi, la plupart du temps, une reprise de possession de son for intérieur, envahi parfois très insidieusement par autrui, ou par le monde extérieur.
De la politique culturelle (JC Bailly)
Jean-Christophe Bailly, toujours dans Le Dépaysement, émet un point de vue très nuancé sur cette question (mais comment s’en étonner, étant donné tout ce qu’on a déjà lu, qui n’est jamais partial, qui prend en compte différents angles de vue ?) :
(Il est question de musées, de reconstitutions d’intérieurs historiques ou artistiques) « Aussi agaçant que l’excitation patrimoniale à tout-va est le dénigrement systématique, au nom d’une radicalité qui n’est que feinte : ici aucune généralisation n’est possible. Il y a des lieux qui sont justes, laissant au visiteur le soin de pousser lui-même comme il l’entend le curseur de la mémoire et des lieux qui sont faux, où tout est fait pour bloquer la pensée au stade du réflexe devant l’imagerie. » (p. 310)
Et il ajoute que l’un des bons critères est la librairie du musée ou de la maison et son contenu : brochures clinquantes et produits dérivés versus livres, choisis avec soin en fonction du lieu, de ses thématiques, ainsi de l’excellente sélection d’ouvrages sur le fouriérisme à la librairie du Familistère à Guise.
→ importance en tout domaine de ce qui laisse une place créatrice à celui qui lit, qui regarde, qui écoute, qui reçoit donc. Susciter la fécondité d’une rencontre avec un lieu, un artiste et non pas enfermer dans le prêt à penser aplati, formaté et souvent secrètement intéressé commercialement (le tristement célèbre temps de cerveau à louer)°
→ Quant à l’opposition entre excitation à tout-va et dénigrement systématique, elle s’applique à tout ou à peu près ! Par exemple à tout ce qui concerne aujourd’hui l’apparition du livre numérique ! Si rares sont les propos informés, nuancés, tellement omniprésents les jugements tranchés, tout blanc, tout noir, oscillant entre « c’est le seul avenir possible » et le « ça va tuer le livre…. ». Lire, c’est aussi apprendre à saisir les nuances, s’extraire d’une pensée binaire,très violente au fond, si facilement induite par tout le contexte de l’époque.
Tresse et ligne de flottaison (Christine Jeanney)
Dans Lotus Seven, elle tresse une double réalité (deux au minimum, sans doute plus de réalités encore à certains moments), celle d’une histoire un peu mythique (il faudrait relire Barthes, je suis sûre que certains de ses points de vue éclairerait la lecture de Lotus Seven), « Le prisonnier », une série télévisée de la fin des années soixante et celle de son enfance, à doses homéopathiques et souvent de telle façon qu’on ne soit pas dans un petit monde individuel étroit qui pourrait être de peu d’intérêt, mais que soit offerte une possibilité de penser le temps, la manière de ressentir lorsqu’on est enfant (remarquable aptitude à condenser ces sensations-là dans un tout petit détail et à susciter des cascades d’associations chez le lecteur).
Il y a une vraie dynamique dans ce texte construit sur une contrainte extrêmement forte, puisque chaque partie est constituée de 48 paragraphes (48 mn, durée des épisodes du feuilleton) de 60 mots. Cela n’enferme en rien le texte, mais au contraire lui donne une forme de tension vers l’avant, comme la flèche tracée par le sillage de la Lotus et simultanément induit un curieux mouvement, comme si le lecteur était dans l’eau et ne cessait de passer la ligne de flottaison, surface et ciel, sous-surface et eau, comme lorsqu’on se laisse flotter avec un masque, juste à la lisière de l’air et de l’eau.
Infime rigole
infime rigole de si peu d’eau, d’eau si peu pour soif ou frais, serpente à fleur de terre vite bue vite revue, joueuse, à suivre, truffe au sol, sourcier sans baguette – résistante, rebelle à assèchement, craquelures et nervures fines en découpe de blocs, insistant à tout petit bruit, forant, sapant, élimant, limant en limailles infimes – force du temps rongeur & de l’eau patiente.
Rédigé par Florence Trocmé le 15 mars 2012 à 09h59 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 14 mars 2012 à 13h24 dans cailloux-têtes | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
du beau, du très beau, prémices de printemps ? Du rose à l’aube, pas de brume ni brouillard, 7°.
Maria Gabriela Llansol
Le journal de cet écrivain d’origine portugaise est très déconcertant, parce qu’il échappe complètement à la prise, aux codes, références et signes habituels et en même temps il en émane une force étrange. Il est particulièrement difficile de le commenter et il se dérobe à mon habituelle manière de lire ! Je coche, parfois mais je reste stérile quant aux développements à apporter à ce qu’elle dit. Envie de le retenir mais impossibilité de le situer, de le classer, de le comprendre même. Et pourtant désir d’insister dans la lecture, prenante.
« Sans aucun pays nulle part, sauf dans le vide où je me suis livrée à une commune ère, commune ère réelle parce qu’imaginaire et imaginaire parce que vraie. L’écriture, les animaux font partie de cette frange, et ce sont de tels êtres exclus par les hommes que je reçois. » (MG Llansol, finita, p. 45). Et un peu plus loin, page 49, elle ajoute « il faut écrire à tous les êtres » (dans un contexte, il faut le préciser, où elle parle d’un chiot)
Avec les écrivains (Llansol)
Ce qui est très troublant mais qui serait au fond un peu comme une démonstration, poussée à l’extrême de la logique, de ce que dit Marielle Macé, c’est la façon dont elle s’incorpore littéralement les écrivains (et non pas les lectures). Dans une note relevée précédemment, elle montrait comme elle vivait chaque nouvelle lecture comme une rencontre ou une possibilité de rencontre. Pas avec un texte ou avec des idées, mais avec un être, quasi vivant, en tous cas un être qu’elle peut adopter comme un tout proche. Il est alors parfois difficile de distinguer dans ce qu’elle écrit qui parle, elle ou lui, elle ou elle ? Parfois aussi la rencontre est critique, elle refuse le propos de l’écrivain et son être même, c’est flagrant quand elle commence à lire les Miettes philosophiques de Kierkegaard.
Il semble aussi que ses références majeures soient Saint Jean de La Croix, Thomas Müntzer, l’un des protagonistes de la Réforme et Ana de Peñalosa (une proche de St Jean de la Croix).
Mais elle a aussi le même type de rapport avec les plantes ! « Mais, si je reste au milieu de la cour, j’appellerai Prunus Triloba, Forsythia, Aspirea, des arbustes que j’ai plantés dans l’espoir, à l’heure de mourir, de leur donner mon corps, et de les replanter les jours de mon éternité. Des êtres qui n’envahissent pas avec des mots, qui s’anéantissent à travers leurs propres odeurs et formes. » (50)
Façons de lire ! (Llansol encore)
« La plupart des livres que je commence, je ne finis pas de les lire. [...] Les livres ne m’intéresseraient-ils plus ? [...] je m’intéresse à une phrase, à un fragment de texte, et très rarement à tout un livre que je lis lentement. » (52)
→ quel écho à mes propres interrogations et à ma propre pratique. Le syndrome des deux tiers, qui fait que dans la plupart des livres, je retrouve ultérieurement le signet un bon tiers avant la dernière page… !
Le conformisme humain (Bailly)
« Il est peu de spectacles humains aussi abjects que ceux offerts par le conformisme scientifique se donnant de grands airs et clouant au pilori ceux qui, par une idée neuve, viennent bouleverser des convictions et des systèmes qui sont aussi d’inépuisables filons de carrières. »
→ Est-il nécessaire de commenter, en a-t-on même envie ? toujours ce mouvement, à l’échelle des petites écoles locales comme à celle des civilisations, en sciences dures ou humaines, en art aussi peut-être plus encore, la minuscule pointe de ceux qui viennent bouleverser le paysage et l’écrasante cohorte de ceux qui sont derrière et qui tentent d’écraser ce mouvement qui les met en péril parce qu’ils sont incapables de l’appréhender, de le plier à leur désir, de l’assujettir… spectacle abject par sa bêtise et par la souffrance qu’il induit chez ceux qui créent, à leurs risques et périls (ce fut parfois le bûcher, le goulag, le camp, ne pas l’oublier).
La dormance (Bailly)
Une superbe page, 291, et une explication de la démarche, de la quête et de la manière de JC Bailly, au moins dans ce livre.
« Il y a, pour les signes et les traces, un équivalent de ce que pour les graines et les semences, les agronomes appellent la dormance – autrement dit une capacité d’éveil ou de réveil qui se maintient en traversant le temps. »
→ que fait-il d’autre en effet dans ce livre que de chercher, par intuition beaucoup, par ce qu’il ressent ici ou là, à interroger ces traces, à les réveiller. Et il les réveille, d’une manière souvent très émouvante, sensible, vivante, suscitant chez son lecteur le souvenir de ses propres sensations, élargissant considérablement son champ intérieur, lui donnant une nouvelle méthode pour regarder et écouter le monde. Souvent « aux antipodes de la connaissance objective et des savoirs constitués », même s’il faut redire que chez Bailly, l’une et les autres sont très développés mais qu’il a su faire en sorte qu’ils n’écrasent pas l’intuition, comme les conformistes écrasent ou tentent d’écraser le créateur !
L’eau (Bailly)
Le Dépaysement restera pour moi une superbe méditation sur l’eau, plus porteuse peut-être que celle de Bachelard, qui me semble souvent convoquer un imaginaire très, trop sombre. Ici l’eau est le fil, pour la promenade, l’étude, l’intuition, elle sert de métaphore, elle porte au-delà, mais elle est la plupart du temps à dimension humaine (ce sont beaucoup des rivières, des sources, moins me semble-t-il la mer).
« L’eau. L’étrange être de l’eau dans sa figure mobile : s’écoulant toujours et demeurant toujours, même en crue, comme une vivante image du temps, [...]la rivière semble, alors même qu’elle s’efface sans fin prendre en charge tout le passé écoulé et réussir le prodige de confondre en un seul raccourci toutes les dimensions du temps – amont et aval existant simultanément aux lieux où l’on s’arrête pour prendre la mesure du flux. » (291).
→ Évocation forte à la fois d’Héraclite et de toute la très controversée (mais si féconde symboliquement) affaire de la mémoire de l’eau.
Mot : ripisylve
La forêt riveraine, rivulaire ou ripisylve (étymologiquement du latin ripa, rive et sylva, forêt est l'ensemble des formations boisées, buissonnantes et herbacées présentes sur les rives d'un cours d'eau, ou zone riparienne, la notion de rive désignant l'étendue du lit majeur du cours d'eau non submergée à l'étiage. (Wikipédia)
« Les rives sont envahies par une épaisse végétation, une ripisylve sauvage… » (JC Bailly, p. 299)
Les conditions d’apparition (Bailly)
Très importante réflexion, que l’on peut appliquer à tant de domaines aujourd’hui, me semble-t-il : celle de « la disparition pure et simple des conditions d’apparition de toute trace. » L’auteur se trouve ici à proximité d’une gigantesque usine et tente de retrouver la trace du passage de Stevenson en ce lieu… et il découvre que tout, ici, concourt à abolir la vie propre du lieu. D’autant dit-il qu’on est passé d’un « âge de la visibilité matérielle à un âge de la dissimulation » : l’usine est bien visible mais elle est « comme une citadelle ».
→ un peu comme s’il y avait meurtre, sans cadavres, ceux-là brûlés, de ces présences fantomales que l’écrivain a décelées partout dans ses voyages en France….. et qui rendent ce livre si puissant et attachant.
→ ce qui me renvoie à cette expérience personnelle, d’avoir voulu approcher un peu les quais et les bateaux, au Havre et d’en avoir été empêchée (mais ailleurs aussi, à Hambourg, à Bremerhaven, à Saint Malo) par toutes une série de barrières et d’interdictions….
Un bourg, quelque part (Bailly)
Désopilante et effarante description d’un bourg mort, comme on en traverse tant quand on est en voiture, quelque part, un bourg où le seul commerce rescapé est un coiffeur, souvent doté d’un nom improbable, à base de jeux de mots (cf. l’Invent’hair de Philippe Didion en ses « notules dominicales » !) avec portrait campé de la dame âgée avec sur la tête des « friselis argentés » [...] qui semblent être « l’accompagnement obligé d’une blouse ou d’une robe à motifs imprimés. » (303)
Deux formulations (Bailly)
« Une pelote d’affects et de connivences dont ne subsisteraient plus ici ou là que quelques entrelacs défaits. »
et
« L’éreintant laminoir des puissances médiatiques ».
→ des formulations fortes dont JC Bailly a le secret, mais qui sont présentes avec une sorte de discrétion dans son texte, qui ne cherche pas à éblouir par sa virtuosité, mais à être au plus près, précisément de ces affects et de ces connivences, cherchées ici ou là, quand il y a encore possibilité de traces avec dormance…..
à bas bruit étouffement
immense main : elle a serré, serre, imperceptiblement, lentement, sûrement, si sûrement – à bas bruit étouffement des petites herbes, comblement des ruisseaux, plomb fondu sur les vies minuscules – seule la masse, seul le poids, seule la force, goliath sans david, princes sans petits pois – craquement des jointures, qui l’aura entendu ?
Rédigé par Florence Trocmé le 14 mars 2012 à 10h16 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
ciel
Pas de rose à l’aube ce matin, en raison du brouillard qui enrobe tout, la tour, le dôme, les coteaux… une dizaine de degrés et ce retour, triste, du gris, après la lumière somptueuse d’hier
Maria-Gabriela Llansol
J’entre en douceur dans Infinita et je note cette remarque de l’auteur, Marie-Gabriella Llansol, au seuil précisément d’un livre : « J’ignore quelle rencontre m’attend » (19).
→ Je l’ignore encore quelque peu mais ce que je comprends déjà c’est que je suis ici en présence d’une personnalité très singulière, d’une pensée et d’une écriture étranges, déroutantes, à laquelle il faut se faire mais qui attire très fortement, car on la pressent profonde et révélatrice sans doute d’univers proches mais inconnus.
« Pourquoi me suis-je engagée justement dans cette écriture ? Quand ai-je cessé d’écrire des histoires, pour faufiler les passages de l’Être subtil dans vos vies ? Quand me serais-je aperçue que seul dans la proximité de ce lieu, en suivant les berges de ce passage, la vie pourrait peut-être accéder aux sources de la Joie ? À quel moment ai-je su qu’en créant des réels-non-existants seulement [...] nous ouvririons l’accès à ces sources ?
Je reste perplexe de voir que, en dehors du texte, ces réels sont évanescents. Et que si nous les perdons, nous serons réduits au chaos, sans cartographie.
Comme le monde apparaît en état de langage….
Comme ceux-ci ont surgi peu à peu sous des formes se faisant…
Comme l’on peut y retourner, en faisant et défaisant… » (Maria-Gabriela Llansol, Infinita, traduit du portugais par Cristina Isabel de Melo, Pagine d’Arte, 2012, p. 24)
→ ces notions de réels-non-existants sont pour l’instant un peu obscures et les termes d’être et de joie, avec des capitales, pourraient faire penser à un contexte où jouerait une forme de croyance, mais je crois qu’il n’en est rien, même si sans doute cette pensée-là a à voir avec celles des mystiques.
lumière et son (Llansol)
Observant la flamme d’une chandelle, Maria-Gabriela Llansol la voit soudain différemment de toutes les fois précédentes (ce qui accréditerait l’intuition que peut-être, parfois, par l’écriture et par elle seulement, elle passe une sorte de frontière pour accéder à ces réels-non-existants dont il est question plus haut ?). Elle écrit :
« j’ai senti l’égalité entre flamme, son et vibration. Le même rythme, la même oscillation, la même création d’espace, la même variété de "temps", l’extrêmement identique combustion.
J’ai découvert que les manifestations sonores sont des combustions lumineuses.
Les sons meurent parce qu’ils se consument et, en se consumant, ils rendent la matière évanescente.
Les sons se transforment en fumée ; celui-ci deviendra nuage.
Nuage et mélodie sont les deux faces de la matière. Rien ne se dissipe ; tout passe de mont en mont, de main en main, en retentissant. » (p. 30)
→ tout y est, le rythme, l’oscillation, la vibration, l’espace et le temps !
→ et si tout passe de mont en mont et de main en main, être passeur, transmettre le signal reçu, le réémettre au besoin avoir l’avoir amplifié, tels ces pylônes dressés sur les proéminences…. tâches de Poezibao et du flotoir ?
Piémont
« Zone de plaines et de collines située au pied d'un ensemble montagneux et résultant de l'accumulation de matériaux détritiques, alluvions en particulier. » (Tlfi)
Cette idée de relever et préciser des termes peu ou mal connus de moi, la continuer et l’assortir des citations où ils sont in situ. Le flotoir est aussi un dictionnaire !
« Cette petite ville de piémont, malgré ce qu’elle a dû perdre (ses salines, puis sa faïencerie), avait de la tenue et quelque chose d’un charme lointain [...] » (JC Bailly, Le Dépaysement, à propos de Salins-Les-Bains, p. 274)
Passé et lieux (Bailly), la méthode sensible
« De tout cela, qui est toujours à l’œuvre sous le décor parfois bouleversé d’aujourd’hui, un promeneur peut se rendre compte : captive et captivante est la façon selon laquelle le passé se filtre continûment dans le présent » et après avoir précisé que cela n’a évidemment rien à voir avec le patrimoine, il ajoute « quelque chose de flottant, comme l’esprit des rivières, quelque chose de discret et d’insituable, qui pourtant irradie une contrée et parfois s’y dépose. » (274)
→ c’est une méthode de lecture du paysage, un guide pour la promenade mais à condition sans doute ici encore de privilégier non pas l’attitude touristique, tournée vers le patrimoine, mais une écoute flottante, ouvrant les pores d’une forme de réceptivité plus subtile, qui me semble être à l’évidence la façon dont Jean-Christophe Bailly aborde un lieu, l’écoute de tout son être, et cela malgré l’ampleur de toutes ses connaissances, de ses savoirs, historiques, géographiques, philosophiques, géologique, rien donc d’une attitude naïve et désinvolte, mais la mise en contact en soi-même de ce fond de connaissances totalement intégrées, faites siennes, avec une forme de perception aiguisée par leur présence certes mais néanmoins entièrement sensible, au plus beau sens du mot. Et ici, j’entends soudain en moi le mot allemand sensibel, et la très belle explication donnée par Mireille Gansel sur les questions que lui posa ce mot, à l’orée de son travail de traduction de Rainer Kunze.
« était venu s’instiller un très subtil et très loyal souvenir, fin comme un présage, de tous les rêves faits en ce pays », ainsi JC Bailly conclut-il ce magnifique chapitre consacré à la rivière La Loue.
Puits (ou cavernes) du temps (Bailly)
Bailly qui s’en va sur une autre rivière, La Vézère, et sa vallée aux 147 gisements archéologiques, aux 25 grottes ornées. Il évoque Pierre Michon qui, dit-il, « a remarquablement attrapé cela, cette sorte d’appel muet qui, venant du fond des âges, semble siphonner tout le pays et placer sa rumeur sous les gestes et les corps en les enroulant dans sa nuit. ».
→Il me semble que l’on pourrait appliquer cette remarque aussi à Pierre Bergounioux.
→et comment ne pas entendre cette rumeur en écoutant la musique du Moyen-Age, de la Renaissance, du XVIème siècle, tel ce In darknesse let me dwell de Dowland (1553-1626) que j’entends à l’instant…
Un montage, Catherine Weinzaepflen & Christine Jeanney
La première écrit :
« j’aurais pu écrire un journal, y consigner la chronologie de mes journées mais l’histoire des vies est fausse, les évènements ne se succèdent pas, ils se mêlent. Je ne crois qu’au présent » (Catherine Weinzaepflen, Celle-là, Éditions des Femmes, p. 15) – (noté le 5 mars 2012)
Et la seconde :
« Revenir à lui, lui qui vient d’apparaître et roule, chronologie admise (le contrat faux, s’imaginer que les heures se succèdent sans se doubler se dépasser, alors que bien sûr non, un souvenir imbriqué en écharde, l’intuition du demain, ordonnancement fouillis, projection modifiée, étape ratée, et qu’est-ce qui reste au fond, de chronologique que le présent). (Christine Jeanney, dans son étonnant et encore inédit Lotus Seven)
→ et comment ne pas voir les échos, multiples, rebondissant, entre toutes ces considérations sur le temps, partout sans doute dans le flotoir dont il me semble que c’est un des thèmes majeurs, pour ne pas dire le thème et ici, Bailly, Llansol sans doute, Weinzaepflen, Jeanney ? Pli selon pli, le temps passé collé au présent.
destin d’effacement
signes, traces, destin d’effacement, laisses reprises par la mer – sauf gravés, peints peut-être sur une paroi – pierres des jardins, des chemins, vouées à l’indifférence, à l’oubli sauf ramassées, gardées au fond d’une poche, seules, sans nom, en traversée du temps, silencieuses : nous regardent.
Rédigé par Florence Trocmé le 13 mars 2012 à 10h09 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent
Ciel
du rose dès l’aube, de la lumière à flots, douce, mais le ciel est voilé. 5° environ.
Nîmes (Bailly)
Parlant de Nîmes (Le Dépaysement, p. 245) Jean-Christophe Bailly donne un bel exemple du feuilletage historique en un lieu donné (toujours la double idée de feuilleter comme un livre et de strates empilées, qui sont peut-être au fond une seule et même chose ?).
Ici, le fond païen traditionnel de la source, le travail des ingénieurs romains, peut-être un lieu de culte impérial, le travail du XVIIIe siècle sans oublier le travail du temps !
Bailly, Rome et l’eau
Une page, 247, extraite ici de façon un peu exhaustive tant elle semble emblématique de la manière de Bailly.
À propos d’un certain nombre de références à la civilisation latine : « tout un matériel de raideur dont les fascismes se sont nourris et même, en Italie, gavés. (247)
Et pour explorer les oppositions à l’intérieur du caractère romain entre ce côté solide et hiérarchisé et d’autres traits, Bailly suit une fois de plus le fil de l’eau (et du jardin) « Un jardin croît, toujours un peu sauvage, à côté du cadastre. Et à ce jardin, il faut de l’eau, or c’est du côté de l’eau que peut-être s’équilibrent les grandes oppositions romaines ». Et de montrer comment on peut penser le monde romain comme un réseau, une capillarité, une diffusion « à une civilisation du bâti et du droit, l’eau vient ajouter des segments de fraîcheur enclose et avec les aqueducs [...] ce qui se propose, un peu secrètement, c’est une civilisation du ductus, c’est une stratégie fine des écoulements »
→ l’idée du jardin à côté du cadastre, de la friche en pleine ville, du terrain dit vague au milieu des buildings, des espaces de jachère au milieu du quadrillage des champs et peut-être dans le for intérieur, des champs où laisser pousser librement, sans forçage ni contrainte, des plants sauvages, transplantés ou endogènes ?
Caractériser (Bailly)
L’auteur ne se prive pas de petites piques, allusives mais bien fichées : ici c’est Henry James qui en prend pour son grade à propos de son Voyage en France, plus loin Soulages. Et ce que Bailly reproche à James de ne savoir pas faire, c’est ce que lui, magnifiquement, sait faire précisément : « caractériser avec un tant soit peu de richesse intuitive les lieux, les êtres ou les instants » (248)
Le pont du Gard (Bailly)
pages quasi anthologique sur cet ouvrage, tout y est, le rêve, l’analyse, l’originalité du propos, la contextualisation du monument hors les domaines strictement réservés (de l’historien, de l’archéologue, du géologue…). Distance et proximité mêlées, c’est Bailly qui se promène, qui regarde, qui s’étonne, qui vibre, mais il sait aussi faire partager tout un réseau de connaissances très dense. Ainsi, expliquant que pour la construction de l’ouvrage, on a pris des pierres à 700 mètres du chantier : « La grâce architectonique du pont, tirant ce trait d’union à la fois massif et léger entre les deux rives, semble être une émanation du site lui-même, c’est-à-dire une métamorphose et au sens le plus romain, le plus ovidien. » (251)
Utopie et... jardins ouvriers (Bailly)
(pour Ivar Ch’Vavar et Lucien Suel)
Toujours à Nîmes et à propos du « Nemausus » de Jean Nouvel : « les utopies ont toujours confiné au grand geste » (255) puis il convoque Fourier qui avait compris que l’utopie, pour se concrétiser devait « coïncider avec les minutes de l’existence, avec les minuties et les caprices des corps désirants », régime d’attraction qui passe sur les jardins ouvriers, une sorte d’utopia povera.
Ah, la Loue ! (Bailly)
Vient alors ce qui me semble un des sommets du livre, des pages éblouissantes sur la rivière la Loue, sur les rivières en général, qui démontrent l’immense attrait de Bailly pour l’eau et à quel point celle-ci peut être une sorte de méga-représentation de tout son travail et de toute son approche (en regard peut-être du rhizome de Deleuze ? idée que j’avance avec précaution, faute de pouvoir l’étayer suffisamment). Mais tout l’art de Bailly me semble hydrologique, procéder par capillarité et résurgences en tous cas, par rigoles divergentes et flux puissants, par réseaux à déchiffrer. Par cours, eau et temps souvent fusionnés. « C’est maintenant dans ce livre le temps des rivières »… La Loue va être l’objet de toute son attention et il invitera pour compagnons de voyage Courbet et Ledoux mais ménage aussi des moments de solitude partagés avec son lecteur, devant la source. Allusion à Élisée Reclus, mais pour reprocher à son Histoire d’un ruisseau, très belle, dit-il, d’avoir voulu rendre compte d’un cours d’eau théorique. Là aussi occasion de souligner la méthode, éminemment sensible de Bailly. Non pas un condensé théorique de connaissances pourtant considérables, mais une mise en présence d’un lieu réel, de ce qui émane de lui, de ce qu’on peut en reconstituer mais pas tant par savoir, même si celui-ci infuse toute la perception, mais réellement par perception plus ou moins manifeste. Ainsi devant la source de la Loue : « on est jeté sur un plan plus fondamental, plus enfantin, plus étonné, on est dans le drame du commencement. » (263)
Citation de Reclus « L’histoire d’un ruisseau, même de celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. » (258) Comment ne pas penser à mon petit texte du 9 mars : petite herbe blanchie, en manque de lumière, le chuintement d’eau, encore, qui la rend pulsatile, vie infime, liquide, ruisseaux et lacs miniatures, vies minuscules…
On aurait envie ici de noter tant de choses, non seulement pour la qualité percutante de la formulation, mais aussi pour les emporter en vadémécum de balade, réelle ou rêvée, de voyage. Ainsi à propos de l’exploitation touristique de certains lieux : « Le surlignage culturel a tout anéanti ». Une toute petite phrase qui pourrait trouver des ramifications considérables, tant l’outil, le surligneur, et la manière, insister, redonder, répéter au-delà de toute satiété, les mêmes faits, les mêmes traits sont emblématiques du temps présent.
Implants industriels ruraux (Bailly)
A côté des grands sites industriels, Jean Christophe Bailly attire l’attention sur une « ponctuation d’implants ruraux ou montagnards » et cela fait naître en effet toutes sortes de souvenirs, de fabriques, de petites unités de production, souvent à l’abandon, dans la campagne, envahies par la végétation. On pense aussi aux Forges de Syam de Bergounioux, et au livre Fondrie de Jean-Pascal Dubost… et aussi à ce reportage sur la coutellerie à Laguiole et dans la région avec cette image prégnante des ouvriers devant s’allonger à plat ventre sur des sortes de planches pour être au contact de meules actionnées par l’eau du moulin et façonner ainsi les lames des couteaux (À Thiers, l’image de l’émouleur, allongé à plat ventre au-dessus de sa meule, un chien couché sur ses jambes pour lui tenir chaud, reste emblématique de la ville.)
descendre le cours
si par une nuit de printemps : silence bourdonnant, ressac inextinguible de la ville, lampes, écrans, livres encore et cet immense murmure océanique, en strates superposées – vies minuscules et parallèles, indifférentes et semblables – naître vivre mourir, têtes vides ou pleines, ventres creux ou repus, même avenir et la source déjà loin amont – débit ralenti ou accéléré, l’embouchure est en vue et la perte de l’eau propre dans la masse marine.
Rédigé par Florence Trocmé le 12 mars 2012 à 10h18 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent