Ciel
gris encore, plutôt versant brume qui enrobait il y a un instant encore la tête de la tour mais pas le dôme.
parmi les lectures
Dans Le Monde, un bel article d’Annie le Brun sur la récupération, par tous et souvent à contresen,s de Victor Hugo – A la fenêtre sans rideaux, de Marcel Migozzi – un très bel article d’Alain Paire sur Walter Benjamin, arrêté par les autorités françaises en 39 et son internement pendant plusieurs mois dans des conditions très difficiles (article dûment transplanté dans mon Kindle qui me rend, à petits frais, de bien grands services.)
Marcel Migozzi
J’ai toujours aimé ses poèmes sans envolées lyriques ni acharnement concaténatoire sur les mots, mais d’où émane une voix personnelle et qui retient. Dans ce nouveau livre (À la fenêtre sans rideaux, Éditions de l’Atlantique), une première séquence, intitulée « les os de l’hiver » aborde, avec une sorte de force crue, le thème de la vieillesse et de la mort : « la vie n’a nul besoin de sucreries sentimentales elle a réservé parmi les ombres anonymes une chambre pour la dernière nuit contre le mur du fond tourné son vieux visage qui a déjà vu l’invisible [...] (p.4) et un peu plus loin « c’est ça vieillir respirer sur un rythme impair pas s’étonner pourquoi se plaindre de se sentir néant avant et après » (p.6). À certains égards, on peut trouver un rapport avec Marie-Claire Bancquart, mêmes thématiques, même appréhension singulière du corps, mais il me semble qu’il n’y a pas ici la Vie violente qui tend et anime les poèmes de Marie-Claire Bancquart. C’est plus désespéré, plus sombre, tout aussi cru mais plus noir. Je suis moins sensible à la seconde séquence qui se présente en vers alors que la première est constituée de blocs de texte justifiés, avec de grands blancs entre les séquences de mots. Disposition que l’on retrouve dans la troisième partie, dont le titre ouvre une perspective un peu moins triste puisque « Trace fait loi ». Et l’on y trouve même une allusion à la Toile. Noter aussi que le livre est placé sous un exergue de Jabès : Tu n’attends plus rien, mais tu écris et que la dédicace fait allusion au soir qui tombe, mais aussi à la fenêtre ouverte. De quoi tempérer un peu le désespoir.
La « haine de l’utopie », Annie le Brun, Victor Hugo
La tribune d’Annie le Brun (dans Le Monde) s’ouvre en fanfare par deux citations de Victor Hugo : si les génies sont outrés, cela tient à la quantité d’infini qui est en eux mais cela viole le droit des neutres !
C’’est que nous dit l’auteur, comme dans toute campagne électorale, le voici pris en otage comme pourvoyeur d’éléments de langage. Et puis pour les 150 ans de la publication des Misérables n’auront été épargnées aucune banalité ni erreurs de rigueur. Chacun retaille Victor Hugo à sa mesure, le regardant souvent par le petit bout de la lorgnette alors que lui disait « A qui n’interroge pas le tout, rien ne se révèle » [ce qui rend l’exercice de la critique si exigeant et si difficile, car pour bien parler d’un livre il faudrait avoir lu et surtout avoir complètement présent à l’esprit tout le reste de l’œuvre d’un auteur]. Annie Le Brun montre comment on met en évidence la justesse de telle ou telle de ses prises de position mais sans voir souvent qu’il a constamment opposé à la « solidarité des despotismes », un foisonnement visionnaire de libertés. Elle souligne la passion de l’impossible de Victor Hugo pour démontrer qu’elle est devenue aujourd’hui inconcevable. Ajoutant que « l’intériorisation grandissante de la technique favorise chaque jour un peu plus un asservissement tranquille, que dans les dernières décennies une certaine modernité intellectuelle aura cautionné sinon provoqué dans sa haine de l’utopie. ». Pas tendre pour l’art, Annie Le Brun : « les mômeries de la subversion subventionnée vont de la surenchère misérabiliste à l’inanité à prétention métaphysique ». Et de citer à nouveau Victor Hugo : « écartons tout ce qui ressemble au couvent, à la caserne, à l’encellulement, à l’alignement ».
Dressant un constat terrible sur le formatage des êtres et des choses en œuvre aujourd’hui, Annie le Brun s’appuie de nouveau sur le poète qui apporterait un antidote en affirmant « que le rêve qu’on a en soi, on le retrouve hors de soi et que « l’étendue du possible est en quelque sorte sous nos yeux » et enfin que « nous sommes les aventuriers de notre idée ». Donc conclut Annie le Brun que « le grand refus politique vient puiser au grand refus poétique » : « comme on fait son rêve, on fait sa vie »…
C’est tout l’honneur du journal Le Monde de donner place et voix à des articles de ce niveau (Annie Le Brun, « Victor Hugo maintenant », Le Monde daté dimanche 11, lundi 12 mars, p. 17)
sauf une poignée d’eau
sauf une poignée d’eau fuyante peut-être mais si douce à la paume – peau tendue doigts crispés, le sable file sablier percé, temps perdu épanchement sans relâche – écoulement universel, aucune échappée, courir et courir vain chemin, creuser, descendre, illusion – seule, fuite avec fuite dans le sens du courant