Ciel
Toujours le grand beau temps, voilé par les particules en suspension dans l’air, température de 13°
Journaux
Mort hier d’Antonio Tabucchi. Intranquillité !
Des acronymes et du sensible (Bailly)
Amusante diatribe de Jean-Christophe Bailly, dans Le Dépaysement, contre la furie des acronymes dans l’univers administratif et bureaucratique. Ainsi de cet incroyable ZNIEFF qui désigne les « zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique » (p. 373).
→ à noter que cet acronyme-là est nettement moins répandu dans la presse que celui de ZEP.
Mais surtout Bailly affirme que « le langage fait symptôme » et que la langue technocratique « avoue ce qui la caractérise en premier – son incapacité congénitale à nommer le réel, à le toucher »
→ et cette quasi souffrance, en permanence, de ne pas savoir nommer le réel, en particulier celui précisément des univers faunistiques et floristiques, les noms d’oiseaux ( !) ceux d’insectes, de plantes…. je publie aujourd’hui dans l’anthologie permanente de Poezibao (que j’ai décidé de traiter avec une plus grande liberté d’approche) une très belle page de Bailly sur ces noms-là. « Là où le sureau noir ou la potentille rampante, le courlis ou le sphinx de la vigne [...] font appel [...] à toute une mémoire de la langue et du paysage ». (p. 374)
Une expertise sensible (Bailly)
Parlant de toutes sortes d’animaux petits et grands, Bailly attribue à « tout ce monde d’hyperactivité et d’enquêtes silencieuses et furtives, toujours menées sur le terrain, [...] une sorte d’expertise sensitive infinie ? » (376)
→ à côté de laquelle l’homme, et de plus en plus, fait figure d’aveugle, de sourd, incapable de sentir une odeur, de percevoir un flux.
→ penser à l’immense talent de toutes les bêtes petites et grandes, à leur facultés sensitives souvent inouïes, le chien dont on dit que l’odorat est plusieurs dizaines de fois plus développé que celui de l’homme par exemple, les yeux des mouches, et toutes ces facultés qu’une science d’aujourd’hui, la bionique, s’essaie à reproduire ou à imiter
Plantes et anachronismes (Bailly)
C’est un des charmes de ce livre d’ouvrir sans cesse des voies de traverse, des perspectives, digressant momentanément mais pour toujours revenir au fil du texte. Ainsi de cette amusante et salutaire mise au point sur la date d’implantation en France d’espèces que nous considérons comme totalement nôtres depuis toujours, que l’on peut résumer dans cette citation « Anne de Bretagne jamais ne vit un hortensia ». (p.377).
Séquences
Au chapitre 32, Jean-Christophe Bailly introduit une notion un peu complexe mais qui est sans doute très féconde, et qui pourrait même me semble-t-il être considérée comme une forme : la séquence : « des rapports ou des suites, dont la logique constructive est celle du ricochet, dont le milieu de développement est l’intuition et le point d’arrivée l’oubli. » (p. 381).
→ il me semble que cette structure-là m’est très familière, ici même dans ce flotoir, tout fait d’entrecroisements, de voix fuguées, d’échos et de rappels, où l’association, non évoquée par Jean-Christophe Bailly mais sans doute chemin privilégié de l’intuition, joue un rôle important.
Il précise ensuite qu’il s’agit de signes discrets « dont les théoriciens de la photographie remarquèrent très tôt l’importance et que Walter Benjamin conceptualisé plus tard en parlant "d’inconscient optique", « signes ou objets qui s’associent en des chaînes provisoires et qui sont des « indices dormants » (p. 382)
Constellations
Cette idée de séquences mène à celle de constellations, qui serait ici celle d’un ensemble d’écrivains : Bailly, Benjamin, Warburg, Didi-Huberman par exemple.
Bariol (un mot)
Il s’agit en fait d’un néologisme forgé par Jean-Christophe Bailly pour désigner les quartiers populaires à forte mixité. Il est forgé sur le mot espagnol barrio, quartier, et bariolé. Et du bariol qu’il l’installe dans la langue « par un putsch verbal délibéré », l’auteur dit qu’il ne représente au fond pas tant un quartier que la forme d’un état du monde présent dans de très nombreux quartiers.
→ si le propos politique était latent dans tout le livre, qui travaille, il ne faut pas l’oublier l’idée d’identité, de nation, il devient beaucoup plus manifeste dans toute cette fin du livre. Avec en particulier cette belle idée d’une « ventilation du corps social par l’apport d’énergies nouvelles totalement acceptées ? » (404) car « il faut sortir l’identité du carcan du national (et de tous les autres carcans, à commencer par ceux des religions) et en faire le principe actif d’un partage disséminé » car « la pire menace qui pèse sur des signes de culture quels qu’ils soient, c’est ce qui les abaisse au niveau d’un discours sur les valeurs, discours qui est toujours l’antichambre, dans un premier temps, du replit (nos valeurs) et, dans un seconde, qui vient vite, de l’exclusion (nos valeurs sont les seules à être des valeurs).
→ Réflexion singulièrement utile en ces temps !
Poésie (Bailly)
« La poésie en France est en train de changer et c’est par elle que les opérations novatrices sans lesquelles une langue se meurt se font les plus vives, les plus traçantes » (p. 402)
→ et là-dessus bien sûr on rêverait et on tentera peut-être d’interroger Jean-Christophe Bailly qui est aussi poète.
Séparation des eaux (Pélissier)
Comme ils vont bien ensemble, se dit-on, fermant Bailly pour ouvrir Pélissier. Lequel évoque le partage des eaux, la grande division mer et continents, pour expliquer que parfois le processus a raté et que la séparation ne s’est pas bien faite. Par exemple dans le paysage qui lui est familier, celui des combes, dans le Limousin. « Ils sont nombreux les lieux du monde où sévit de désordre particulier du sec et de l’humide » (Toucher terre, p. 40) « Les villages, les hameaux et les fermes des combes où jadis j’ai pris pied furent bâtis au milieu d’une liquidité minuscule, vraiment, mais indomptable. Sur ses flancs de granit, à l’ouest des grands volcans éteints, des puys, le vieux Massif central a laissé une eau erratique dessiner le contour de ses plis incessants. » (42)
→ de nouveau étrange et bel écho de lecture entre Pélissier et Bailly, hier sur le thème des animaux, aujourd’hui sur celui de l’eau, mais aussi avec Bergounioux !
Pour l’étude de la géologie !
« Le monde physique, minéral, est un monde de signes majeurs » (Toucher terre -le titre le dit bien- p. 46).
Coïncidences
Toujours très frappée par ces circulations, qu’on peut appeler hasards ou coïncidences. Claude Favre, lisant avant-hier soir Rêves de rêves d’Antonio Tabucchi, ne sachant pas qu’il était en train de mourir et moi, ne sachant pas qu’elle avait fait cette lecture-là, renvoyant hier via Twitter sur deux rêves de ce livre, que l’on peut lire en ligne…
Et puis bien sûr ces échos multiples déjà relevés entre Bailly et Pélissier, parfois presque mot pour mot (attention, ici rien d’une critique, au contraire, aucune redondance mais plutôt l’idée d’un enrichissement de l’un par l’autre). Et Bergounioux jamais très loin… ce qui correspond bien à l’idée que la lecture nous fait (transitivement et intransitivement).
Percer folles
Spores et pollens, migrateurs, charges d’âmes, d’essences et de devenirs, éparpillement en poussière impalpable et dansante – graines et germes, creuser sur place, faire nid, s’enfouir, entrer en dormance – cachées, rêver loin de l’écrasement, de l’arasement, des poisons – percer folles, mauvaises herbes, après leur départ, serpenter, fuser, hors dormance, en toute impunité gagner du terrain – joyeuses, primesautières, dégourdies.
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