Ciel
lumière superbe – manifestement la longueur d’onde de la lumière joue sur la biochimie de l’être humain (et animal) – il y a sans doute une gamme de longueurs d’ondes qui nous convient particulièrement, qui stimule la sécrétion d’endorphines – pour moi, pas le soleil du plein été que je fuis, dont je me protège, mais cette lumière de fin d’automne, de fin d’hiver ou de début de printemps, gorgée d’eau, basse encore – A noter : une très forte explosion solaire, l’une des plus intenses depuis cinq ans. Sans doute des aurores boréales mais pas ici !
Violente Vie
Je reviens sur le titre du livre de Marie-Claire Bancquart dont je prends conscience qu’il sonne comme un véritable emblème de son œuvre (mais je me souviens de ces autres titres, Rituel d’emportement, Avec la mort, quartier d’orange entre les dents). Violente devant il me semble être entendu ici selon un très large spectre, du caractère le plus négatif, la violence meurtrière, jusqu’à un aspect plus positif qui serait jaillissement, force de la nature et de l’être humain, intensité, détermination incroyable du vivre à perdurer envers et contre tout. « Peu, lentement, la vie / affleure au positif / et se suffit / sans glose (Violente Vie, p. 5 et extrait choisi en dédicace du livre)
Haydn…
ce matin, me donne l’impression presque stupéfiante de me dire bonjour, de m’inciter à l’élan, alors même que je traîne un peu les pieds dans la mise en route du jour.
En fait c’est, dans l’ensemble des 43 trios pour piano, le n° 15 in ré majeur, Hoboken XV/deest (de deesse, en latin, qui manque, absent du catalogue…) une petite pièce curieuse qui me semble variations sur un thème, très primesautière, très allante, pas d’une profondeur inouïe certes, encore très tôt dans l’œuvre. Par le Beaux-Arts Trio.
Herta Müller
Bel article du Monde des Livres. Une rencontre à Berlin de la romancière avec Florence Noiville (Le Monde daté vendredi 9 mars 2012). L’article est intitulé « Écrire aux ciseaux »
L’article me permet de préciser certaines données entrevues lors de la lecture de Bascule du Souffle, roman qui tournait autour de la déportation en Union soviétique du poète Oskar Pastior. HM est née en fait dans un village germanophone de Roumanie et appartient à la minorité souabe de la région du Banat. « Héritière de ces générations d’Allemands installés là, aux marches de l’Empire austro-hongrois, depuis le XVIIIe siècle, elle a grandi dans un environnement allemand. [...] en 1945 comme de nombreux Roumains de langue allemande, sa mère est déportée dans un camp de travail soviétique pendant cinq ans. Adolescente elle découvre que son père, comme la plupart des hommes, a servi dans la Waffen SS ». Son dernier livre se déroulant à l’époque de Ceausescu, à la question de savoir pourquoi encore, elle répond : « Croyez-vous qu’on en ait jamais fini avec ces dégâts-là ? Ne voyez-vous pas que si la tentation autoritaire renaît aujourd’hui en Europe de l’Est c’est justement parce que ce passé a toujours été tu ? »
Dans l’article elle parle aussi de son travail, avec les ciseaux, qu’il s’agisse de ses collages ou de ses œuvres littéraires : « dans les deux cas, il s’agit de créer du sens en coupaillant dans le tissu des mots. Découper, détourner, mettre du blanc autour [...] Stylo ou ciseaux, c’est la même chose »
Interrogée sur sa « manière si particulière d’évoquer un climat politique à partir de toutes petites choses », elle répond : « Pour moi, il y a deux catégories de gens dans la vie. Ceux qui se sentent protégés par le détail, la singularité et ceux qui aiment les panoramas, comme Hitler ».
→ Il me semble qu’on est là proche de certains aspects développés par Claude Mouchard dans ses Notes, notamment celles publiées par la revue Fario.
Et revient en force l’histoire poignante de son petit mouchoir, seul « lieu » qui lui resta lorsqu’elle fut mise au sens quasi propre dans un placard, chassée de son bureau, pour ses prises de position sous la dictature. (voir la conférence de la remise du Prix Nobel)
Désir de géologie
Et c’est de la faute de Bergounioux, encore, en raison de ses remarques multiples sur la géologie de sa Corrèze natale, et toutes les considérations qu’il note sur la nature du terrain et son effet sur les êtres humains ! Et celle de Bailly et son déchiffrage magnifique du terrain, du sol, du paysage. Fait-on de la géologie à l’École de la nature et du paysage de Blois. Sans aucun doute ! Je pourrai citer aussi après la grammaire et le solfège, le désir de botanique et celui d’entomologie… résurgences de quoi ces désirs-là ? Un rapport avec les encyclopédies tant aimées dans l’enfance qui ouvraient le monde, presqu’au sens littéral… ? dans un déficit de paroles à son sujet ? Démarche donc qui aurait quelque chose à voir avec celle que décrit Bergounioux ? Besoin de nommer aussi, et d’accéder à ce trésor inouï que sont les noms des plantes, les noms des insectes, des oiseaux….
Bretagne, Bailly, géologie
Petit aparté toutefois pour noter que je constate que je suis encore plus sensible aux pages de Jean-Christophe Bailly qui traitent des « mes » régions. Il ne s’agit pas ici forcément des régions connues mais de celles qui exercent un attrait sur moi : l’Est, le Nord et la Mer du Nord, la Normandie et la Bretagne, et rarement en-dessous de la Loire en fait. Comme un clivage vers l’Europe septentrionale. Une configuration intérieure dont les bassins versants sont orientés Nord, Est et Ouest mais pas Sud, quasi jamais.
Bailly donc : « en certains points, l’ancienneté géologique se mue en une quasi-sensation ». Il est question ici des alignements mégalithiques, tout récents dit-il pour l’échelle des temps géologiques, mais qui à notre mesure à nous ont une ancienneté très grande qui « vient pour ainsi dire se superposer à celle du socle, en une sorte de merveilleux redoublement contrapuntique ». En plus de la splendeur, une fois encore, de la formulation finale, cette idée de l’empilement des temps, ce que Marie- Claire Bancquart appelle le « feuilletage du temps », en tout lieu, la masse inouï des couches palimpsestes sous la couche actuelle, que nous tendons à prendre pour seule réelle alors qu’elle est informée, très profondément, par tout ce qui est sous elle et qui, en fait, si l’on y prend garde, ridiculise notre infime présence temporelle…
Souvenirs, Bailly
Une formule un peu énigmatique : « Les souvenirs sont en nous ce qui empêche le monde de finir et lorsque l’on voit qu’il continue aussi hors d’eux, indifférent et mobile, coulant sans avidité sur ce qui fut et sera, un vertige se produit, qui a l’éclat de notre propre disparition ».
→ idée me semble-t-il souvent appliquée aux êtres humains, l’immense masse des anonymes, par exemple ceux de notre lignée dont on sait bien que quand plus un de nous, leurs descendants, ne se souviendra d’eux, plus une plaque quelque part ne les nommera encore, quand la moindre trace de présence, de sillage dans le temps immense seront effacées, qu’ils n’existeront plus, auront consommé leur disparition. Mais plus rarement aux paysages, aux lieux (mais souvent, toutefois, des monuments, des plaques commémoratives, pour peu qu’il y ait eu quelque chose d’un peu marquant). Mais des modes de vie, des usages qui façonnent le paysage, que reste-t-il, que restera-t-il ? Des pierres, oui, la géologie oui, la structure des lieux, le socle (quand bulldozers et tractopelles ne s’en mêlent pas), le soubassement…. et au-dessus, grand chambardements et bouleversements si propres et prompts à rendre les lieux méconnaissables….
D’égales à égale
nouages, pliages, tissages, réseaux de sons et de mots, ricochets – cailloux fendus en vertige du temps, puits à l’eau si lointaine, rivières affleurantes, sources et ressources en cours cachés, résurgences – petite herbe blanchie, en manque de lumière, le chuintement d’eau, encore, qui la rend pulsatile, vie infime, liquide, ruisseaux et lacs miniatures, vies minuscules, d’égales à égale.