Ciel
Il a beaucoup plu hier après-midi, enfin ! – ce matin, ciel gris, 7,1° et vent du sud, assez fort.
Gôzô Yoshimasu
Dans le dernier Cahier du Refuge du cipM, un texte magnifique, traduit par Claude Mouchard et Makiko Ueda de ce poète qui m’avant tant subjuguée lors d’une rencontre (dîner avec lui et Ryoko Sekiguchi, en compagnie d’Edith Azam) puis d’une performance, lors d’un MidiMinuit à Nantes. Je ne m’étonne pas que Claude Mouchard s’intéresse à cet homme, car je retrouve dans sa poésie une préoccupation qui me semble être propre à Claude de la relation entre les choses les plus simples et les questions les plus cruciales, notamment sur la nature de l’homme : « …contre une force dissimulée j’ai été amené à lutter, le 18 JUIN 2011. De NH002-31G depuis un recoin dans les rochers, transformé en une masse d’écume ou en quelque chose comme de l’écume, enfin terminer, déjà, ces notes qui nues grouillent comme des insectes, pour l’ultime poème de l’ultime recueil,… » (Gôzô Yoshimasu, Cahier du Refuge n°210, p. 6)
« Sans raison et sans rimes »
C’est le titre d’un dossier très bien fait que vient de concevoir Alain Girard Daudon pour le réseau de librairies Initiatives, une sorte d’introduction à la poésie d’aujourd’hui. Son avant-propos me semble bien cadrer le sujet, dans sa complexité, idées fausses du grand public sur la poésie, manque total de visibilité de celle-ci, méconnaissance d’un grand nombre de libraires, éparpillement des courants poétiques. Ensuite présentation de plusieurs œuvres, Jaccottet, Dupin, Deguy, Emaz, Suel, Bouquet, Ilse Garnier, pour n’en citer que quelques-uns, des entretiens avec di Manno, Paul Otchakovsky, sans oublier « la poésie sur la toile » avec Poezibao et Sitaudis.
Boris Pahor (C. Magris)
Très beau chapitre dans Alphabets de C. Magris sur le slovène Boris Pahor. Il s’agit en fait d’une préface pour le livre majeur de ce dernier Pèlerin parmi les ombres, livre sur les camps et plus particulièrement celui de Natzweiler-Struthof où Pahor fut interné pendant la guerre. Occasion aussi pour Magris de plaider pour l’ouverture et contre les formes de nationalisme les plus dangereuses : « Les fascismes et le nazisme ont certes leur source dans les différents nationalismes, mais pas seulement, ils découlent aussi d’une réaction particulière (ethnique, sociale, économique, politique, culturelle, parfois même religieuse) au bouleversement radical qui, avec la Première Guerre mondiale et par la suite, a détruit le vieil ordre européen. Pour désamorcer leur mécanisme mortel, il est nécessaire de démystifier toute fièvre identitaire, toute idolâtrie de l’identité nationale, authentique quand elle est vécue avec simplicité mais fausse et destructrice quand elle est érigée en valeur absolue et en idole et qu’elle se considère comme supérieure aux autres. » (CM, 355)
→ une des forces des articles et chroniques de Claudio Magris est de replacer la plupart du temps l’œuvre dans son contexte historique et social, ce que font en définitive bien trop peu les critiques et mêmes les travaux savants sur la littérature, focalisés sur le texte, la lettre de l’œuvre en quelque sorte et inconscients du monde dans lequel elle est née. Magris fait œuvre d’historien, excelle à brasser des tableaux vivants de situations complexes, comme par exemple celle des communautés allemandes de Roumanie (dont j’ai appris l’existence en lisant le livre d’Herta Müller, La Bascule du souffle, qui évoque la déportation en Union soviétique d’Oskar Pastior…)
→ admiration devant l’attitude de Magris, qui sans aucun dogmatisme, avec mesure et ouverture mais sans transiger sur les valeurs de fond, prend appui sur des livres et en quelque sorte use de sa tribune dans le Corriere della Sera pour parler politique, au sens le plus noble du mot et pour prôner l’ouverture sur l’autre, l’étranger en particulier.
Réalité et fiction (Melville, Magris)
Magris cite p.362 Melville, truth is stranger than fiction, la vérité est plus inimaginable que toute fiction (trad. donnée dans le livre) ; dans un chapitre où il est question du « pharmacien d’Auschwitz »
Je continue à penser que la traduction de ces articles est particulièrement lourde, avec recours récurrents à des termes comme extranéité et même absoluité qui me semblent malvenus dans ce contexte ! N’est-ce pas antinomique avec la démarche de Magris dans ce grand journal du soir, parler de livres complexes et difficiles mais sans jargonner. Dans un article lu aujourd’hui sur l’art de rédiger un bon article scientifique, il était rappelé que la règle est 1. de supposer que le lecteur ne sait rien du sujet ; 2. de ne pas prendre le lecteur pour un idiot !!!! Et ensuite, selon un schéma très contemporain, de pratique le storytelling, raconter une histoire dans lequel le journaliste va incorporer habilement son sujet.
Il me semble que Magris excelle à raconter une histoire autour d’un livre, à le situer de telle sorte que même qui ne lira pas le livre aura appris quelque chose via ces chroniques d’un "grand journal du soir" que l’on peut envier aux italiens !
Triomphe de l’usage ? (M. Macé)
J’en viens doucement à la fin des notes concernant le livre fécond de Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être. Avec un sous-chapitre intitulé « Triomphe de l’usage ? » : « nous sommes doucement passés d’une phénoménologie à une pragmatique de la lecture. Barthes a été un des premiers à tourner résolument l’approche de la lecture vers ces questions d’appropriation et d’usages. Deleuze, Michel de Certeau ou Rancière ont accentué ce tournant, abandonnant la sémiotique de la lecture pour une politique, en y fondant l’exercice actif de la subjectivation. » (MM ; 235)
→ beau résumé de la démarche de tout le livre, de ce qu’il a analysé, démontré en traversant les œuvres notamment de Proust et de Sartre, en s’appuyant sur Barthes.
Concernant la politique, relever cela, plus loin : « une pratique obstinée de la littérature comme "codex de nuances" qui est la vraie réponse au risque du simulacre, à la violence des fausses permanences et à la marchandisation contemporaine des identités. La littérature est ce qui nous enseigne qu’aucune différence n’est indifférente, que le plus petit infléchissement est une force, une puissance de subjectivation à protéger, à activer » (MM, 256)
Flotoir et ses journaux de lecture ? (M. Macé)
J’aimerais terminer cette « extraction » du livre de Marielle Macé sur cette citation qui me semble refléter tellement l’approche qui est celle de ce Flotoir et notamment de ses « journaux de lecture », relevé souvent commenté de passages, de citations de tel ou tel livre !
« La lecture devient "la mise en œuvre d’une écoute, d’une sensibilité à voix multiples" qui engage une activité de "rephrasage". Une telle pratique doit être une pratique des phrases, du démembrement, de la reprise en charge de l’énonciation. Elle définit le geste d’appropriation lui-même, qui chez Rancière est avant tout une opération de réénonciation et foncièrement de montage de phrases : des discours sont extraits, projetés dans un nouveau contexte, conjugués au présent du sujet, attelés à d’autres phrases pour composer une vocalisation individuelle qui est la trame même du processus de subjectivation » (MM. 237).
→ Rephrasage, réénonciation, montage, au présent du sujet ! Comment dire mieux au fond la démarche du Flotoir, cette appropriation qui se voudrait relance des phrases, projection active pour soi et pour quelques-uns qui peut-être passeraient par là !?
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