Ciel
Beau, mais bien frais, un peu moins de 5° ce matin – belle lumière, hier beaucoup de vent du Nord, puissant.
Musique
Écoute hier soir d’un « Matin des musiciens » sur la sonate en ut mineur op. 10 n° 1 de Beethoven. Exaspérée par Jean-Pierre Derrien qui appelle Beethoven uniquement Ludwig van, ce qui est ridicule. Accompagné par le pianiste Jean Efflam Bavouzet. Entendu une œuvre inconnue de moi un trio à cordes en ut mineur de Beethoven, très beau. Le plus intéressant dans l’émission fut en effet la méditation autour de l’emploi d’ut mineur couplé à un mouvement plutôt vif, allant, avec évocation d’autres œuvres en ut mineur, comme le 3ème concerto, la Pathétique.
Relevé hier quelque part que Hans Bülow aurait dit que le Clavecin bien tempéré, c’est l’Ancien Testament et les Sonates de Beethoven, le nouveau !
Belle émission aussi à la TV, Arte, sur le violoniste Vadim Repin.
Barthes, Proust, la vie (M. Macé)
« Il n’y a pas, dans notre vie quotidienne, d’incident, de rencontre, de trait, de situation, qui n’ait sa référence dans Proust : Proust peut être ma mémoire, ma culture, mon langage ; je puis à tout instant rappeler Proust comme le faisait la grand-mère du narrateur avec Mme de Sévigné » (Roland Barthes, cité par Marielle Macé, in Façons de dire, manières d’être, p. 209)
→ un peu comme une bible des temps modernes, au fond, à avoir toujours dans sa table de nuit ! Ou dans son Kindle, et lire chaque jour sa petite potion de Proust.
Et avançant dans les pages déjà lues, je lis ! : « Proust, c’est un système complet de lecture du monde. [...] Le plaisir de lire Proust – ou plutôt de le relire – tient donc, le sacré et le respect en moins, d’une consultation biblique : c’est la rencontre d’une actualité et de ce qu’il faut bien appeler, au sens complet du terme, une sagesse : un savoir de la "vie" et de son langage. (Barthes, encore, cité p. 210)
→ et ce qui est passionnant ici, c’est que Marielle Macé, précédemment, a bien montré tout ce que Proust doit à la lecture, comment il s’est en quelque sorte exposé aux livres, pour se faire, se façonner, trouver sa manière d’être et son style, dans tous les domaines de sa vie.
La lecture, une expérience intentionnelle
« Cela fait de la lecture une expérience intentionnelle particulière, dans lequel le sujet se porte "en avant" de lui-même » et elle ajoute un peu plus loin, après avoir relevé la belle formule d’Alferi, une phrase est toujours instauratrice, que l’expression est fondamentalement intentionnelle, « toujours en excès, placée un peu en avant de celui qui parle et par définition de celui qui écoute » (214)
→ pensée un peu difficile, obscure, mais cette idée d’un espace projectif, aussi bien pour celui qui écrit que pour celui qui lit, l’un et l’autre tendu vers le développement de ce qui s’énonce, l’anticipant même parfois (deviner ce qui va être écrit, page suivante, à la tourne, comme en musique, dans la même circonstance, anticiper la note, l’accord – cette idée née de la comparaison avec la musique que ce qui va venir est contenu dans ce qui vient d’être énoncé). « Barthes a été sensible à cette qualité d’avance du dire, lui qui disait à propos de tel écrivain parlant de sa douleur : il en a tout vu, tout senti, et d’autres choses encore que je ne voyais ni ne sentais. » (215)
De la citation (M. Macé)
« Les phrases sont moins des objets que des directions et des appels, les promesses d’une pratique à venir ; elles sont à citer » (216)
→ n’est-ce pas ici tout le processus mis en œuvre dans le flotoir ! Cette vocation des phrases à être prélevées, glosées un peu, modestement et surtout utilisées, concrètement, comme soutien, outils, moteurs… « Citer, c’est ne pas être seul à écrire quelque chose ».
Car « Le geste de citation est la réponse du lecteur à cette qualité d’ouverture pragmatique de la littérature ». Les citations s’extraient d’elles-mêmes, poursuit Marielle Macé pour s’imposer à nous (217)
→ et là, il n’est que de reparcourir un livre lu et souligné pour mesurer la vérité de cette remarque ; ces îlots parfois étranges constitués par les passages cochés, annotés, soulignés, autant de preuves d’un passage, parfois dans une suite de pages comme inertes, parce que non habitées par ce geste modeste, ce petit prélèvement en puissance, pour la citation qui va attester de ce que la littérature est bien une ouverture pragmatique, et donc pour beaucoup, une nécessité vitale (elle le serait peut-être pour tous, mais qui le sait ? )
Crois! leurre
crois! non, leurre – crois! non, simulacre – crois! non, croix, de papier, de bois, de feu – crois! tais-toi, reviens à toi, grince et crie, répète – crois! non, crois! non, si, non, tais-toi! va-t’en lancinant, va-t’en ensorcèlement va-t’en envoûtement – crois! leurre, mensonge : crois trompe, crois tue, kalachnikov.