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Rédigé par Florence Trocmé le 29 mai 2012 à 12h49 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
toujours aussi beau, lumière pas trop dure, 17°, vent de nord-ouest, léger, autrement dit de l’air frais.
Journaux (De l'Allemagne et d'Internet)
Trois articles intéressants. Les deux premiers sur l’Allemagne, le second sur cerveau et Internet.
Le made in Germany
Le premier article sur l’Allemagne (Deutsche Welle) fait état d’un record de production d’électricité solaire pendant le week-end de Pentecôte, record mondial, équivalent de 20 réacteurs nucléaires ! Magnifique, mais… produire n’est pas tout, il faut pouvoir utiliser ce courant ; et comme le dit l’article le propre du solaire c’est de produire de l’électricité aux heures où on en a le moins besoin. L’Allemagne est devant un énorme défi, le transport de l’électricité propre (solaire et encore plus peut-être éolienne) vers les lieux de consommation. Le réseau est obsolète. Il faut construire 4000 kms de lignes. Ce qui conduit au second article, du Monde daté mardi 29 mai 2012, et qui corrige avec quelques exemples le mythe de l’Allemagne exemplaire dans la conduite de ses chantiers. Il y est question des retards et des énormes dépassements de budget du nouvel aéroport de Berlin, de la salle Elbphilarmonie à Hambourg, avec ses dix mille panneaux de fibre de gypse et du port en eau profonde de Wilhelmshaven [le Jadeweserport que nous avons approchés à l’été 2010]. Conclusion un tantinet ironique de Frédéric Lemaître : l’aéroport préféré des Berlinois n’est ni Tegel ni Schönefeld, mais Tempelhof. L’ancienne tête du pont aérien pendant le blocus de Berlin, en 1948-1949, est devenu un immense parc.
Internet et cerveau
L’article s’intitule : Should we sacrifice our brains to the Internet?, en correlation avec un livre de Nicolas Carr : The Shallows: What the Internet Is Doing to Our Brains
« Jordan Grafman, head of cognitive neuroscience at the National Institute of Neurological Disorders and Stroke, explains that, “The more you multitask, the less deliberative you become, the less able to think and reason out a problem (and the) more likely (you are) to rely on conventional ideas and solutions rather than challenging them with original lines of thought. » et un peu plus loin, on lit :
« Carr noted that one of the greatest effects of the Internet is its ability to capture our attention only to scatter it, ultimately producing a generation whose brains are being better hardwired to scan, skim and multitask, causing a weakening in our ability to read and think deeply in a concentrated manner. »
→ autrement dit, le multitâche, le constant papillonnement dû à l’usage actuel d’Internet, notamment en raison des réseaux sociaux, favorise l’aptitude à mener de front plusieurs tâches en même temps, mais a contrario affaiblit la capacité de concentration et à terme, ce qui est beaucoup plus préoccupant, la capacité de penser par soi-même (et rend donc plus vulnérable à la manipulation et à l’endoctrinement). Noter qu’il ne s’agit pas ici de vues de psychologues mais d’hypothèses formulées à la suite de recherche sur le cerveau et notamment de la prise en considération des zones activées chez les sujets, lors d’un travail sur Internet.
Enchâssement des drames (Pesquès)
Reprenant le très beau livre rouge, oui rouge et pas jaune ! de Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau huit, neuf, dix, cette confirmation d’une sorte d’enchâssement de drames les uns dans les autres, comme je le supputais il y a quelques jours devant la tension dramatique perceptible dans ce livre. « Quand la parole vient à manquer / un drame passe sous la coupe d’un autre » et un peu plus loin dans le même poème (p.109) : « on voit bien que tout ce qui nous occupe / tout ce que le langage a voulu / est ce qui le tue ».
Y a-t-il constat plus effrayant pour un écrivain !?
Et un peu plus loin, en une suite de poèmes sur ce thème, grattant et retournant l’évidence, toujours le jaune, un « jaune glacial » et non plus le jaune magnifique des genêts, un « jaune chair de poule » (113) et il y a de quoi, cette quête de tant d’années, cet obstination, le recommencement pour déboucher là : « jaune aura lieu mais je sais ne pas » (112), le monde (la colline) continue et je ne peux le saisir, un ne pas qui n’est pas un refus de faire à la Bartleby comme on aurait pu le penser p. 108 mais le ne pas de l’impuissance.
et néanmoins
emprunt ici d’un titre de Jaccottet, pourtant bien éloigné à maints égards de Pesquès, car se produit alors un rebond. Un rebond que l’on aurait pu anticiper, considérant qu’on en est là à mi-parcours du livre ; on semblait avoir en effet atteint un cul de sac avec cette série de poèmes de la seconde partie de J10 et l’on se demandait où pourrait aller le poète après ce constat ?
Il n’est pas vaincu, il y a un sursaut, il est impuissant, il le sait mais il va s’agir maintenant de « franchir le sans fin piétiné à vie » en un « travail de taupe et d’os » (116)
Le séparé, asséné et assumé, séparé du monde par le langage et à cause de lui, incapable de le rejoindre, ce fut la tentative, par le langage. La partie III s’ouvre sur ce qui semble être une « réfection ». « Écrire / le oui jubilatoire et cruel de l’enlèvement / le genêt de la réfection // travail de taupe et d’os » (116)
Lecture à venir… mais ici se confirme l’impression que cette œuvre est sans doute une des œuvres poétiques les plus importantes et les plus fortes du temps présent.
Proust (avec Freud, via Tadié)
Avancé dans Le lac inconnu de Jean-Yves Tadié. Un peu déçue sans doute, car je pense avoir imaginé (fantasmé, mot que je redoute, serait ici approprié !) un autre livre, un livre instaurant un dialogue par textes rapprochés entre Freud et Proust. Or ce que je lis pour l’instant, c’est surtout une interprétation psychanalytique de certains passages de l’œuvre proustienne, comme le « rêve de Swann » ou le « rêve de la grand-mère ».
Je suis toujours très réticente à l’interprétation psychanalytique des œuvres d’art. Réticente plus largement, à tout ce qui s’empare d’un livre pour en faire un autre objet, analyse, film, thèse… etc. Ce serait s’approprier l’œuvre à ses propres fins et trop souvent avec de grosses pattes maladroites et lourdingues, en cela qu’elles perturbent un équilibre infiniment subtil entre différentes composantes, dont elles ne vont extraire et utiliser que quelques éléments. Ces opérations-là, selon moi, annihilent, démembrent, châtrent, dévitalisent les œuvres. Sauf très rares exceptions, où deux génies se rencontrent en profondeur (Visconti et Thomas Mann par exemple ?)
Juliau, au-delà des mots et des choses
Il y aurait comme un hiatus entre ce que je sens que je cherche (et qui est à l’origine d’une tension dynamique, d’un élan continu) et par définition ce que je trouve ou ne trouve pas. Une quête de juliau, le constat d’une approche impossible de juliau, qui me mène à penser que juliau n’a pas à voir seulement avec la question des mots et des choses, de la langue, de la littérature, de la poésie, mais avec la vie, la destinée humaine, tendre vers l’inatteignable par définition, la mort puisque l’atteindre c’est se perdre.
Relevé en quatre
petite tête de cheval au si long sommeil, brutalisée par le faisceau électrique – cécité à venir en plus de ton mutisme ? – empreinte du révolu à jamais, ta raison d’être, ta raison d’avoir été
grille sur grille, double peine et si souvent, le végétal, obstiné, tenace – vrille, hampe, foret & foreuse, ruines de béton, écartement d’asphalte, dites mauvaises, reines des rues : desceller le Secret secret : une plante pousse.
jet d’eau, une goutte en suspens, lentille, œil de poisson, et le parc entier, ses nus sur l’herbe, ses fleurs, gravier et bancs, prisonniers à jamais.
mémoire du soir, blanchit et tire ses pans superposés, glissements d’états, d’étants, recomposition, biopsies à vif du jour englouti : congélation et reproduction
Rédigé par Florence Trocmé le 29 mai 2012 à 10h17 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 28 mai 2012 à 09h54 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
Il fait encore beau, toujours chaud, mais 17,7° ce matin seulement. Orages et pluie annoncés. Vent du nord.
Lieux insaturés (Isabelle Butterlin)
Toujours la belle réflexion d’Isabelle Butterlin, sur la question de la saturation et de l’insaturation, des textes, des œuvres, des lieux…
Ici ce sont les lieux, dont il est question.
« C'est une certaine qualité des lieux qui demeure presque imprévisible avant qu'on y pénètre, et qui s'impose comme une évidence après quelques instants. [...] S'il y a des lieux de l'étouffement, il y a bien des lieux de l'insaturation. [...] Les lieux de l'insaturation possible sont gratuits et indétectables, et ne se prévoient pas, aucune prescience n'y conduit. Aucun plan ne les répertorie sous un symbole particulier qui permettrait qu'on s'y engouffre.
Il faut y être, pour sentir que le soi, au lieu de se replier dans l'origami complexe des pensées intérieures, les laisse peu à peu se déployer, au point que la frontière opaque entre soi et le monde cesse de fonctionner tout aussi hermétiquement »
→ m’est venue cette pensée que les arbres contribuaient pour beaucoup à l’insaturation des lieux… eux-mêmes ne sont-ils pas insaturés, discontinus, réseaux de feuilles et de branches entre sol et ciel, riches d’interstices, respirant et permettant de respirer – cette sensation si profonde en arrivant au Champ de Mars, maintes fois, de changer complètement d’univers, comme si un courant s’établissait au travers de soi entre sol et ciel, courant totalement interrompu, coupé, par l’univers de béton de la ville. Comme si le corps de nouveau pouvait s’insérer comme une sorte de trait d’union entre deux entités, la terre et l’air (Bachelard !)
Orgue
Beau concert d’orgue hier à St Germain des Prés, par une japonaise née en 1983, Ami Hoyano, avec un programme très intelligent : un Veni Creator de Grigny (ici les trois premières parties par René Saorgin), une pièce de Guillaume Lasceux, les prélude et fugue en sol majeur de Bruhns, un choral Kommt heiliger Geist de Buxtehude, le merveilleux concerto en la mineur de Vivaldi/Bach (ici par André Isoir à Weingarten) et une toccata (ici par Maria Magdalena Kaczor) de Bernard Foccroule (professeur d’orgue au Conservatoire royal de Bruxelles, directeur artistique du Festival d’Aix-en-Provence).
À plusieurs reprises, les basses les plus graves de l’orgue sont sollicitées, un peu dans Bruhns et beaucoup dans Foccroule. Toujours cette sensation d’une sorte de ventre de l’orgue et alors de l’habiter. Toutetefois dans cette pièce de Foccroule, un peu gênée par quelque chose que je relève souvent dans les pièces contemporaines : comme une juxtaposition de courtes séquences, chacune intéressante en elle-même, mais dont je peine à sentir la nécessité par rapport à l’ensemble. Une sorte de discontinu. L’introduction de la toccata est spectaculaire comme il se doit, prometteuse, mais la tension retombe ensuite et même la conclusion, souvent si impressionnante dans les toccatas (notamment de la fin XIXème) est un peu décevante.
Rédigé par Florence Trocmé le 28 mai 2012 à 09h52 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 27 mai 2012 à 09h56 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
beau temps, un peu trop chaud pour la saison (7° d’écart par rapport aux normes saisonnières) – 20° à 8 heures du matin.
Clivage (Pesquès)
Du clivage profond entre les mots et les choses, en une démonstration quasi mathématique, à suivre comme telle terme à terme pour tenter d’en comprendre le sens : « les mots ne nous donnent pas les choses / ils nous les enlèvent » (103), ils nous enlèvent les choses « pour les dire » : c’est là que se creuse le fossé entre le réel et le langage. « Pour les dire » signifie en les altérant, par définition, pour les faire « être autrement ». Les mots dénaturent la nature, cela devient soudain une évidence.
Immédiateté (Pesquès)
Il n’y a pas de vraie immédiateté semble dire Nicolas Pesquès : « L’immédiateté que nos corps aiment vivre / n’est plus que celle de nos temps verbaux / de nos espaces phrasés » (104). Il n’y aurait jamais immédiateté, contact total avec le monde, car il y aurait forcément médiatisation par le langage ? Incarnation par le verbe ?
→ Ici peut-être un point de désaccord. Il peut y avoir, très rarement certes, fugitivement bien sûr, le sentiment puissant d’immersion totale dans le réel, d’immédiateté. Il y aurait là une forme de sidération (positive, versus celle qui advient lors d’un trauma), laquelle suspend momentanément le cours ininterrompu des mots et le recours aux mots. Recours aux mots pour mettre à distance, pour décrypter, pour s’emparer d’un réel qui pourrait sans cela paraître affolant, dans son abondance, dans sa puissance. Cela peut-être que nos plus lointaines ancêtres ont ressenti. Et cela aussi décrit par certaines relations d’expériences de prise de drogues.
→ et des ces épiphanies peuvent naître, mais après coup et par altération, un poème.
La tension du texte (Pesquès)
page 105, de nouveau un poème dense, difficile d’accès mais comme surtendu par la tension extrême entre ses premiers et ses derniers mots, le vivre et le mourir. De vivre à mourir, via ces vecteurs que sont jaune, écrire, langue. Il faut noter la grande simplicité du vocabulaire de N. Pesquès. Il ne cherche pas à combler ce trou béant qu’il découvre en avançant et qu’il découvre au lecteur, avec des mots brillants, des termes-leurres qui feraient illusion. Non, il faut se débrouiller avec vivre, mourir, jaune, mots, colline – parfois des mots du registre de la médecine, mais rares, apoplexie, consanguinité.
Disparaître (le dessin, le poème, Pesquès)
Toutes ces pages me semblent marquer une sorte d’acmé du livre mais aussi de l’œuvre. On est complètement sur zone, par le jaune, notamment qui s’est petit à petit dépouillé. Confrontation avec le jaune, le jaune de plus en plus jaune, non pas couleur, mais essence : « Jaune ou la stupeur » (106) avec un « bonheur de la dessaisie » et « comme si voir disparaître quelque chose / c’était ça écrire, extraordinairement ».
→ ce qui fait songer à la légende antique rapportée par Pline, de la fille du potier corinthien Boutadès, dessinant, sur le mur, pour garder son image, l’ombre de son amant qui s’en va.
→ Le poème, esquisse, tracé de ce qui est encore là ou vient de disparaître, signalant une apparition disparaissante. (Jankélévitch)
si trop de phares
si trop de phares, errance, navigation déboussolée, affolée – vers où la proue, quel cap tenir ? – mur de lumière là et ici masse noire, mur, muraille d’eau et de nuit – rampe d’atterrissage fatale au papillon, à l’insecte zig zag, à l’œil blessé.
Rédigé par Florence Trocmé le 27 mai 2012 à 09h54 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 26 mai 2012 à 12h30 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
Très beau, lumière dure, chaleur toujours un peu excessive et surtout venue trop rapidement, une vingtaine de degrés, mais heureusement de l’air.
Lectures
Un peu perturbées par toutes les occupations de cette fin de semaine, pas fâchée de retrouver un rythme plus propice à lire et écrire. Car très vite cela me manque.
Le Monde (notamment sur la question de la croissance, je vais y revenir) –plusieurs chapitres des 39 petites histoires de Casati et Varzi – Nicolas Pesquès, très peu de pages seulement, car elles demandent toutes beaucoup d’attention – le début de Le lac inconnu, un livre que Jean-Yves Tadié consacre aux thèmes communs à Proust et à Freud. – un article en allemand sur des travaux expérimentaux de traitement au laser des mauvaises herbes dans les champs et un autre sur une exposition Dürer à Nuremberg – un article en anglais sur les difficultés que les aveugles rencontrent dans l’usage d’internet, notamment depuis l’arrivée de Java et de Flash – un article, toujours en anglais (Guardian) sur un livre d’un ancien drogué devenu spécialiste de neurosciences et qui explique en termes scientifiques l’usage des différentes drogues sur le cerveau.
De la Croissance (D. Meadows, J. Weidmann, D. Cronenberg)
Trois articles différents, dans des sections bien différentes du Monde (Planète, Économie, Cannes) mais qui sont entrés en résonance de façon impressionnante et pour tout dire effrayante.
1. « La croissance mondiale va s’arrêter », titre en forme de citation d’un article consacré à un entretien avec Dennis Meadows, l’un des principaux auteurs du livre The limits to growth publié initialement en 1972 à l’instigation du Club de Rome. Il pose la question des causes de la croissance et des conséquences de sa rencontre avec les limites physiques du système. Et il prédit que le franchissement des limites physiques du système conduit à l’effondrement, que celui-ci est déjà en œuvre par exemple en Somalie, que les pays du printemps arabes vont y être confrontés rapidement car leurs problèmes n’ont jamais été résolus et notamment celui du manque d’eau. Il pense que la croissance va s’arrêter aussi en raison de facteurs externes comme l’énergie. Et même en Chine du fait des questions démographiques et environnementales. Ses vues sont extrêmement pessimistes. (Le Monde, daté samedi 26 mai 2012, p. 6)
2. Jens Weidmann dénonce lui l’illusion des eurobonds et affirme que « "être pro-croissance" c’est comme être partisan de la paix dans le monde. » Président de la Bundesbank, il défend, lui, la croissance, qui « est une bonne chose », mais pose la question d’une croissance durable. (Le Monde, samedi 26 mai 2012, p. 12)
3. Et enfin, un article sur le film de David Cronenberg, Cosmopolis, « métaphore d’un monde qui a perdu pied ». « Cosmopolis se veut la description de ce qu’est devenu le capitalisme moderne, modelé par une économie mondialisée, affranchi de ce qui faisait sa nature, réduit à la vitesse et à l’ubiquité, le mouvement abstrait d’un argent qui a perdu toute corporalité, un monstre sans organes, un fantôme justement ». Et il met en évidence que dans ce contexte « le réel devient introuvable ». (JF Rauger, Le Monde, samedi 26 mai 2012, p. 18)
Croissance, arme magique. Cela fait un bon moment que cette notion éveille des soupçons et que je l’entends comme une « parole magique », comme une de ces formules que les petits enfants ou les fous se répètent, croyant se protéger de quelque péril en les prononçant. Longtemps que je m’interroge sur la propension de tous les hommes politiques à fonder leurs programmes sur des perspectives de croissance toujours trop optimistes et toujours démenties par les chiffres.
Et si mentalement on substituait à « croissance », « emballement de la machine » ? N’est-ce pas ce qui est en œuvre, avec un effet d’accélération grandissant et véritablement terrifiant. N’est-on pas passé en zone hors contrôle ?
Croissance, de nouveau
→ Dans la nature, ce qui ne cesse de croître devient monstrueux. Le gigantisme est une maladie. La prolifération sans contrôle s’appelle cancer. Pourquoi en irait-il autrement dans d’autres domaines, comme celui de l’économie ? L’ignorer n’est-ce pas s’exposer aux terribles corrections infligées par le principe de réalité ?
Pas de régulation, pas de frein et un tsunami de sensations
Article du Guardian sur le livre Memoirs of an addicted brain de Marc Lewis qui a pratiqué et expérimenté pratiquement toutes les drogues et qui, devenu neuroscientifique, en explique les mécanismes de fonctionnement.
« Serotonin, for example, rather than simply being a "happiness molecule", is used throughout the brain as a brake on excitation. It dampens and regulates neuronal firing, allowing us to filter input from the outside world without being overwhelmed. LSD, which the author discovers – almost too perfectly – while at Berkeley in the 60s, works by squatting in receptor sites normally activated by serotonin. The result: no regulation, no brakes, and a tsunami of sensation. In the absence of the gatekeeper, the doors of perception really do swing open. »
→ Ce qui renvoie aux magnifiques récits de Michaux sur son expérimentation des drogues, la mescaline notamment.
Pesquès, de jaune en jaune
Les pages 90 et 91 renvoient quelque chose de tragique. Sous l’égide de « de jaune à JAUNE ». Comme un sur-drame dans le drame permanent de la quête de la réalité de la colline. Comme si quelque chose de finalement rassurant et aimé, que l’on ne peut plus nommer que « j » était désormais éloigné volontairement par l’écrivain. Volontairement et obligatoirement en même temps. Il ne peut en être autrement. Séparation imposée. Il faut la « sep de j » et de son jaune. S’agit-il du jaune particulier (des genêts, de juliau) versus l’idée de JAUNE (d’où les capitales) ? Aller vers JAUNE, n’est-ce pas aller vers l’aridité des idées et des concepts et quitter un jaune exquis, à saveur puissante dans l’œil ? Gué terrible sur le mot jaune.
Pesquès et Cronenberg
« Et si l’apparence venait à manquer ? » : résonance puissante avec l’extrait de l’article de Jean-François Rauger sur le film de Cronenberg et le réel devenant introuvable.
Un « phrasé des corps » (Pesquès)
« Image et colline sans consanguinité / [...] / comme si à côté de la nature, il y avait un domaine réservé / un phrasé de nos corps / pour l’incompréhension (95)
Il y aurait un hiatus impossible à combler, alors même que toute l’œuvre de Pesquès depuis des années s’y contraint, entre d’un côté la « nature » et de l’autre une entité corps+langage ou corps avec langage et donc une étrangeté constitutive de l’une à l’autre. Un éloignement imparable du fait du langage, précisément et alors même que l’on tente de se servir du langage pour combler ce fossé, « un phrasé » « pour l’incompréhension ». Il y a là un effet de circularité et de cercle vicieux redoutable.
Grammaire (Pesquès)
« Les auxiliaires / les toucheurs de sens / ils résonnent après que jaune a chanté ». (97)
Les livres de Pesquès sont aussi, bien évidemment, une méditation continue sur la grammaire. Et aussi sur la « crasse des mots / insensibles à la soif nue » (98)
Un lac souterrain
Commencé le livre que Jean-Yves Tadié consacre à un « inventaire des sujets que Proust et Freud ont traités ». Qui ne s’appelle pas « Un lac souterrain » mais Le lac inconnu, Entre Proust et Freud, coll. Connaissance de l’inconscient, Gallimard, 2012) !
Ouvrant ce livre nouveau
…soudain, je cherche la dédicace ! Livre pourtant acheté qui ne peut porter de dédicace, comme celles trop souvent plates que portent tant de livres reçus. Je fantasme soudain une triple dédicace ! Celle de Proust (« à celle qui s’intéresse tant aux faits de la mémoire »), de Freud (« à celle que passionnent les manifestations du subconscient »), et celle de Jean-Yves Taidé (« à celle qui ne cesse de se nourrir des livres, et en particulier de ceux de Proust et de Freud, qui sont de magnifiques guides pour toute lecture »).
Le lac inconnu (Proust)
Impossible de ne pas citer ici la très belle citation de Proust placée en exergue du livre et qui explique le titre : « …ce magnifique langage, si différent de celui que nous parlons d’habitude et où l’émotion fait dévier ce que nous voulions dire et épanouir à la place une phrase tout autre, émergée d’un lac inconnu où vivent des expressions sans rapport avec la pensée et qui par cela même la révèlent. »
Consanguinité, de nouveau (Proust, Freud)
…mais ici pour la souligner : « Nous voulons saisir ici la consanguinité des esprits, comme dit Proust : ce n’est pas la communauté des idées qui rapproche, mais la consanguinité des esprits. » (13)
insatiable noir
Puis mur noir, trou avaloir, cibles de la fuite avant, aimant – masse sans ombre mais projetée, forme déforme informe chaque pas, morsure au talon, accélération, « los », allez, insatiable noir !
Rédigé par Florence Trocmé le 26 mai 2012 à 10h39 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 23 mai 2012 à 11h12 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Ciel
Alternance de gris et de lumière, mais temps lourd et moite. 14° - hier violentes inondations en Meurthe-et-Moselle.
La citation / Du nom (Derrida)
« En vérité le nom n'est jamais seul. Chacune de ses syllabes reçoit d'une onde sous-marine la venue d'un autre vocable - qui, lui imprimant un mouvement parfois imperceptible, y échange encore sa mémoire. » Derrida, Parages, p. 11
Musique (Ernest Chausson)
Émotion hier de recevoir, totalement inattendu, un petit mot d’une personne de la famille d’Ernest Chausson, me remerciant pour mes choix musicaux actuels. Je continuerai d’ailleurs à parler de Chausson (voir cette page assez complète avec discographie), avec le poème pour violon op. 25, sans doute une de ses œuvres les plus connues (en écoute à l’instant la version pour violon et piano par Spivakov avec Hélène Mercier). La version originale est pour violon et orchestre, dédiée à Isaye qui l’a créée en 1896. L’œuvre a été écrite d’après un récit fantastique de Tourgueniev. D’autres versions à écouter. (Partition)
Hiérarchie (Milad Doueihi)
Bien avancé dans Pour un humanisme numérique, qui constitue une bonne description d’un certain nombre d’aspects de la culture numérique. Long développement sur « l’amitié », ou plus précisément ce qu’elle recouvre dans le contexte des réseaux sociaux, avec une intéressante comparaison pied à pied avec des textes d’Aristote ou de Cicéron.
M’intéresse surtout à la modification des pratiques, notamment éditoriales. Reconnaissant au passage bien des choses expérimentées ces dernières années, par la fréquentation de Twitter mais aussi par mes propres pratiques dans Poezibao et dans le Flotoir !
« [L’]absence de hiérarchie est une caractéristique majeure de la culture numérique actuelle : on la retrouve dans l’organisation libre et variable des rapports entre groupes et individus ; on la découvre aussi dans la méthode de production du savoir et de sa circulation, comme dans la tendance à privilégier les productions collectives, souvent anonymes. » (89) |
→ me souviens, à l’origine (pas si lointaine) d’internet, d’un double mouvement personnel. Émerveillement devant cette méga encyclopédie en perpétuelle recomposition, où trouver réponse à tant de questions, et l'accès presqu’immédiat à des savoirs auxquels il était long et difficile d’accéder auparavant ; et presque immédiatement, comme lié naturellement, le désir de partager ce savoir, de sortir de la confrontation solitaire de toujours avec la seule bibliothèque ! Sans avoir besoin de caution, même si celle d’un certain nombre de pairs est venue petit à petit et même plus tard, celle d’autorités savantes (!), et dans une démarche à la fois spontanée et naïve. Il y a un aspect ludique et quasi enfantin dans cette joie à communiquer ses découvertes, à les « imprimer », à les diffuser… et cela d’autant plus qu’a pesé si longtemps le poids d’une instance éditoriale autoritaire dans le cadre d’un passé de journaliste !
Anthologie (Doueihi)
Longs développements sur le principe anthologique, la collection de fragments, d’extraits, décrit comme une pratique tout à fait dominante dans la culture numérique :
« Si l’anthologie ancienne est née d’une économie de la rareté, comment se fait-il qu’elle soit aujourd’hui la forme dominante d’une nouvelle économie, une économie de l’abondance, voire de la surabondance, celle de notre culture numérique ? Comment expliquer le fait que l’anthologie soit la forme et le format par excellence de la civilisation numérique ? (123)
→ là aussi, comme une reconnaissance du travail de Poezibao, mais pas seulement dans la dite « anthologie permanente », plus largement pour l’ensemble de Poezibao et même dans une certaine mesure, du Flotoir, avec cette manière de prélever des fragments d’ouvrages, de les gloser, de se les approprier, comme supports de pensée mais aussi de vie.
Statut du lecteur (Doueihi)
Avec bien sûr, un profond renouvellement de la stature et du statut du lecteur !
« Si la culture du livre, dans son évolution historique, a donné lieu à la naissance et au sacre de l’écrivain, la culture numérique, dans sa dimension anthologique, inaugure la renaissance du lecteur. Un lecteur toujours déjà auteur, mais auteur dans un sens nouveau, ancré dans une hybridation agencée par le numérique et l’anthologisation. (127)
→ comment mieux définir une fois encore une part importante de la pratique du Flotoir que par cette « hybridation », cette greffe lectrice sur le texte de l’auteur… (en espérant sans doute, bien présomptueusement, des fruits nouveaux, plus résistants !???)
→ cette renaissance du lecteur : reconnaissance bienvenue dans un contexte où certains s’acharnent (par peur ?) à prédire la mort du livre. Plutôt que de renaissance du lecteur, il serait peut-être plus judicieux de parler du renouvellement de son statut, d’un déplacement. Il passerait d’entité silencieuse, un peu fantomatique, largement fantasmée à une réalité plus prégnante, active, en mesure de s’exprimer librement et de donner un accès universel (potentiellement) à son jugement. C’est une évolution considérable, et en premier lieu pour les auteurs !
Rédigé par Florence Trocmé le 23 mai 2012 à 09h45 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)