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Rédigé par Florence Trocmé le 28 juin 2012 à 09h42 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Françoise Clédat
comme décidé, je procède à une seconde lecture du livre de Françoise Clédat, un auteur que je juge important. J’ai déjà rendu compte plusieurs fois de ses très beaux livres dans Poezibao, depuis ma première rencontre avec son écriture, Le Gai nocher, jusqu’à EtnaXios en passant par Une baie au loin. Sans oublier bien sûr le si fort L’ange hypnovel.
Dans ce nouveau livre, Petits déportements du moi, structure complexe de certaines compositions comme le très beau poème d’ouverture, la médiation si l’on peut dire de la disparition faisant le pont entre « impossible complétude » et « incomplétude », entre « imparfaite non finie » et « chance d’infini », comme une transmutation vitale, vers la vie, du deuil le plus âpre, le plus insupportable.
Puis l’ouverture à laquelle je n’avais pas vraiment prêté attention lors de ma première lecture est là, dès le premier poème, Dèy, soit l’évocation d’un chant traditionnel haïtien : on est ailleurs, on est très loin de l’enfermement de la souffrance personnelle, c’est l’histoire d’un chant au milieu des décombres de la catastrophe.
On s’interroge souvent sur le sens exact, possiblement duel, d’un mot ; ambiguïté sur un temps verbal par exemple, comment entendre ce « je vis une histoire d’amour », vivre ou voir ? où ce « réel / tête comme une outre », têter ou la tête ? Les phrases souvent sont déformées de l’intérieur, basculent, peuvent même parfois se lire de façon quasi rétrograde. Il faut parfois les explorer, les déchiffrer, comme un accord complexe où l’on chercherait les altérations des notes. Le poème regorge souvent de sens mêlés et de possibles.
D’autant qu’il semblerait y avoir au moins trois formes de regard, regard en soi-même, sensible à l’évolution imperceptible qui se fait autour et à partir du deuil, regard vers le devenir de l’autre disparu dans le for intérieur et regard, puissant, vers l’extérieur : on l’a dit pas d’enfermement et une sensibilité forte à la douleur du monde : « d’avoir été une fois reçue génère – perdu – la réception multipliée des douleurs // rejoint dans la douleur – et la douleur en elle – une tendresse native (Pddm, 32). Regard grand ouvert sur l’autre, la femme haïtienne sortie des décombres et qui chante, le passant qui attend son train. Avec indéniablement une tendresse.
Deux leitmotiv dans cette première séquence titrée « Je vis une histoire d’amour » : ce « je vis une histoire d’amour » précisément et « je dis à l’ami, je dis à rené », et ces thèmes, comme dans la musique (encore !) donnent l’élan et l’allant, on est pris dans ce flux, nulle stagnation, nulle stase due au deuil mais le mouvement « je vis une histoire d’amour // nulle aventure à vivre / que l’aventure de vivre » (21).
Avec souvent aussi l’expression d’une sorte d’impossibilité, de contradiction, d’aporie même : « [...] me vois-tu experte à te les décrire / attributs de la présence qui n’est pas ne rien décrire de l’absence qui est » (Pddm, 24)
Traces (Françoise Clédat)
Toujours de Françoise Clédat : « parcelles non dénouées / du sensible / comme en chaque chose vue la vue après que les yeux soient fermés »
Très forte cette analogie entre la trace en nous, en général non sue, non identifiée, du sensible qui vient de nous toucher avec ces formations derrière les paupières quand nous fermons les yeux, après avoir fixé les choses, leur marque inversé, comme un négatif photo. Lent effacement (expérience faite à l’instant), comme un son qui s’éteint tout doucement. Sans doute aussi tant elle imprègne le livre, la trace de la disparition en cours, ce qui de l’autre s’efface petit à petit, qu’on le veuille ou non.
Rédigé par Florence Trocmé le 28 juin 2012 à 09h39 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 27 juin 2012 à 09h20 | Lien permanent | Commentaires (0)
Françoise Clédat
Lu une première fois en entier Petits déportements du moi, le nouveau livre de Françoise Clédat. Livre étrange, non pas orphéïque mais qui évoque cependant un entre-monde (se souvenir que l’un de ses précédents livres s’appelait Le Gai Nocher). On semble ici en territoire indéfini, dans l’entre-deux, dans une indétermination qui affecte à la fois la forme du texte, variable, variée, variant, variationnelle même. Entre deux, mort/enfer et vie/retour. Dans une sorte de passage (et il n’est pas exclu qu’il y ait quelque chose d’un rite, d’une incantation dans certains poèmes). Il s’agit de revenir de la mort (qui est ici la mort du plus proche et non une presque mort de soi au sens near death experience) et de reprendre vie.
De la réaction au livre
Réaction quasi physique et de plus en plus à ce que je lis. Cette réaction à prendre en compte, car sans doute aussi signifiante que la « pensée », l’élaboration intellectuelle à partir du livre. Pour Françoise Clédat en cette première lecture, pas de notes, pas de soulignements, pas de gloses, aucune retenue citationnelle mais une lecture d’une seule coulée, un peu comme un déchiffrage de partition musicale. Une forme d’emportement (Rituel d’emportement titre Marie-Claire Bancquart) ou pour reprendre le titre de Françoise Clédat, un déportement du moi.
Exigence de la poésie
Difficile quand on est devenu lecteur assidu de poésie de lire certains textes ! En cours, la biographie de Martha Argerich par Olivier Bellamy, un peu superficielle me semble-t-il (j’en suis à la fin de l’enfance et de la formation) et assez anecdotique. Et Bellamy qui n’écrit certainement pas mal, mais dans un style passe-partout, d’où le cliché n’est pas absent, mise en forme un peu sans recherche formelle des données recueillies. La lecture de poésie rend sans doute particulièrement sensible aux clichés (sous-titre du livre, l’Enfant et les sortilèges, hum !!). Cela dit le livre est vivant et la personnalité de Martha Argerich inouïe si bien que l’on passe sur ces petits inconvénients, ayant le sentiment de lire un travail de journaliste, ce qu’est Olivier Bellamy.
Recul, recel
recul, recel, recalé ce qui hèlerait, pas d’arrière, peur en avant – qui ira au charbon ? – sources perdues, filets taris, qui les cherchera, pauvres livres oubliés sous l’amas affolant des signes – édulcorés, délavés, sèchent sur un fil, tannés recuits, évidés poissons à l’œil mort à l’étal toxique.
Rédigé par Florence Trocmé le 27 juin 2012 à 09h15 | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 26 juin 2012 à 09h39 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (2)
parallèlement
En réponse à des notes de Marc Dugardin, qui dit éprouver une forme de malaise à juxtaposer le drame d’une petite fille mexicaine Roselia (13 ans) morte avec sa petite sœur des suites d’un ouragan dont personne ici n’a parlé et le chant du rossignol, les martinets, le parfum du tilleul :
« je ne vois pas de honte à juxtaposer ces drames et le chant des oiseaux, ils font partie, indélébilement liés, de la même réalité, celle que nous percevons (mais que percevons-nous, pourquoi toi cela et moi ceci, et pourquoi tant rien de ce qui nous touchent et pourquoi nous rien de ce qui les meut ; etc. etc. etc., objet au fond de nos notes.) Pensé à Reznikoff avec ta stèle pour la petite mexicaine (voir poèmes anthologie hier) »
suite en 5
•1• tourne vague et vaque,
toupie à rien qu’à vertige vers vide,
la spirale, l’aspirante
•2• ludions en verve, fils invisibles, tirés, manipulés,
tous tant les uns qu’ailleurs d’autres manières
•3• ficelles, câbles, routes invisibles de
mais boucle sur boucles rondes loin de la
contrée de nuit où le chemin se perd
•4• systèmes systole, diatribes diastole,
moteur à deux temps, caisse claire et cymbale
en glas et gong de fin
•5• toupie du monde, vortex insatiable,
dedans âme noire, dehors trous noirs,
avaloirs à valeurs, espèces trébuchantes,
Rédigé par Florence Trocmé le 26 juin 2012 à 09h37 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 25 juin 2012 à 10h03 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Bernard Noël
« l’écriture n’exprime pas
elle rompt »
Bernard Noël, L’été langue morte, fata morgana, 1982, sans pagination, dans l'anthologie permanente de Poezibao, aujourd'hui
De la librairie
Pessimisme sur son avenir, en tous cas de la librairie aux livres à « faible rotation », avec conseil possible, etc. Les endroits stratégiques des magasins de livres qui pouvaient, il y a peu encore, être voués à la littérature, le sont désormais trop souvent aux blockbusters & bestsellers, aux produits d’appel, aux promos, aux carnets moleskine et autres pratiques de supermarché. La libraire joue le tout pour le tout et malheureusement les seuls modèles qu’elle a trop souvent l’idée d’appliquer, ce sont les méthodes marketing adaptées à d’autres univers. Ce n’est sans doute pas ainsi qu’elle trouvera sa place, là-dessus je ne suis pas très optimiste, même s’il reste encore des libraires quasi militants de la cause du livre de qualité mais ils sont attaqués sur tous les plans, insidieusement. Optimiste sur l’avenir du livre sous une forme ou une autre, de la création littéraire, de la littérature oui, sur l’avenir de la librairie telle que nous la connaissons, c’est une autre affaire et je reste marquée par ce que j’ai vu aux États-Unis, ces lieux immenses et vides, ces piles de livres identiques et formatés comme des produits de grande consommation, aux couvertures raccoleuses, ces lieux pleins de petits gadgets charmants mais totalement secondaires sur le plan du sens, et puis bien sûr la cafétéria, etc. Le modèle Barnes & Noble en quelque sorte, qui commence à débarquer en France, ce qui ne fera que renforcer, pour ceux qui ne marchent pas là-dedans, le repli vers l’achat en ligne. C’est trop cafardeux d’aller chez Barnes & Noble, je peux en témoigner. Penser qu’Amazon fait alors figure de refuge, c’est à crever de désolation.
Jacques Dupin et Wittgenstein
Belle contribution, difficile (Christian Cavaillé, toujours dans ce numéro de la revue Europe), qui opère un rapprochement, mots contre mots, mots avec mots, de Jacques Dupin et de Wittgenstein. Wittgenstein qui parle du « combat contre l’ensorcellement de notre entendement par les ressources de notre langage » in Recherches philosophiques, 1, paragraphe 109, cité in E. 211)
→ à accrocher au-dessus du bureau ou en tête de tout carnet. Concerne aussi bien la pensée que l’écriture. A mâchouiller, méditer, ressasser en marchant. Anti-leurre !
Dupin, poésie
et dans ce même article, un peu plus loin, cette citation :
Poésie
ouverte en peu de mots,
comme par un remous, dans quelque mur ;
une embrasure, pas même une fenêtre
pour maintenir à bout de bras
cette contrée de nuit où le chemin se perd,
à bout de force une parole nue
extrait de Le Corps clairvoyant, p. 134, cité in E. 212)
à compléter par celle-ci :
« contre le concept, contre le soleil aveuglant, une résistance, une immunité : la langue tranchée se morcelle, se disperse, se ramifie dans les strates irriguées du sous-sol, propulsée par l’énergie d’un marcottage de ténèbres fraîchement enfouies. » (Matière d’infini, cité E. 212)
→ ténèbres fraîchement enfouies, à entendre peut-être aussi, parmi de nombreuses autres possibilités, comme ce dépôt, ce substrat qui se détachent en permanence de la vie qui vient de passer. Futur compost, dirait sans doute Jean-Pascal Dubost.
Juste mesure
À lire les œuvres, à lire les choses intelligentes qu’écrivent les commentateurs sur les œuvres, à re-parcourir les chemins de la poésie et de l’écriture dans les années soixante et soixante-dix (via l’article de Veinstein* sur Jacques Dupin et ses innombrables et magnifiques rencontres), sentiment d’une immense petitesse, d’une incommensurable limitation, d’un trop tard qui laisse peu, très peu de champ, hors ce ravaudage flotoireux.
(*toujours dans le même numéro de la revue Europe)
Suite en noir et quatre
pierres pour le gué [sur flux fous] à chercher au puits, d’abord – fondre, fouiller, haler, trop lourdes retombées, petits calibres seule mesure, passage périlleux mais rien d’autre
ce qui flux, l’ample du non dit, du tu, de l’innomé, boue au fond du fleuve, gangue et glu, toutes fermentations et gestations possibles – gaz toxique, pluies acides, le magma fruité de l’entropie
vies coulent en caniveaux urbains, emportement fétide vers l’avaloir – compagnies humides des huiles, rats et chiffons, lente pente et sort certain : retraitement
nul potage, nulle pitance dans le chaudron en feu mais masse à contraindre, poids des presses : la petite main enfantine de testimony, engrenage antérieur à son engendrement
Rédigé par Florence Trocmé le 25 juin 2012 à 10h01 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 21 juin 2012 à 10h35 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Lectures
Très bon édito du Monde (suis frappée de la qualité de ces éditos depuis quelques mois, choix des sujets dans le foisonnement de l’actualité et analyses sans concessions, mais nuancées et subtiles) sur ce qu’on appelle le complotisme ou le conspirationnisme. Cette pathologie (sociale) qui consiste à voir des complots ou des machinations par d’obscures puissances (souvent « l’internationale sioniste ») sous des évènements tels que le 11 septembre. Essor de ces mouvements favorisés par Internet. L’édito préconise une vigilance de la presse (versus des lois censurant) car il faut « démonter les fariboles ainsi véhiculées. Parce qu’il y a des fariboles qui tuent ». (Le Monde, daté jeudi 21 juin 2012, Une).
Un article de la Deutsche Welle sur une forme de remise en valeur du chant dans les écoles et en particulier des vieux chants populaires allemands, les Volkslieder, par l’association canto elementar, initiative qui a dû, dans un premier temps convaincre en raison de fortes réticences dues à l’utilisation d’éléments de ce répertoire par les nazis. Toujours eu le goût des « vieilles chansons françaises » de mon côté ! Les « Meunier tu dors » et autres « Frère Jacques »… (Alte Volkslieder für kleine Kinder).
Et un autre en anglais sur la perception des couleurs selon les pays ou les civilisations : on apprend ainsi que pendant très longtemps les Japonais ne distinguaient pas le bleu du vert ! (The crayola-fication of the world)
Et toujours le numéro Dupin de la revue Europe
Des langues, de leur lecture
Il me semble important de fréquenter les autres langues (fréquenter, les lire fréquememnt), de découvrir comme les autres langues nomment les mêmes choses… comment pensent les Allemands, les Anglo-saxons. Anglais et allemand sont les langues auxquelles j’ai accès et je me rends compte de l’ouverture que me donne cette pratique de tenter de lire chaque jour un article dans chacune des deux langues (sources principales à l’heure actuelle, la Deutsche Welle et The Guardian) : j’ai totalement détourné l’usage du Kindle, en ce sens que je m’en sers en permanence et même avec une sorte de tendresse pour lire ces fichiers-là, récupérés sur le net, alors que je n’ai pas acheté un seul livre mis à part quelques publie.net !!!!)
Dupin et la liberté
« Ne coassant plus en Dieu », Dupin a pour références Lautréamont, Rimbaud, Nietzsche, les présocratiques, Spinoza ou la culture extrême-orientale : il y a donc un clair refus de l’autorité transcendantale. Au profit du « pluriel splendide et affamé » (J. Dupin). (Valéry Hugotte, Europe, 134)
→ il y a aussi de nos jours de bien plus pernicieuses autorités que la transcendantale : celle à pression majeure de la doxa, celle des médias, celle du p. correct (politiquement, poétiquement, people-ment correct), pressions d’autant plus dangereuses qu’elles sont pernicieuses. Personne ne semble les imposer, c’est donc un ventre mou auquel s’affronte celui qui veut y résister pour éprouver le « pluriel splendide et affamé », autrement dit la splendeur et l’horreur du monde, dans ses affolantes diversité et pluralité. À mille lieux de la pensée préfabriquée, du béton armé et des autoroutes de la communication ! Monde affamé en ce sens aussi, mais pas uniquement bien sûr, qu’il réclame notre attention (et nos attentions et qu’il nous dit attention ! – consternant Rio+20) et notre pensée le concernant, nos tentatives de le penser.
le pluriel splendide et affamé
surabondante abondance, impressions dominantes et liminales, jeu des formes et des couleurs, la lumière, la violence
Feu, joie et désolation, mer nourricière et naufrageuse, vent caresse et arracheur, éclats mille éclats, le pluriel splendide et affamé, danse des atomes, agencements à l’infini, accoucheurs et tueurs.
Rédigé par Florence Trocmé le 21 juin 2012 à 10h12 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)