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Rédigé par Florence Trocmé le 30 juillet 2012 à 11h03 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Les différents composants d’un livre
Dans un article (en anglais), une vision intéressante du livre, publiée sous le titre « but is it a book ? ». L’auteur distingue trois éléments qu’il appelle des codes, qui font ce que nous appelons aujourd’hui un livre : « When you take the text of Moby-Dick and pour it into a Kindle, you strip out the bibliographic codes and you strip out the social codes. You lose that hermeneutic surplus of meaning that the book is. ». Et un peu plus loin « When he talks about bibliographic codes, Mr. Suarez means the elements that together make up the book as object. That includes paper stock, bindings, typeface, and illustrations. Just as important, he says, are the social codes embedded in a book. A Harlequin romance has cues built in that alert a reader to what it is ».
→ Autrement dit, il y a les éléments matériels du livre, ce qui fait du livre un objet d’une part et tous ses signes extérieurs d’identification d’autre part, et il y a par ailleurs ce qu’il appelle le code linguistique, autrement dit le texte. Cette distinction semble pertinente pour penser l’avenir du livre.
Feux en Sibérie et langue étrangère
Dans un article (en allemand), focus sur de nouveaux graves incendies de forêt en Russie et cette idée que le drame d’il y a deux ans, ces terribles feux de tourbe qui avaient alors affecté le pays, n’a rien appris aux autorités. Et ces verbes qui « sonnent » terrible : wüten et toben, faire rage. Une langue étrangère : charger ses mots comme on le fait dans sa propre langue, les entendre. Ici j’entends la propagation et la mort, le feu comme un serpent sournois et un cogneur !
Feuilleton (Bernard Collin)
Alors que se poursuit la publication en épisode de La Justification de l’Abbé Lemire de Lucien Suel, reçu le fichier du prochain feuilleton, des extraits des Cahiers de Bernard Collin. Quinze pages magnifiques, choisies et éditées par Lola Créïs, avec l’appui de Jérôme Mauche. On sent sourdre la conscience, ses tourments, ses doutes, ses joies et ses chagrins dans la masse touffue et pourtant très lisible de chaque bloc, ces 22 lignes que Bernard Collin s’astreint à écrire chaque jour de sa vie. Une sorte de pelote, on aimerait bien écrire de déjection, à condition que les lecteurs l’entendent tout à fait positivement. Éléments mêlés et redonnés de ce que fut le jour, une part de son hétérogénéité constitutive. Sans doute que Bernard Collin ne m’en voudrait pas de cette allusion ornithologique, lui qui écrit dans ces pages que « les virgules sont botaniques »
Alterner (Internet)
Texte très intéressant aussi du site Ars Industrialis, texte de Philippe Aigrain déjà ancien, mais pourtant d’actualité, prônant une sorte d’hygiène par rapport à la connexion permanente. Il pointe ce qu’il appelle une « opposition entre une écologie humaine des échanges et l'éconosystème autiste de l'information. [...] Avec la naissance des techniques d'information et des réseaux, écrit-il, nous nous sommes dotés de dispositifs et de branchements informationnels qui permettent une extrême intensité de traitement de l'information et d'interaction avec les autres. C'est une qualité fondamentale qu'il serait vain de vouloir nier ou réduire. Mais il nous faut apprendre à vivre avec, et dans ce processus à sculpter les techniques pour qu'elles nous le permettent. Dans la construction d'un art de vivre contemporain, nous avons un besoin vital de temps de respiration, de moments de recul, de temps de réflexion, de moments rythmés par notre parcours mental et corporel et son voyage dans l'expérience et dans l'espace physique. Nous avons besoin d'un art de l'alternance des temps et des rythmes. Cet art est difficile à construire pour des raisons externes et internes. La prédation économique du temps par les médias de l'attention (télévision mais aussi la plupart des jeux vidéo et certaines formes de télécommunication ou d'usages du Web) s'y oppose bien sûr, et c'est pourquoi je défends que la libération du temps humain de cette prédation est un enjeu majeur, politique, social et de santé publique. »
→ si certains jugent nécessaire de « claquer les portes de l’internet », attitude sans doute un peu excessive, il est aussi nécessaire d’expérimenter quotidiennement le hors. Le risque est que tous les espaces intérieurs soient envahis de façon irrémédiable par des corps étrangers ou des espèces envahissantes sans que la conscience ne puisse plus s’en défaire ou alors au prix de mesures drastiques et invalidantes. Le temps de la vacance, de la solitude avec soi-même est une nécessité vitale.
Celibidache
Reprise de la lecture de La Musique n’est rien, textes et entretiens pour une phénoménologie de la musique du chef d’orchestre Sergiu Celibidache.
Il rappelle que l’allemand distingue le son (Klang) et le son musical (Ton) (MR, 37). L’homme invente le son musical, qui n’existe pas dans le monde. Il découvre le son à vibration régulière (frapper une corde, une peau tendue, souffler dans un roseau) et il s’en émerveille dans un univers marqué par l’inconstance et l’éphémère : « dans cette invention naît une joie nouvelle qui n’est rien d’autre que se vivre soi-même » (MR 38)
→ pourquoi cette exploration continue de ces questions, tantôt excitantes, tantôt lancinantes ? Pourquoi la musique, pourquoi cette extraordinaire sensibilité à la musique, sans cesse croissant depuis l’origine? Question que je crois liée en dépit des apparences à celles-là : pourquoi la photo, pourquoi la lecture, pourquoi l’écriture, pourquoi cette quadruple nécessité, avec ses cycles bien particuliers mais complètement récurrents sur la très longue durée. Pratiquer et recevoir. Il se pourrait que le facteur commun soit la question du temps, du flux, du mouvement. Celibidache le rappelle « tout est mouvement. Si le son est mouvement, qu’est-ce qui distingue le son pouvant devenir musique des autres formes de mouvement » (MR, 37).
Relever aussi ce besoin constitutif d’arrêter le mouvement ou plus exactement d’en générer une reproductibilité. En ce sens avoir vécu au temps de l’expansion inouïe de la reproductibilité technique est un privilège ! Ne jamais oublier les premiers enregistrements (premières photos, petit barrage dans le flux de ce qui fuit à une allure vertigineuse) avec le magnétophone à bandes (l’odeur si particulière des bandes magnétiques, celle un peu plus tard du Revox !)
Le son ne vibre pas seul (Celibidache)
Celibidache continue ensuite avec une vraie petite leçon d’acoustique. « Le son à vibration régulière ne vibre pas seul », dit-il évoquant bien sûr le phénomène des harmoniques « toute une série de sons périphériques vibrent avec lui et forment ensemble avec lui une pluralité résonnante tout à fait nouvelles »
→ Ici, sous sa plume, dans son approche très singulière, les choses mille fois lues et parfois expérimentées prennent une autre dimension. Passages remarquables sur les si bien nommées harmoniques, subdivisions obligées du son principal que l’on peut entendre en frappant une note grave sur un piano, la suite des harmonique, l’octave, la quinte, etc.
Mais Celibidache désire montrer que si l’on insiste souvent sur la dimension spatiale du son musical, on néglige beaucoup trop sa dimension temporelle.
Bach, Leipzig, Bayreuth
Ces notes sur la musique me renvoient à cette expérience toute récente : celle de l’émotion reconnaissante si forte ressentie devant la dalle funéraire de Bach, en l’église Saint Thomas de Leipzig. Émotion en revanche totalement absente lors de mon très bref passage au Festspielhaus de Bayreuth, quelques heures avant l’ouverture du festival ! (ce n’est pas un jugement musical, encore que… !!!)
condamnés à perpétuité
flux, flots, filant, fuyant, petits barrages contre le pacifique oh le mal nommé mangeur de ses digues, effaceur coriace de ses échafaudages et le temps, pire le temps et son tempo, nul répit repos relâche relaxe, condamnés à perpétuité – presto con fuoco, terre brûlée, ça sent le roussi, fuir, tous fuient, feu, famine, forces déchaînées, fuient, cohortes à partir sans cesse, en route toujours et revenir, quand ?
(Collin – Celibidache – Sibérie – République démocratique du Congo – Syrie – Mali – Duras)
Rédigé par Florence Trocmé le 30 juillet 2012 à 10h59 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 14 juillet 2012 à 18h15 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Celibidache, Toscanini et Mahler
J’ai commencé le livre d’entretiens et de textes de Celibidache, La Musique n’est rien (désormais MR) et c’est plutôt décapant ! Très intéressant aussi. Il m’arrive de penser que les musiciens sont très conventionnels et parfois très plats quand ils parlent de musique, au lieu de la faire ou de la jouer. Rien de ça ici, le grand chef d’orchestre tire à boulets rouges, par exemple sur Toscanini. Rapportant cette anecdote : Toscanini disant « je ne fais rien qui ne soit dans la partition » et Mahler répondant « Dans la partition, il y a tout, sauf l’essentiel »
Il est dur, Celibidache, très dur même et donc notamment avec Toscanini dont il dit (MR, 22) qu’il a synthétisé l’idiotie musicale humaine. Rien de moins ! Et qu’est-ce que l’idiotie musicale « l’incapacité de corréler les valeurs, ne les prendre que dans le sens discursif, telles qu’elles apparaissent dans le temps », tandis que « faire un tout de ces apparitions ponctuelles, ça c’est la musique »
→ première piste donc : la plupart des musiciens ne verraient au fond pas plus loin que le bout de leurs notes et ne seraient pas capables de construire un tout, à partir de ce continuum des notes.
→ n’est-ce pas d’ailleurs le propre de toute idiotie, de toute sottise ? Et là se sentir très concernée. Je connais l’idiotie musicale par manque de compétence, parce que je suis bien trop le nez dans le guidon de la partition, de ses difficultés, des contraintes techniques notamment pour pouvoir « faire un tout de toutes ces apparitions ponctuelles » mais plus largement, j’éprouve la difficulté à voir large, grand, général. Je m’intéresse au détail, au petit, je lis au jour le jour, je fais des « journaux de lecture » mais je ne suis pas à l’aise dans la synthèse, dans le plan général, dans la conception d’un tout, dans la création d’une entité globale.
Pauvre Anne Sophie !
La mise à mal des confrères continue avec la pauvre Anne Sophie Mutter « incapable de faire un gramme de musique » (et là, je crois bien l’avoir ressenti, toute admirée et encensée qu’elle soit, elle m’a toujours laissée très indifférente). D’ailleurs Celibidache reconnaît qu’elle est une violoniste extraordinaire, un don du ciel. « mais le violon… ce n’est pas de la musique ! ». « La musique n’est pas autre chose que la transcendance du son. La musique est une articulation : la coïncidence dans le temps et dans l’esprit du commencement et de la fin, de la fin et du commencement » (MR, 23)
La question du son (Celibidache)
Celibidache aborde ensuite la question du son « Il y a une dimension temporelle dans tout phénomène statique musical. Une seule note sur le violon : l’homme l’a conquise, l’a prise à l’univers, la voilà constituée ; mais elle ne reste pas là, elle ne vibre pas dans son entière intégrité, elle se double, fait des nœuds et disparaît en présentant toute une famille de relations » (MR, 24). Et là je ne peux m’empêcher de penser à Scelsi jouant indéfiniment, au plus profond d’une dépression, une seule note. Écoutait-il la musique disparaître en présentant toute une famille de relations. S’agit-il ici seulement des phénomènes acoustiques, des harmoniques, etc ?
Une logique des proportions (musique)
Celibidache évoque alors Frescobaldi, disant que pour les passages de grande expression, le tempo doit être plus lent (et il défend ainsi ses propres tempi, très lents, et qu’on lui a souvent reprochés !). Une logique des proportions. Et il ajoute que l’on devrait savoir, en ouvrant une partition et sans bien sûr regarder l’indication éventuellement portée, s’il s’agit d’un allegro ou d’un andante à la façon dont la musique se présente sur la page.
Dans la foulée, il s’interroge sur l’effet que produit le son sur l’homme, un des sujets qui me passionnent le plus. Haydn disait par exemple que dans un presto, les harmonies doivent être simples (tout à fait ce que j’expérimente dans le presto de la sonate en mi mineur Hob XVI.34 que je travaille en ce moment ! Et du coup, comme je suis incapable de jouer vraiment presto, j’ai du mal à rendre vivante la musique. Elle est difficilement jouable de façon intéressante plus lentement. La seule solution tentée et mise en œuvre avec S. est de créer de forts contrastes.)
De la critique (qui en prend pour son grade)
Et envie de dire merci à Celibidache qui écrit : « Il n’y a pas d’“assez bonnes Quatrième de Brahms”. Il y a la Quatrième de Brahms et aucun critique ne la connaît. Ils collectionnent des sensations empaquetées qu’ils comparent comme un paquet de café » (26) : aïe aïe toutes les Tribune des critiques de disques et autre Jardin des critiques… et là aussi, ce sentiment si souvent éprouvé de n’avoir aucune légitimité à faire de la critique musicale (et le fait que 80% des critiques de disque ne soient pas plus légitimes voire même moins que moi n’y change rien).
De la formation (Celibidache)
Bien entendu, Celibidache remet en cause toute l’éducation musicale conventionnelle car elle tue ce qui chez l’enfant, est encore « très près de la corrélation naturelle », l’enfant qui va spontanément phraser avec justesse quand il chante. Et il raconte sa terrible expérience personnelle, quand il a pris conscience qu’il était incapable de « tenir deux mesures ensemble ». Il a alors tout repris à zéro, avec de petites formes pour « essayer de percevoir la fin en fonction du commencement, et le commencement en fonction de la fin » (31)
→ le paraphrasant je pourrais dire que j’essaie de concevoir le terme de son propos en lisant ce commencement et que j’ai un peu de mal. Beaucoup d’anathèmes, pas encore vraiment d’explication en profondeur, notamment sur ce qu’il appelle la phénoménologie de la musique… chapitre suivant et impatience. Car pour l’instant, si la pique me semble juste et acérée, les propositions me semblent un tantinet floues.
Mais cela fait beaucoup de bien de lire ces propos souvent iconoclastes, car dans le monde musical, au moins autant que dans celui de la poésie, une vraie liberté de ton et de position est assez rare ! On semble ici tout à fait hors du consensus blindé et excluant des supposés sachants !
Rédigé par Florence Trocmé le 14 juillet 2012 à 18h13 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Balises: Anne-Sophie_Mutter, Celibidache, les critiques, Mahler, musique., son, Toscanini
Rédigé par Florence Trocmé le 12 juillet 2012 à 10h13 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Lectures
Le Monde ; Continuités d’éclats de Mathieu Bénézet ; et le tout début du livre de Sergiu Celibidache, La Musique n’est rien, textes et entretiens pour une phénoménologie de la musique.
De l’écoute
Repensé à ce que dit Mathieu Bénézet sur l’écoute, l’écoute appliquée à la lecture, une forme d’attention un peu différente de celle à laquelle on pense usuellement quand il est question de lire. « Si tu as bien réglé l’écoute tu entendras » (Continuités d’éclats, 59).
→ comme si en quelque sorte, il y avait une onde émise par le livre, avec une certaine fréquence et qu’il fallait se régler, soi, de telle sorte que l’on puisse capter ce flux.
→ idée ici d’une prédominance, chez certains, de l’écoute sur la vue. La fonction voir et le regarder me semble exacerbés dans la culture contemporaine et il est clair que depuis longtemps je suis bien davantage du côté de l’entendre et l’écoute. Écoute qui ne concerne pas que le domaine sonore, qui va au-delà, écoute au fond des voix.
Il en va ainsi notamment dans la musique avec cette difficulté réelle à entendre la polyphonie, une sorte d’incapacité que j’éprouve souvent à entendre en même temps, analytiquement, par exemple le violoncelle et le violon dans le quatuor avec piano en sol mineur de Mozart que j’écoute en ce moment tous les matins. On les perçoit ensemble, bien sûr, mais il me semble, comme un son unique, une masse un peu indifférenciée. Il est beaucoup plus difficile (et il y faut sans doute des années d’entraînement et cela depuis l’enfance) de les entendre distinctement chacune et en même temps. C’est aussi il me semble toute la question posée par la double dimension de la musique, mélodique et harmonique, horizontale et verticale.
→ souvenir d’enfance : « écoutez-vous » disait le professeur de piano. Ce qui semble aller de soi, mais ne va pas du tout de soi quand on est accaparé par dix préoccupations, lecture des notes et de toutes les indications de la partition, difficultés techniques, respect de la mesure, pédale, etc.
→ Écoute de la voix, c’est aussi écoute d’autrui et une vraie écoute ne va pas de soi. Elle se règle également. Je me souviens du dire d’une amie aujourd’hui disparue me confiant qu’elle sentait très bien quand je commençais à vraiment l’écouter. Même si auparavant, par mes répliques, je donnais tout signe de l’entendre, il y avait une sorte de moment de passage où l’écoute devenait autre. Peut-être que cela a à voir avec l’écoute des analystes, cette écoute flottante, sensible à d’autres dimensions que le strict signifié apparent de la parole ?
→ Cette longue divagation me ramène à la lecture car il me semble souvent et c’est peut-être ce que veut dire Mathieu Bénézet que le livre s’écoute presqu’autant qu’il se lit. Et peut-être bien en écoute flottante, sensible à autre chose qu’au strict signifié. Écoute rendue impossible ou difficile par l’excès d’analyse, textuelle notamment ! Et cette écoute-là n’est ni automatique, ni tout à fait volontaire. Cette lecture-écoute requiert une certaine façon d’être intérieure, qui va au-delà de la disponibilité, laquelle ne suffit pas. Elle est loin d’être toujours possible.
Du rythme
Hier installation sur mon téléphone d’une petite application (Readrhythm) qui permet de travailler le rythme. Sont données quelques mesures, avec des valeurs de notes et de silences très variées, que l’on peut jouer dans des tempi différents et il faut taper le rythme sur une touche. Amusée de voir que même quand le rythme est globalement en place, il y a un très léger décalage temporel, avance ou retard, qui est chiffré et visualisé par l’application. Ce qui me confirme dans mon idée que si les batteries et boîtes à rythme modernes ont quelque chose d’insupportable, c’est qu’elles ne varient pas d’un millième de seconde, alors que l’homme, lui, oscille plus ou moins, très légèrement et que c’est ce qui fait toute la vie de la musique.
Rubato
On pourrait rapprocher cette infime oscillation du rubato. Dont j’ai ma propre définition qui n’est sans doute pas très scientifique : variation légère de la mesure entre deux barrières temporelles, une fluctuation (dont le dosage relève du très grand art) par rapport à la mesure exacte. Fluctuation synonyme de vie dans l’interprétation.
Rédigé par Florence Trocmé le 12 juillet 2012 à 10h11 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 09 juillet 2012 à 10h16 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Lectures
•Un article en allemand sur le prix Ingeborg Bachmann, qui semble avoir un fonctionnement très particulier, puisque chaque membre du jury choisit préalablement deux candidats et qu’ensuite tous les candidats procèdent à une lecture publique de travaux inédits. (source)
•Un article du Guardian, en anglais donc, sur le feedback vers les éditeurs et auteurs que permet la lecture sur liseuse : il est possible de savoir la vitesse de lecture des livres, quand les gens bloquent sur un passage ou bien à quel endroit ils l’abandonnent, quels passages ont été les plus soulignés : « it knows what you've highlighted or bookmarked: a passage from The Hunger Games trilogy, "Because sometimes things happen to people and they're not equipped to deal with them", is the most highlighted of all time on Amazon's Kindle, marked down by 17,784 users. » (source)
On admire au passage la profondeur psychologique du passage en question !
L’article suggère que l’on peut ainsi donner des conseils aux auteurs ! Cela montre bien où on se situe, dans le commerce et le marketing et pas du tout dans la littérature ! C’est assez effrayant et en même temps fascinant, une nouvelle plongée dans les habitudes de lecture. Avec toujours ce petit sentiment d’immunité dû aux goûts littéraires : peu de chance que les grands manitous aillent étudier la façon dont sont lus James Sacré, Ivar Ch’Vavar ou même Yves Bonnefoy.
•Et de nouveau, Mathieu Bénézet, Continuités d’éclats.
Que remâches-tu dans le dédale ? (Mathieu Bénézet)
Page 37 de Continuités d’éclats, Mathieu Bénézet donne lui-même une sorte de fausse définition de son livre, en forme d’interrogation : « Qu’est-ce ce roman où tu mélanges Breton et Adamov, Duchamp et Pierre Jean Jouve, Hugo et Georges Bataille, quel dire cherches-tu aux noms de Novalis et de Pétrarque, quel abandon cherches-tu et quel désir, quelle rupture, l’errance, mais où sont les vivants, leurs lèvres, leurs corps, qu’est-ce qui t’effraie, es-tu effrayé, que remâches-tu dans le dédale. » (Ce, 37)
Chez lui aussi ce rapport intense, presque physique avec les grands écrivains du passé, mais sur un mode différent de Claude Favre, Jean-Pascal Dubost ou Liliane Giraudon. Bénézet les mêlent souvent dans un même cornet, les faisant s’entrechoquer.
Et puis il y a ces adresses (à) qui rendent le livre si fraternel ! On ne sait trop vers qui elles sont dirigées, vivants ou morts, le lecteur ou lui-même, l’auteur, en train d’écrire, comme si toutes ces entités se fondaient en une seule chimère parfois. (Ce, 41)
Une odeur de mort (Bénézet)
Ici relevé versifié d’une scène mêlant rien moins que Maurice Nadeau, Jérôme Lindon, Paul Otchakovsky-Laurens, Jean Ristat et Mathieu Bénézet « face à un public de bibliothécaires ». Et Bénézet d’écrire : « je respirais une odeur de mort [...] je n’ai entendu que les discours de la mort / mort du livre ou mort de la littérature » [...] Ce, 42]
→ ça ne vous fait pas penser à quelque chose ? Ces sempiternels discours qui sont prégnants car ils sont adossés à une culture de la mort, de l’éclatement, de la dispersion, de l’entropie sur la fin du livre, la mort de la littérature, des arts, la marchandisation universelle, etc.
Qu’est un livre ? (Bénézet)
Mais malgré ce climat, malgré le fait que Mathieu Bénézet parle sans cesse de la dévastation de l’écrivain, il y a chez lui une sorte de foi éperdue dans le livre qui est bouleversante et impose de citer en entier ce passage : « Lectrice, lecteur / Qu’est-ce qu’un livre, qu’est un livre ? murmurais-je en moi-même [...] Alors me sont venus ces mots : la destruction du monde et de soi. Qu’est-ce à dire ? Qu’est ce qui me bouleverse dans ma vie d’homme dès que je parle de “livres” et de “littérature” ? / Pénétrerai-je dedans, dans un livre, dans son intimité et son renoncement ?/ Qu’est l’intimité, qu’est le renoncement ? » (Ce, 44)
→ Ces mots me touchent profondément car j’ai l’impression qu’ils sont complètement en phase avec la démarche de ce flotoir. Pénétrer dans les livres, oui, il me semble que parfois c’est ainsi que je procède, entrer dans leur intimité, aller retrouver la nappe phréatique qui nous est commune à moi, lectrice, à l’auteur, à tous sans doute, à ceux qui sont disposés à tenter d’en percevoir la présence (on se souvient du coudrier de Dupin !). Et le renoncement, qui concerne-t-il ? A-t-il quelque chose à voir avec ce combat avec l’impossibilité lucidement exposée par un Nicolas Pesquès ou une Françoise Clédat, par Bénézet lui-même bien entendu aussi ?
Répondre, répondre, au plus loin, au plus proche (Bénézet)
Toutes les adresses aux lecteurs sont bouleversantes, témoin celle-là :
« LECTRICE, LECTEUR / D’une brisure en toute hâte, d’un désastre, répondre, répondre, au plus loin, au plus proche, si vite, si lentement, une douceur et la blessure, ah la blessure, la douleur, la douleur, la candeur, s’arrêter, déchirer, savourer, un désir fou, poursuivre, transpercer, discerner, jouir, dieu que l’énigme nous emmerde, le fracas, la source, foutez-moi cette source où je pense, mais y boire » (Ce, 49)
L’extrémité vécue et pensée de la langue (Bénézet)
« Qu’est-ce qui nous percute ? Qu’est-ce qui du dedans de la langue fait jaillir l’étincelle qui, nous percutant, nous laisse infiniment ouverts ?
Qu’est-ce qui s’ouvre, si ce n’est l’infinie possibilité de l’expression les uns aux autres ? Ce qui est proprement, poétiquement exposé sont nos limites, c’est là que nous venons philosophiquement parlant : l’extrémité vécue et pensée de la langue. Et le plus profond, le plus lointain s’ouvrent directement sur nous, nous donnent de cette langue dont ils sont chargés. Cela qui nous percute comme possibilité de fin, mais aussi de communauté. (Ce, 59)
→ Encore une fois, quelle proximité avec tous les relevés récents ! Mais aussi un écho à cette question posée lors de la fin de la lecture du livre de Nicolas Pesquès, où je relevais l’absence qui me semblait quasi-totale de l’autre, à l’exception parfois de Cézanne. Il y a chez Mathieu Bénézet une ouverture sur l’autre, comme confondu à lui-même, partie intégrante de lui-même, qui est bouleversante, il faut reprendre une fois encore ce mot très fort. Il se dégage de ces pages une immense émotion, comme radioactive en ce sens qu’il y a quelque chose d’un rayonnement sombre, peut-être dangereux pour l’intégrité, l’identité et en tous cas le confort intérieur. Mais source d’énergie, prenante et envers et contre tout, dynamique. Ne suscitant pas la dépression mais une forme d’élan tendre, doux, profond. Paradoxalement oui, une immense tendresse et une non moins immense douceur.
L’écoute (Bénézet)
« Si tu as bien réglé l’écoute tu entendras » (Ce, 59)
→ très forte remarque qui me permet de percer un peu le secret de cette énigme : pourquoi à deux soirs d’écart, un même livre d’un même auteur me parle parfois si différemment (en réalité, le plus souvent, me parle intensément un soir et puis, plus du tout le lendemain).
Je pense ici à ces postes de radio de l’enfance où il fallait rapprocher, comme deux lèvres, les deux côtés du vumètre vert pour que la réception soit correcte et cela dans la proximité de mots profondément mystérieux : Hilversum, Sottens, Beromunster (il me semble que Yves Bonnefoy évoque cela quelque part et c’est aussi pour moi l’occasion de remarquer que l’exotisme n’existe plus, tout étant devenu si proche, si accessible !)
Alors oui, on règle l’écoute ! Sauf que ce n’est pas à mon sens tout à fait volontaire. Certes certaines conditions, parfois rituelles, favorisent l’écoute et son réglage. Mais parfois l’écart entre les deux bandes du vumètre est irréductible, on n’entend rien ou une friture insupportable ! Et ce qui suit, dans l’énoncé de Bénézet est à la fois énigmatique et possiblement une clé : « le seul que je doive tuer est moi ; le seul que tu doives tuer est toi, et telle est la contingence artistique » (Ce, 59). Est-ce à dire que trop de soi tue l’écoute. Et pourtant n’est-ce pas par l’alliance d’une forme de neutralité et d’hyper individualité conjointes qu’une forme d’écoute est possible ? Ce qu’il y a à entendre ne doit pas être bloqué, arrêté par du trop personnel mais doit aussi aller faire résonner le très personnel, s’y allier (mémoire, dispositions sensibles, cheminement intellectuel, état d’esprit, etc.) pour prendre toute sa force. C’est presque un processus alchimique.
C’est aussi sans doute pour cela que j’imagine souvent une sorte de chimère, utérus, bulle, poche immatérielle, espace interstitiel de projection et de production duelles, sas par lequel comme dit Mathieu Bénézet on peut pénétrer dans l’intimité du livre et le renoncement.
Une voix de la sensation (Bénézet)
Terminer donc pour aujourd’hui avec cette nouvelle adresse à la lectrice, au lecteur « et tu écouteras une voix de la sensation, d’hier ou d’aujourd’hui, d’ailleurs ou si proche, méconnaissable ou amicale, une voix de l’oubli, de l’engourdissement ou du soir. Une voix rassemblée dans les courants inverses, bordée au sud et au nord, à l’est et à l’ouest par les attributs du monde. Une voix embrouillée, mythologique, effrénée. Une voix dans l’épaisseur de la conversation, dans l’enfance de la séparation. Une voix qui demande, appelle et réconcilie. Une voix antérieure, dissociée, aimée. Accordée. (Ce, 62)
Musique, écoute (Bénézet, Brahms, Adam Laloum)
puis écoutant le jeune pianiste Adam Laloum jouer, magnifiquement, Les Variations sur un thème original en ré majeur op. 21, n° 1 de Brahms, je songe à nouveau à Bénézet et à ce qu’il dit de l’écoute, comme réception d’une sorte d’adresse à soi « ne t’étonne pas si nos écrits empruntent une forme épistolaire. Nous t’écrivons ; et nous écrivons des lettres d’amour “je suis prêt à soutenir qu’un texte qui n’est pas une lettre d’amour ou quelque chose de ce genre est nul. Efficace et nul.” (Philippe Lacoue-Labarthe, 1978) » (Ce, 63)
En écoutant Laloum, sentiment très fort qu’il s’adresse à moi, ou plutôt qu’il y a une sorte de double adresse en relai, celle de Brahms à Laloum puis à moi. C’est pour moi seule, à cet instant-là (en cela comparable à ce que dit le catéchisme enfantin de la relation duelle avec Dieu !)
De l’écoute, encore (Martha Argerich)
Puis ensuite, écoute des dix premiers préludes des 24 préludes de Chopin, par Martha Argerich. Et ce même sentiment très fort, plus fort encore car elle donne le sentiment de gommer le relai, elle est Chopin, me dis-je (faisant ma petite Cixous !), elle ne joue pas, elle n’interprète pas, elle crée la musique au fur et à mesure qu’elle la joue.
Mais il en va de cette lecture-là, comme de cette écoute-là : elles ne sont pas soutenables longtemps. La disponibilité s’épuise. Il faut savoir s’arrêter, mettre de côté, pour y revenir plus tard. Avec ce risque que l’écoute ne fonctionne plus, que les deux bandes du vumètre ne puissent plus être rapprochées (et c’est très douloureux !). Il faut être humble vis-à-vis de cette capacité, la savoir fragile, aléatoire mais il faut aussi sans doute l’entretenir.
Rédigé par Florence Trocmé le 09 juillet 2012 à 10h14 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 06 juillet 2012 à 09h51 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Une soirée de lecture (1)
Hier très belle soirée Jacques Dupin à la librairie Tschann à Paris, à l’occasion de la sortie du numéro de la revue Europe dédié à Jacques Dupin que j’ai abondamment commenté dans ce Flotoir. Il y avait là notamment Georges Raillard, Nicolas Pesquès et Maïtreyi, Cole Swensen, Jean-Claude Mathieu, Anne de Staël, Claude et Hélène Garache, Didier Cahen, Jean-Patrice Courtois, Jean-Baptiste Para, Emmanuel Laugier, Jean Frémon, Esther Tellermann, Mathieu Bénézet, Caroline Sagot Duvauroux, Fabienne Courtade, Christian Cavaillé, Jean Claude Schneider, Jacques Lèbre, Jean-Pierre Chevais.
Passer outre (Françoise Clédat)
« Il faut connaissant l’impuissance – qu’elle gagne mais / de sa victoire encore nous épargne – que vers ne plus créer / soit l’impossible où nous créons. » (Pddm, 67)
Superbe formulation qui synthétise bien des points relevés ces derniers temps notamment chez Nicolas Pesquès. On est bien ici « sur zone », autrement dit au cœur même de la question de la poésie aujourd’hui. Conscience d’une impossibilité, volonté lucide de tenter le passage envers et contre tout, notamment l’évidence. Claire conscience de l’impossibilité de la poésie, et non moins claire détermination à ne pas renoncer, à aller ferrer l’impossible.
Continuités d’éclats (Mathieu Bénézet)
Repris Continuités d’éclats, de Mathieu Bénézet, récemment paru aux éditions Rehauts. Sans doute conduite à ce retour par ma brève rencontre avec Mathieu Bénézet à la lecture Jacques Dupin.
Il place son livre sous l’exergue d’une citation de Breton, attestant du « cycle des recoupements ». Formule qui me parle évidemment intimement car que je fais-je d’autre, ici, dans ce Flotoir, que de mettre en œuvre, inlassablement, recoupements et échos ?
De la dévastation,
« Tout écrivain est, par lui-même, dévasté » (Ce, 28), propos qui prennent tout leur poids dans cette rencontre d’hier soir avec Mathieu le dévasté : « il te présente son propre cadavre » (Ce, 28)
Ce livre est stupéfiant ! C’est un entremêlement étrange de réflexions, dont le fil conducteur n’apparait pas immédiatement, sauf à dire que c’est une réflexion sur la création. On y trouve de nombreuses notes sur les revues, dont je ne sais si elles sont reprises ou préparation de ce feuilleton que Mathieu Bénézet a écrit pour Ent’Revues. On y entend cette conviction profonde de l’importance des revues, de leur nécessité pour la création littéraire. Nombreuses adresses au lecteur, à la lectrice, citations, anecdotes concernant des écrivains…une sorte de « roman » (c’est lui qui le dit) à la manière Bénézet. Roman aussi comme une nostalgie, quelque chose à retenter, à faire revivre ?
« Ce que vous écrivez m’apparaît – depuis que je vous lis – au bord de se briser – de s’étouffer [...] vos phrases affouillent le trouble sentiment d’exister, d’être au monde. Il y a du danger à vous lire – mais un danger qui apaise, ce n’est pas le moindre de vos paradoxes ». On ne sait à qui s’adresse Bénézet, on suppute qu’il parle aussi de sa propre expérience d’écriture, lui qui poursuit « votre solitude et votre douleur connaissent les nôtres, les miennes ». Propos de lecteur et d’auteur confondus.
Oui, qui parle à qui et de quoi ? se demande-t-on en permanence avec cependant la certitude qu’il est parlé au lecteur (il indéfini, infini aussi), qu’il s’agit ici d’un « parler à l’oreille de chacun » (Ce, 30), « non pas un murmure, une décroissance de la parole – une diminution concentrée sur son dire ».
Diminution, le mot renvoie à la musique et au tricot ! Et en musique, il a plusieurs sens, qu’on en juge :
1. Dans la théorie des XVe et XVIe siècles, le terme désigne le passage d'une mesure à une autre telle que la même valeur écrite y reçoit une durée N fois plus courte, comme cela se passe encore actuellement quand on passe de C (où une blanche vaut 2 temps) à C barré (où la même blanche vaut seulement 1 temps). La diminution changeait donc l'écriture, mais non obligatoirement la durée.
2. Dans le vocabulaire classique, au contraire, le terme désigne une nouvelle présentation d'un thème ou d'un fragment en durées plus courtes que dans sa présentation de référence (par exemple, sans changer de tempo, un thème en blanches énoncé en noires). La diminution change donc avant tout la durée et, accessoirement seulement, l'écriture.
3. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on appelait diminution une variation monnayant le thème en valeurs plus courtes au moyen de notes de passage ou d'ornementation.
4. Par extension du sens précédent, on a parfois étendu le terme diminution à toutes sortes d'ornementations, spécialement dans la musique vocale. (source)
Une soirée de poésie (2)
un charbon brûlant, irradiant, et autour : néons, masquant
voix tenue, lente, et autour : m’as-tu vu, regarde-moi et l’indécent violeur et voleur d’œuvre
présence des dévastés, lui, elles, et au centre excentré : présence taciturne de poèmes
parleries, parlottes, parlures et ailleurs… poèmes
Rédigé par Florence Trocmé le 06 juillet 2012 à 09h49 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)