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Rédigé par Florence Trocmé le 31 août 2012 à 18h15 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Jouve, Scelsi
Jean-Paul Louis-Lambert réagit à mes
propos sur Scelsi et m’écrit : « Scelsi était un patient de
Blanche Reverchon et en 1940-1941, il attendait avec impatience que le couple
Jouve-Reverchon obtienne un visa pour la Suisse, et ainsi pouvoir se faire soigner
par sa psychanalyste.
Et c'est Jouve qui a fait éditer ses poèmes chez GLM. »
Un peu plus tard il m’envoie un extrait du livre qu’il est en train d’écrire
sur Jouve, extrait que je publie simultanément dans Poezibao.
Dans le sillage du Temps immobile
Même si la manière de faire, je ne veux surtout pas écrire le procédé, est
très différente, je songe à ce que j’écrivais
hier de Claude Mauriac en relevant ce matin dans le site de Didier da Silva,
cette séquence qui superpose lieux et temps,
en une sorte de fondu enchaîné très maîtrisé :
« Solidarité des raisons de vivre
- Vendredi 31 août 2012
Henry Purcell allait avoir vingt-et-un ans lorsqu'il composa, il y a
tout juste 332 ans, le 31 août 1680, cette douzième et dernière fantaisie
pour les violes à quatre parties. C'était un samedi : ce jour-là, dans la
Sarthe, à dix heures du matin, achèvent de préciser des chroniques
paroissiales, l'église de Bouloire et presque toute la ville ont été
dévorées par un affreux incendie. Ce jour-là encore, les Comédiens du Roi
représentaient Tartuffe ou L'Imposteur pour la première fois depuis que
leur troupe avait été créée moins de deux semaines plus tôt. Le lendemain, aux
Rochers, Madame de Sévigné écrira à Madame de Grignan : tant que le petit
été qui nous est revenu durera, nous ne serons pas à plaindre. Elle a bien
raison ; tant qu'il y aura de la musique aussi, et dans le ciel des incendies
rien moins qu'affreux, cela vaudra la peine d'avoir la fantaisie de continuer
la comédie. »
→ et si le temps n’existait pas, s’il n’était qu’une création de l’esprit, une
nécessité non vitale mais existentielle, voire économique et politique. Si le
temps était surtout ce qui se joue en chacun à chaque seconde dans la
profondeur temporelle, dans le vide, dans l’orientation, l’aimantation de cet
instant. Temps riche ou non de passé, temps habité ou non de mémoire propre et
de mémoire collective. C’est à cela que m’invite à penser ce repliement de
temps proposé par DdS en ce jour qui est en plus celui de l’anniversaire de M,
donc un peu mon anniversaire puisque sans cet évènement d’un lointain 31 Août
je ne serai tout simplement pas là. Et sans Purcell et Molière et Mme de
Sévigné et tous les autres ayant passé à maintes reprises par le 31 Août,
petits ou grands, proches ou lointains, comment vivrais-je et qui serais-je ?
Rédigé par Florence Trocmé le 31 août 2012 à 14h04 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 30 août 2012 à 21h14 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Albertine
Triple superposition ce matin. Un catalogue de mode me tombe sous les
yeux, j’y remarque à nouveau le visage un peu étrange de la jeune fille qui
illustre la couverture et se produit alors un double glissement vers le film La Captive de Chantal Akerman avec Sylvie Testud, puis bien sûr
Proust. Et je m’aperçois que l’empreinte du visage de Sylvie Testud, avec sa
forme d’étrangeté, s’est durablement, peut-être définitivement incrustée dans
ma propre image intérieure d’Albertine. Image antérieure au fond sans réel
visage, avec effet de fondu enchaîné entre les différentes jeunes filles de
Proust, une forme d’oscillation presqu’imperceptible entre Gilberte et
Albertine. C’est une des raisons pour
lesquelles je redoute tant les adaptations cinématographiques de mes grands
livres : la perturbation de mes images intérieures. Mais ici cela ne me pose pas
de problème, sans doute en raison de mon accord avec l'art de Chantal Akerman.
Et lisant un article ancien de Libération sur le film je relève : « véritable
contre-feu de défausses qui résiste mot à mot aux raids interrogatifs de son
amant. », phrase qui colle très étroitement au vertige ressenti devant une
page de Sodome et Gomorrhe lue hier ou avant-hier où précisément le jeu des
défausses, des interrogations, de l’analyse des défausses donnent lieu à une sorte de vortex qui aspire dans sa logique très particulière (qui n’est autre
que celle de la jalousie).
Claude Mauriac
ai souvent été tentée, le suis à nouveau de procéder un peu, très
modestement, comme le fit jadis Claude Mauriac dans son Temps immobile (lire ici): monter en
regard des extraits de flotoir d’époques différentes (mais je ne dispose que de
douze années complètes de Flotoir alors que Claude Mauriac a travaillé sur un
document qui couvrait des dizaines d’années (soixante) et notamment sa toute
jeunesse). Toujours aimé cette œuvre, la trouve au fond méconnue, trop peu lue
(à quand la Pléiade ?), et pour ma part lui suis beaucoup plus attachée
qu’à celle de son père. Ce souvenir ne vient pas aujourd’hui tout à fait par
hasard : vu hier à la TV une photo de Claude Lévi-Strauss et ai cru, un
bref instant, qu’il s’agissait de Claude Mauriac. Une fois de plus, je note les
étranges procédés de la mémoire. Cet affleurement presque subliminal hier et ce
matin, vaquant à une tâche matérielle, ce souvenir de Claude Mauriac qui non
seulement s’impose mais induit une possibilité : celle de s’inspirer de sa
manière de faire pour monter des fragments de temps dont les dates sont peut-être
éloignées mais les contenus et il arrive que l’on s’en surprenne soi-même,
étonnamment constants. Récurrences des termes mais parfois, infiniment plus
troublant, récurrence de la formulation des thèmes !
Rédigé par Florence Trocmé le 30 août 2012 à 21h09 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 28 août 2012 à 10h37 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Journaux
Dans Le Monde, article effrayant
sur un possible recours aux armes chimiques par le président syrien et ce que
cela impliquerait. Un seul point positif me semble-t-il, les Russes eux-mêmes
commencent à avoir peur. Les massacres se sont encore amplifiés. Ne surtout pas s’habituer à ces photos de
cadavres. Hier en ouvrant rapidement Le
Monde, j’ai pris (un dixième de seconde) celle de sept corps dans des linceuls
blancs, pour des mariés ! Troublée aussi par le fait que maintenant, en raison
de diverses infiltrations dans le camp des insurgés, dont possiblement des
membres de groupes terroristes, on ne sait plus très bien à qui se vouer….La
complexité devient immense et rend les solutions encore plus difficiles à
trouver. Y aurait-il un point où la complexité se met à croître de façon
exponentielle dans ce genre de situation, quelque chose qui
aurait à voir avec les théories du chaos ? Y aurait-il eu un point où un
consensus international aurait pu freiner l’effrayante machine broyeuse qui s’est
maintenant mise en route, et qui devient incontrôlable ?
Le contemporain (Agamben)
Lu d’une seule traite hier soir un court texte de Giorgio Agamben (Qu’est-ce que le contemporain, Rivages
poche / Petite bibliothèque). Texte qui est en fait l’allocution d’ouverture d’un
séminaire donné en 2005/2006 à l’Université de Venise. Texte qui a quelque
chose de fulgurant et que je pourrais peut-être utiliser dans ma discussion
avec mon jeune ami allemand, JK, sur la question de l’art contemporain. Livre de toute évidence à relire deux ou trois fois mais qui m’a retenue aussi
parce qu’il s’appuie sur la poésie (alors qu’il introduit un séminaire de
philosophie) et notamment sur Mandelstam.
Agamben montre que celui qui est ou serait contemporain n’est pas celui qui est
pleinement et au fond aveuglément immergé dans son temps, mais celui qui est en
léger décalage : « le contemporain est celui qui fixe le regard sur
son temps pour en percevoir non les lumières, mais l’obscurité. Et un peu plus
loin, cette phrase admirable, citée au demeurant au dos du tout petit livre :
« Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de
ténèbres qui provient de son temps ».
Musique, photo
D’un mail de Benoît Moreau
à propos de la pulsion photographique :
« Oui, une pulsion empêche de regarder : j’y vois un lien clair avec
ce dont nous parlions sur le jeu musical sans la compréhension de la musique.
Là aussi, vouloir jouer tout de suite, faire fonctionner les doigts, faire des
notes alors que la musique ne chante pas encore dans notre tête, c’est une
pulsion, une impatience. [...]
Nos désirs sont de merveilleux enfants que nous devons cependant éduquer.
Le désir qui cède à la pulsion empêche de voir, mais le désir éduqué qui se
tourne vers la compréhension permet de mieux regarder.
Donc je nuancerais votre résolution de s’arracher au désir de fixer à tout
prix ; je proposerais : fixer dans sa tête.
Car en photo comme en musique c’est l’instrument qui nous distrait de notre
pensée, alors que celle-ci doit être maîtresse…
(Quand je dis « notre pensée », j’ai envie de dire « notre
corps », « notre corps-pensée » : une pensée qui intègre
tout le corps … et puis ensuite qui peut intégrer un instrument comme s’il
faisait partie du corps.) »
→ goût de ce dialogue via le Flotoir,
inscription des mails à même le texte du Flotoir, avec l’accord des auteurs
bien sûr, comme autant de rebonds, de développements des idées, des pensées.
Plus que par le jeu des « commentaires » sur le site.
→ Ici j’aime la liaison qui est faite entre deux thèmes de réflexion en cours,
la photo et la musique et cette idée, très célibidachienne au fond, que c’est l’instrument
qui nous distrait de notre pensée, la technique. Technique qu’il faut acquérir
et maîtriser et cela n’implique pas forcément la virtuosité et l’exclusion de l’amateur
qui peut se fixer des buts accessibles dans le temps de travail et avec les
moyens dont il dispose. Nul prétention à devenir Haskil ou Martine Franck
(tiens, choix de deux femmes !). Mais possibilité de les admirer, d’apprendre
d’elles, de les écouter, de regarder leurs photos, d’essayer de sentir ce qui
fait l’essence de leur travail, en quoi elles sont parvenues précisément à
transcender le son, la lumière.
Rédigé par Florence Trocmé le 28 août 2012 à 10h34 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 27 août 2012 à 18h37 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Journaux
Semblant de rentrée, intérieurement en tous cas. Retour au livre, reprise
du Celibidache.
Mort de Neil Armstrong le premier homme à avoir marché sur la lune : beau
portrait de quelqu’un de très discret, qui n’a jamais voulu s’exposer aux
médias.
En Allemagne commémoration par le président Gauck des évènements de Rostock,
attaque brutale, il y a 20 ans, d’un foyer d’émigrés dans cette ville que j’ai
visitée et qui est la ville natale du président allemand. Peste brune toujours
latente, comme le montre l’exemple de la Grèce. Peste brune qui prolifère sur
la crise, comme naturellement ! Très inquiétant.
Lectures
Un article en allemand sur la renaissance des petites boutiques de village,
type Tante Emma, sur les ruines du système de petites succursales Schlecker, faillite
et suppression de 11000 à 25000 emplois. Certaines « dames Schlecker »
tentent une reconversion en ouvrant des Dorfläden,
magasins de proximité, souvent approvisionnés par des fournisseurs locaux.
Effets de la musique
Réflexion en cours, induite par la lecture de Celibidache.
Christine Jeanney m’écrit :
« j'ai écouté « l’oiseau prophète » [Scènes de la forêt, Schumann] par Clara Haskil (ici), le petit moment en
lévitation ascendante, genre furtif et tintant en même temps, vraiment très beau.
Je me suis demandé aussi : à quoi ça tient ce passage, passage d'une face à une
autre presque, où on cesse d'entendre un instrument, ou une performance. On
dirait que ce qu'on écoute devient comme dématérialisé, que c'est une idée /sensation,
et pourtant c'est en même temps bien plus concret et palpable que n'est la
conscience de la réalité instrumentiste /morceau. Comme si ça c'était introduit
à un endroit de notre cerveau qui reste en friche le reste du temps. Je trouve
que ce morceau provoque ça, ce passage, qui fait qu'on devient pensif mais sans
ordonner ses pensées pourtant, comme si on s'était transformé en vapeur. [...]
je me demande si un changement de ton ou de mode n'a pas un effet "marche
d'escalier" sur le cerveau, ça opérerait comme un glissement des points de
repère et à force de décalages sensitifs on se retrouverait dans un endroit
autre pour penser. »
→ ici rapport avec la phénoménologie de la musique, telle que la présente et la
vit Sergiu Celibidache. Je m’interrogeais précisément, ce que ne font pas tous
ceux qui l’interviewent, sur la traduction concrète de ce qu’il appelle transcender, en fait rassembler à chaque
instant du flux musical, dans un tout, incluant passé et de l’avenir de la
pièce, l’ensemble de la phrase ou du morceau ou de l’œuvre. Je crois que les
mots de Christine décrivant cet étrange processus de « dématérialisation
concrète » pourraient rendre compte de ce phénomène, quand tout le
matériel est transcendé par l’esprit, et que l’auditeur sent que toute la pièce
est incluse dans chaque note jouée.
« transcender le son » (Celibidache)
eh si, quelqu’un lui pose la question à Celibidache ! « Comment
transcende-t-on des sensations sonores ? Réponse : « En ne
restant pas à l’appréhension (Aufnahme)
des sensations sonores singulières, en écoutant de manière éveillée au-delà de
la sensation sonore singulière, en cultivant la perception dans la
simultanéité, en ne ressentant pas le “maintenant” comme une limite morte entre
ce qui était et ce qui sera, mais en le vivant comme un devenir unifiant, dans
lequel le passé devient sans cesse avenir. » (S. Celibidache, La Musique n’est rien, p. 218)
Et un peu plus loin :
« Si je perçois le commencement, le chemin vers le point culminant et la
fin à chaque instant de la progression évolutive, alors seulement je puis
parvenir au vécu du devenir (Werdegang)
entier. [...] Dans chaque son musical est contenu potentiellement ce qui le
précède, ainsi que ce qu’il va devenir. Dans chaque son est présente l’essence
du tout. [...] Ce n’est qu’en transcendant le son, en le quittant d’une
certaine manière qu’on peut vivre sa fonction formatrice (gestaltende) et sa fonction est : d’agir maintenant, ici, et à
cette distance du commencement, maintenant, ici et si tôt ou si tard, avant ou
après le point d’expansion maximale, maintenant, ici et si proche de la fin. »
(ibid. 219)
Se souvenir du propos de Celibidache disant que quand il a compris cela,
relativement tardivement dans sa formation, il a tout repris à zéro et a
travaillé sur de toutes petites unités. J’ai tenté d’appliquer cette idée sur
deux mesures de l’impromptu en sol bémol de Schubert, une simple répétition d’une
même note, quatre fois : où ça va, comment chaque note porte la suivante
et la précédente, etc. Faire une unité avec deux mesures est déjà un vrai défi.
Se souvenir aussi de la très belle formule
citée récemment du pianiste Jay Gottlieb, à propos de Scelsi : « plonger
à l’intérieur du battement de cœur de chaque son »
→ formule qui me touche pour deux raisons au moins, une forme de
personnalisation du son, avec un cœur qui bat, et en fait ce cœur qui bat
évoque la nature ondulatoire, pulsatile du son (fréquence). Les harmoniques
peut-être encore qui font que le son n’est jamais pur (et dieu merci, un son
pur est blafard et vide) mais riche de toutes les résonances très particulières
qu’il induit et que l’on appelle les harmoniques. Lesquelles fondent le système
tonal de la musique, octave, cycle des quintes, etc.
Rédigé par Florence Trocmé le 27 août 2012 à 18h32 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 26 août 2012 à 16h28 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Proust
P. me fait une remarque magnifique concernant Proust. Il vient de commencer
à lire le livre de Celibidache et s'arrête aux harmoniques. Il semblerait que
les violonistes soient beaucoup plus sensibles à cette question que les
pianistes et en effet, pour P. cela fait tilt immédiatement. Il relie cela à
Proust, disant que quand Proust aborde un thème, une sensation, on a le
sentiment qu'il en explore toutes les harmoniques, et parallèlement en fait
résonner de multiples chez le lecteur (il me dit que les promenades de Proust
évoque pour lui celles qu'il faisait dans son enfance, à M.).
Photo
D’un mail d’Isabelle Baladine Howald : « J'aime aussi [faire des
photos], mais je me suis rendue compte que parfois je ne faisais pas attention
à ce que je voyais parce que je faisais la photo (reproduire plutôt que voir,
être après l'instant plutôt que dans l'instant, avoir été, donc, plutôt
qu'être.) »
→ cela vient s’ajouter à ma réflexion en cours, au long cours devrais-je dire, sur
la photo et plus précisément encore sur la pulsion photographique. Travail
pratique : partir sans appareil, renoncer à un moment donné à la photo,
s’arracher au désir de fixer à tout prix et faire confiance à cette autre
fixation, qui est l’empreinte mémorielle, profonde et surtout malléable au gré
de la vie psychique. Alors que l’image photographique est figée, arrêtée en
plein vol et à cet égard comme tuée par le déclencheur.
Bergounioux et ses formulations
Ce matin relevé en ligne cet extrait des Carnets de Bergounioux (via le site Brigetoun) :
« De reproduire ces pages rend à cette époque, dont un demi-siècle me
sépare, une présence soudaine, troublante. Une part enfouie de mon être renaît.
Un monde aboli, perdu, resurgit. Mais ses candeurs, sa douceur sont voilées du deuil
de ceux qui le firent tel et ne sont plus »
Cet extrait me remet en mémoire ce que dit Tiphaine Samoyault dans l’émission « Figures
Libres », que j’ai en partie retranscrite (Evernote) sur la fascination
exercée par ce texte, fascination qu’elle relie avant tout, dans son propos de
ce moment-là, au fait que Bergounioux parle de la vie ordinaire : « Pas
d'évènements, pas de surprises, uniformité lisse, retour des jours, fascinant,
c'est la matière même de notre existence qui est là tissée, comme sa trame et
tout ce qui se vit se fait sur ce fond-là. Bergounioux dit à quel point sa vie
est commune, à quel point elle ressemble à la nôtre et que cela fait la matière
du livre. Capacité de ce journal à nous montrer ce qu'il y a de commun dans nos
vies et ça fonde un être ensemble. Il ne traite de rien qui ne soit pas
intimement vécu. »
Mais je pense que la fascination est due plus encore à l’écriture de
Bergounioux. Je peux prendre pour exemple cette phrase « voilées du deuil
de ceux qui le firent tels », peu de mots mais une grande complexité
syntaxique et le jeu des références emboîtées. À la fois imprécision laissant
place à la rêverie du lecteur et extrême précision de la formulation. Chaque
mot à sa juste place et impossible à déplacer sans ficher par terre la tension.
→ mais un petit doute sur l’orthographe de « tels », donné avec un s
dans le livre (Carnet de notes,
2001-2010, p. 518)
Mathématiques
Dans Le Monde du week-end (17/18 Août 2012), je retiens surtout le portrait
de Maxim Kontsevich, un franco-russe très grand esprit mathématique,
multi-titré (Poincaré, Fields, Shaw, Milner). Pourquoi cette fascination pour
les grands mathématiciens alors que je suis incapable de résoudre une équation
du premier degré ? Indéniable frustration
en tout état de cause de cette inculture, de ce handicap. Je pense à Jacques
Roubaud et à Raymond Queneau qui étaient tous deux excellents poètes et non
moins excellents mathématiciens. Chiffres et lettres pour eux et sans doute
aussi une forte capacité combinatoire de leur esprit.
Nadia Boulanger
Visionné un beau film de Bruno Monsaingeon sur et autour de Nadia Boulanger.
Finesse des analyses de cette musicienne et pédagogue exceptionnelles,
ouverture de ses propos et bien des choses qui me font penser à mon actuelle
lecture de Celibidache. Je dois chercher et trouver une citation que Nadia
Boulanger fait de Valéry, disant que ce qu’il peut donner dépend beaucoup de ce
qu’apporte son interlocuteur.
Valéry
Retrouvé un peu plus tard la citation que fait Nadia Boulanger et qui est inscrite en fait
au fronton du Palais de Chaillot !
« Il dépend de celui qui passe
Que je sois tombe ou trésor
Que je parle ou me taise
Ceci ne tient qu'à toi
Ami n'entre pas sans désir »
Boulanger, Gottlieb & Scelsi
Coïncidence : hier donc, visionnage de ce film de Bruno Monsaingeon sur
Nadia Boulanger. Or à l'instant, je lis sur le Kindle un article relevé ici, une interview du pianiste Jay Gottlieb.
Lequel parle longuement de Nadia Boulanger et cite la fameuse citation de Paul
Valéry retrouvée ce matin. Il parle aussi de Scelsi qu'il a connu pendant
quatre ans, avec qui il a longuement parlé dans son appartement romain : « pour
jouer Scelsi, il faut être habité. Il faut plonger à l’intérieur du battement
de cœur de chaque son ».
Et par ailleurs je trouve comme une conjonction entre Celibidache, Nadia
Boulanger et ce que dit Jay Gottlieb. Même liberté intérieure chevillée à une
très grande rigueur de l'approche. Même intensité, même sérieux (sans se
prendre au sérieux), même passion. Loin de tous les tueurs de désir qui
sévissent en musique comme en poésie.
Lowry, l’alcool
Dans ses « notules dominicales », désormais accessibles
uniquement par abonnement mail, Philippe Didion rend compte de sa lecture de Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry
(qui serait livre à relire !)
« [...] Ce qu'ajoute Lowry à ce festival, c'est une cause, une source :
l'alcool. [...] Pour mettre en place un tel personnage, Lowry ne pouvait que
connaître intimement l'alcool et je suis même porté à croire, pour certaines
raisons, qu'une telle connaissance est nécessaire pour le saisir, de
l'intérieur, de façon complète. Lowry a su mettre en mots le mélange
d'asservissement brutal et de lucidité cosmique que connaît l'ivrogne, le vrai.
C'est très rare. Car l'ivrogne, le vrai, en général, se tait : soit il
boit, soit il meurt, soit, s'il a réussi à quitter la bouteille, il n'en
parle pas. Il sait que les gouffres qu'il a arpentés - et les sommets qu'il a
atteints - ne sont pas descriptibles, ne sont pas accessibles aux autres.
L'ivrogne, le vrai, ne raconte pas comment "il s'en est sorti", il
n'a rien à voir avec le fumeur repenti qui raconte à qui veut l'entendre sa
première journée sans tabac : il vient de beaucoup plus loin, de zones beaucoup
plus profondes qui ne se partagent pas. »
Rédigé par Florence Trocmé le 26 août 2012 à 16h16 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (1)