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Rédigé par Florence Trocmé le 28 septembre 2012 à 17h48 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
La trace de la pensée (Isabelle Pariente-Butterlin)
« Toutes ces feuilles, écrites, noircies, apprises, rayées, froissées,
entassées, oubliées, retrouvées, tous ces entassements de matière fine et pâle,
à la trame identique, dont le seul point commun avait été : l’oblique
de la pensée se déposant sur l’horizontale de la page, presque exactement sous
la verticale du regard.
Et le cheminement obscur et complexe dont l’étirement dans l’espace de la page
ne rendait pas le moins du monde la complexité hésitante.
Impact de la pensée dans l’espace de la page. Et quelque chose comme la
certitude du geste, à défaut de toute autre certitude. » source
Effroi / De la lecture de Pascal
Quignard
Le mot effroi est un mot clé dans
l’œuvre de Pascal Quignard. Or, lisant Les
Désarçonnés, j’ai ressenti très précisément de l’effroi. Cette lecture est
difficile, pas tant techniquement que par ce qu’elle suscite précisément de
prises de conscience et d’effroi en ses analyses. On peut peut-être dire, pour
donner une première direction, qu’on entend ici comme un écho des thèses de
René Girard sur le mimétisme, le bouc émissaire et le fondement ontologique de
la violence.
Car au fond que dit ici, de façon insistante, Pascal Quignard : c’est que
la violence n’est pas un état exceptionnel mais un état naturel pour l’homme.
Que les notions de défense du territoire et de prédation, dominantes dans le
monde animal, n’ont rien perdu de leur pertinence quand il s’agit de penser les
sociétés humaines. Que la guerre est jolie, en ce sens qu’elle est jouissive
pour beaucoup de ses participants, presque tous en fait si l’on en croit l’auteur.
Une preuve ? « Qu’est-ce qu’un homme ? Un bâton pour tuer, un
vieux sac pour rapport le tué (une espèce d’outre), une langue pour rapporter
la mise à mort du mort au survivant (au mangeur de mort). (175). Les choses
ont-elles tellement changé, se demande-t-on en voyant défiler les pires scènes
de violence sur tous les écrans du monde. Ne cesse-t-on de voir des corps dans
des sacs et d’entendre les récits de leur (mise à) mort ?
Un avertissement, Pascal Quignard
Comment ne pas entendre tout particulièrement cet avertissement de
Quignard, alors que monte de toutes parts l’insécurité matérielle : « en
comportement de survie, le premier monde revient : tous les hommes se
replient, s’évitent, se périphérisent, redeviennent des solitaires dénués de
pitié à l’égard de leurs congénères et même de leurs amours ». Comment ne
pas penser à tous les comportements d’exclusion qui se mettent en place en ce
moment, qui se traduisent notamment par la montée des extrêmes-droites en Grèce
ou ailleurs.
Du silence, Quignard
« Selon la métayère de Rodez, le langage se borne 1. à entourer le
réel de négations et d’images, 2. à éviter de crever la poche non-verbale
recelée au fond de chaque corps » (165)
→ se demander si la poésie ne cherche pas précisément à crever cette poche et à
rendre compte du réel, au-delà de ces défenses naturelles.
Il y a eu, il y a sans doute encore une « croyance qu’il ne faut pas
confier au langage ce qu’on éprouve [...] [que] le cœur de soi ne doit être
découvert à aucun prix » (167) et Quignard de s’engager sur une méditation
sur le langage : « Cette sauvegarde
magique de ce qui n’est pas communautaire est une conséquence extrinsèque
et merveilleuse de l’acquisition tardive du langage. C’est la vie intérieure considérée
comme une nuit absolue. Comme l’animation interne a été sans langue jusqu’à l’âge
de deux ans, cette vie doit rester à l’abri de l’épiement des proches. »
On se souvient ici des assez rares aveux de Quignard sur son enfance, sa peur
du jour, son aphasie, son anorexie. C’est loin d’être anecdotique car se
trouvent là bien des sources de ce qu’il tente de mettre au jour dans la série
du « Dernier Royaume » dans laquelle il insère, comme huitième
volume, une œuvre très antérieure Vie
secrète (il faudra tenter de comprendre pourquoi).
Chemin saisissant il faut le redire par le bois dont il fait feu : le
procès de cette métayère du XVIIIe siècle, la Bible (Joseph et ses frères), l’histoire
du paléolithique à aujourd’hui, avec considérations sur les galaxies, la
zoologie, la botanique, la chimie, la chasse, une sorte d’opus à visée
encyclopédique dont la tension va vers la compréhension de l’âme humaine et de
ses moyens d’expression. Encyclopédique non par pulsion ou par jouissance d’un
savoir tendant à l’universel mais comme trousseau de clefs.
Nadia Boulanger
Hasards heureux de l’internet. J’avoue que je n’aurais pas eu l’idée de m’intéresser
spécialement à Nadia Boulanger si quelqu’un, sur Twitter, n’avait donné le lien
Youtube d’une vidéo de
Bruno Monsaingeon, où on la voyait enseigner à quelques jeunes. Ce film m’a
tellement intéressée que je me suis empressée de l’acheter en DVD (comme quoi
parfois d’une mise en ligne plus ou moins licite à un vrai achat réel en
espèces sonnantes et trébuchantes, il n’y a qu’un pas !). Du film je suis
passée au livre Mademoiselle, entretiens
avec Nadia Boulanger, de Bruno Monsaingeon aux éditions Van de Velde. En
fait, plutôt que de véritables entretiens, il s’agit d’un montage de diverses
conversations que B. Monsaingeon put avoir avec elle, pendant cinq ans, alors
qu’elle avait de quatre-vingt-six à quatre-vingt-onze ans (elle était née en
1887, elle est morte en 1979).
C’est bien sûr un feu d’artifices de souvenirs musicaux, tant une part très
importante de ce qui a compté dans la musique du vingtième siècle a défilé chez
elle (Stravinski, Copland, Bernstein, Jean Françaix, Phil Glass, etc.) Mais ce sont
surtout les remarques sur la pédagogie musicale qui retiennent. Je tenterai d’extraire
quelques notions fortes dans ce flotoir.
Entendre la musique (Nadia Boulanger)
C’est ainsi qu’elle évoque l’éducation musicale des jeunes Américains, souvent
très doués mais dont les bases sont parfois mal assurées, parce que « il
ne faut pas fatiguer les enfants » (26). Eh bien réplique-t-elle « moi,
je crois que les enfants qu’on a fatigués intelligemment gagnent dix ans sur
leurs études. La vérité est que la classe de solfège fait découvrir que pour
être un bon musicien, il faut être un bon grammairien. »
ni mors ni cornes
hors jour un train arrière à sources, attention-désir-mémoire
et les fleurs sans noms théâtre, poses, désastres et orgueils, abeille en
corolle regard objectif – coalescence soi non soi, cellules, gestes (le même geste) et couleurs, non écarté mais
intérieur de l’intérieur, non du dehors exclu par force oubli et ennui, ni mors
ni cornes mais réponse à appeaux et mise en
œuvre
(nadia boulanger, square st lambert, fabienne courtade, pascal quignard)
Rédigé par Florence Trocmé le 28 septembre 2012 à 17h44 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 25 septembre 2012 à 18h30 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Lecture
Valéry de nouveau, Choses tues,
dans l’édition Gallimard de 1932, reliée par M. Un régal, tant pour la beauté
du livre que pour son contenu. Toujours ce sentiment avec Valéry de revenir à l’intelligence,
surtout dans cet océan de bêtise actuelle. La pensée est souvent lapidaire,
mais elle peut aussi se chercher, tourner, comme dans les Cahiers, dont pourraient bien être extraites ces choses tues.
De l’écriture, Valéry
« La perfection ne s’atteint que par le dédain de tous les moyens qui
permettent de renchérir. »
→ renchérir, la tentation à laquelle il faut toujours s’opposer,
impitoyablement, l’effet, la redondance de la trouvaille. Renchérir ce que font
jusqu’à plus soif tous les mauvais écrivains dont les livres arrivent à flots
continus ici.
J’ai souvent eu le sentiment qu’une Valérie Rouzeau savait très bien éviter ce
piège, on sent la ritournelle qui s’amorce mais juste à temps, avant qu’elle ne
devienne système, elle bifurque et elle est partie ailleurs. Sans doute parce
qu’elle a les moyens alors que le mauvais poète trop content de sa petite
trouvaille va l’exploiter au point de la dévitaliser complètement, de la vider
de son potentiel.
Valéry, un paradoxe à propos de la musique
Lorsqu’on lit le début de cette citation « la musique m’ennuie au bout
d’un peu de temps », on pense que la messe est dite et que Valéry ne
comprend pas la musique. Mais si l’on poursuit « et d’autant plus court qu’elle
a eu plus d’action sur moi », le point de vue se déplace, se nuance. Que
veut-il dire ? : « c’est qu’elle vient gêner ce qu’elle vient d’engendrer
en moi, de pensées, de clartés, de types et de prémisses » (Choses tues,
21)
→ dans un premier temps, je pense à Celibidache. La musique surtout dans de
mauvaises mains, incapables de la rendre audible, excède notre capacité d’appréhension.
→ mais on se demande si finalement Valéry parle de la musique, jouit de la
musique ou plutôt, comme il le fait la plupart du temps s’il ne se focalise pas
sur le travail, le fonctionnement de son esprit. Il semblerait que la musique
soit surtout pour lui un inducteur de pensées et d’éclaircissements. Il ne dit
hélas pas par quels moyens… Et l’on comprend alors que très peu de musique lui
suffise. Comme s’il s’intéressait au matériel de l’œuvre, souvent donné au
début dans la musique classique et pas du tout au développement. Le
développement c’est lui qui le fait et pas le musicien !
→ la suite confirme cette idée : « rare est la musique qui cesse d’être
ce qu’elle fut ; qui ne gâte et ne traverse ce qu’elle a créé, mais qui
nourrisse ce qu’elle vient de mettre au monde en moi »
Et voici la chute de la réflexion qui permet de nouveau de s’interroger sur l’aptitude
musicale de Valéry : « J’en conclus que le vrai connaisseur en cet
art est nécessairement celui auquel il ne suggère rien. »
→ cela me donne bon espoir car je me suis souvent étonnée du peu d’images, de
pensées suscitées en moi par la musique ou plus exactement hors d’elle seule,
de son flux, de son passage. Il se peut qu’elle induise superficiellement
quelques états ou pensées, mais c’est plutôt alors divergence de l’attention,
comme quand on décroche au concert. La musique a le curieux effet, souvent, d’empêcher
de conceptualiser ou d’imaginer. Parfois même lorsqu’elle est ou serait faite
pour cela (poèmes symphoniques par exemple, Tableaux d’une exposition, etc.). C’est
peut-être aussi la raison de ma réticence réitérée devant l’opéra :
mélange des genres !!!! Et ce qui explique aussi que les plus grands
connaisseurs de musique sont souvent férus du quatuor à cordes, la forme la
plus dépouillée sans doute.
pelote de déjection (paix des dés) 1
Ferais-tu paix des dés soir à soir du vide avec vide tressé rien de bon
rien de mal tir ou tri, hasard non aboli,
cornet de mots craqués – méli-mélo hiroshima hirondelles ailes brûlées plus
jamais ça mais mieux encore dit l’écarté – amstramgram
n’est pas berceuse mais appel du loup écrit-il encore sur le bras mort du
fleuve, la bouilloire bout, siffle et la zébrure de l’arc allume l’explosion – Azedef
dans la paix des dés d’heute.
(Serge Sautreau, Pascal Quignard, procès AZF)
Rédigé par Florence Trocmé le 25 septembre 2012 à 18h28 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 21 septembre 2012 à 11h49 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Désarçonnée
Oui, éjectée de mes ambivalences habituelles en ce qui concerne Pascal
Quignard. Il faut bien en effet passer un sas entre les autres lectures et
celle-là. C’est un monde très singulier et la lecture a besoin ici d’une accommodation. On commence alors à
percevoir la grande cohérence de l’ensemble autour du thème évoqué hier, celui
du désarçonnement. Et si je titre
cette note « désarçonnée » c’est qu’en tant que lectrice, j’ai vécu
ce qui est évoqué. Une perte d’assiette, une délocalisation temporelle et
spatiale. Se souvenir ici de la question posée par Marielle Macé : que me fait la lecture ?. Fait sans complément, ni impression, ni
bien, ni mal, ni peur, même si tout cela peut être présent. Non, c’est plus que
cela. Ce livre imprime en soi quelque chose, il décale, déjointe, déporte. Et c’est
sans doute pour cela que dans un premier temps il suscite une résistance, comparable
à ce qu’on appelle une défense dans le domaine psychique. « Toute vraie
pensée désarçonne le curieux habitant de l’âme, colonisé par la langue,
submergé par le rêve, orienté par la faim, affolé par le désir. » (134)
Se retirer dans la lecture (Quignard)
« Tant que titubant, je n’ai pas su mes lettres – tant que je n’eus
pas l’idée fantastique de me retirer dans la lecture (à l’âge de cinq ans) et d’y
perdre l’identité au cours d’un voyage alimentait à son tour un récit de voyage
sans fin -…. »
→ double renvoi ici, à l’expérience d’enfance, similaire, le retrait dans les
livres, la perte d’identité ou du douloureux sentiment de soi mais aussi à l’expérience
actuelle de lecture de ce livre-là, qui implique une forme de perte d’identité,
d’accepter que les repères soient brouillés, voir balayés, que tout le jeu
référentiel soit perturbé.
La manière de Quignard
Il semblerait qu’à partir d’un thème central, ici donc la chute de cheval,
il procède par éclats. Proses brèves à très brèves, qui tournent autour du thème,
le développent, incluant désarçonnés célèbres (Lancelot, Montaigne, Pétrarque, Saint
Paul), méditations sur le cheval, évocations mythologiques, bibliques,
historiques, récits antiques….
Parmi les thèmes, il y en a un très
curieux : celui de l’opisthotonie (du grec opistho, vers l'arrière et tonos
pour tension) qui est une contracture généralisée prédominant sur les muscles
extenseurs, de sorte que le corps est incurvé en arrière (en lisant Quignard on
a parfois l’impression de se promener dans ces galeries de musées
anthropologiques, parmi les bocaux où gisent dans le formol d’étranges créatures ;
Quignard ferait peut-être un
rapprochement entre menstrues et monstres….)
La violence humaine (Quignard)
Le livre s’ouvre par une scène violente, la décapitation d’un enfant, mais
il va pourtant s’enfoncer encore dans la violence ou plutôt dans le constat et
l’étude de la violence, avec des allusions au contemporain. Les récits, faits
et anecdotes de tous les temps, de partout mais surtout du monde romain sont
comme tressés ensemble en fagot pour allumer ce feu : « S’entretuer
est la passion spécifique de l’espèce homo » (155).
→ terrible résonnance de cette affirmation qui fait comprendre que l’état de
paix, la non-guerre, la non-agression de l’autre sont plutôt des exceptions,
isolées. On ne peut s’empêcher, lisant ces histoires dont certaines on l’a dit
fort anciennes, de penser à la Syrie et à bien d’autres théâtres contemporains
de la violence, sous différentes formes.
« Les centaines de millions d’écrans qui couvrent la planète sont devenus
le nouvel organe fascinateur, remplaçant sacrifices et rites, foules
pélerinantes, masses piétinantes. C’est la sédentarisation finale. C’est le
pogrome devenu immobile. »
→ et renvoi à ce reportage hier sur ce qu’on appelle les « crimes de haine »,
plus de 6000 aux USA en 2010, autrement dit le fait de tuer l’autre simplement
parce qu’il est autre et que cette altérité est insupportable (autre par sa
couleur, sa religion, dans ses opinions, sa sexualité). L’expression m’a d’ailleurs
semblé étrange « crime de haine », ce qui voudrait dire que tous les
crimes ne sont pas synonymes de haine (meurtrière). Il s’agirait au fond de
désigner ainsi une sorte de génocide commis individuellement, la variante
individuelle du crime collectif contre l’humanité. Cela fait froid dans le dos.
Et donne raison à Quignard, à René Girard : ce serait le crime et la
guerre qui seraient l’état naturel, la paix qui serait une patiente et fragile,
fragilissime construction.
Faut-il aller jusqu’à rapprocher cette idée de cette remarque lapidaire mais
lapidante de Quignard, p. 158 : « une espèce domestiquée retournant à
l’état sauvage est dite férale ». Doit-on comprendre qu’une part de notre « domestication »
(alias civilisation) se dissout dans la violence, nous rendant à l’état sauvage ?
Quignard enfonce le clou : « que
voulez-vous dire par penchants moraux de l’espèce humaine ; L’extermination
de la faune ? L’invention de l’esclavage ? La crucifixion ? L’invention
du travail ? La guerre ? Les camps polonais ? Les camps de
Sibérie ? Les fosses du Rwanda ? Les étagères métalliques du Cambodge ? »
(158)
Leurs mains serrent quelque chose (Quignard)
Et néanmoins ! ? : « Pour Lancelot, pour Abélard, pour
Paul, pour Pétrarque, pour Montaigne, pour Brantôme, pour d’Aubigné etc. ils
tombèrent de cheval, ils eurent le sentiment d’avoir glissé dans ma mort – mais
soudain ils se sentent revenir de l’autre monde. Ils sont revenus dans ce
monde. Leurs mains serrent quelque chose. Les écrivains sont les deux fois
vivants ».
Wismann, en écho
Reprenant, re-parcourant, une fois encore Penser entre les langues de Wissman, je découvre ce passage, qui
vient à la suite d’un développement sur l’impossibilité d’être à la fois
allemand et français, passage qui me renvoie à ce que j’écrivais un peu plus
haut sur les crimes de haine : « La véritable créativité humaine, c’est
cette prolifération de différences. Et la bêtise humaine, c’est de vouloir
camper sur l’une de ces différences. [...] En acceptant qu’elles ne puissent
pas être confondues, qu’il n’y a pas de préférences vraiment possibles puisque
ce sont chaque fois des perfections. Je plaide pour ce que j’appelle une
“identité réflexive” qui n’est pas l’identité de l’enracinement originaire. »
(102)
→ ce sentiment de bêtise si fort en ce moment. Cette réflexion aussi sur la manipulation
des esprits, véritable pieuvre anonyme mais proliférante, déployant partout ses
tentacules fabuleusement, presque mythiquement potentialisées par la
cybernétique. La terrible disposition de l’esprit humain, surtout lorsqu’il est
peu éduqué, à la manipulation, à l’endoctrinement, à la répétition mimétique. N’oublions
pas le « temps de cerveau disponible », que l’on peut paraphraser en « espace
de cerveau disponible ». La science-fiction réalisée : prise de
contrôle d’autrui à distance.
étant ne devra plus être
petite proie naine, tanagra couchée à même la chaussée, renversée, plomb
dans l’aile et plume de vie à balayer, trop légère, trop lourde – étant ne
devra plus être disparaître dispersée instant en fuite muette – cri même pas pas de côté ni de deux ni un, implosion
locale, cratère de sable, enfouie vivante indifférence
Rédigé par Florence Trocmé le 21 septembre 2012 à 11h44 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 20 septembre 2012 à 10h37 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Lectures
Grand article sur les soins palliatifs dans Le Monde (daté jeudi 20
septembre 2012), pas spécialement positif sur ce que l’auteur appelle le palliativisme, une sorte de dérive qui
consisterait à refuser d’entendre d’éventuelles demandes du patient à
« abréger ses souffrances », dans « le déni, par les médecins des soins
palliatifs, de la demande de mort qui hante parfois leurs services ».
Introduction de l’article : « C'est un texte coup de poing qui
devrait secouer les médecins et soignants des soins palliatifs. Sociologue,
directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS),
Philippe Bataille publie, mercredi 19 septembre, A la vie, à la mort. Euthanasie,
le grand malentendu (Autrement, 128 pages, 12 euros). Ce récit est le
fruit de plusieurs années d'observation dans une unité de soins palliatifs de
la région parisienne. »
Pascal Quignard, Les Désarçonnés et
Wolfgang Iser, L’Appel du texte.
Quignard
J’éprouve de grandes difficultés à entrer dans ce texte, qui me donne un
fort sentiment d’artifice. Ce recours systématique à des histoires tirées de l’Antiquité,
latine surtout, cette réécriture des faits selon les thématiques de Quignard ne
me convainc pas et ne me touche pas. Il y a ce thème du désarçonnement,
autrement dit le fait d’être éjecté de son cheval, prétexte à convoquer toutes
sortes de figures, parmi lesquelles Montaigne (c’est un des chapitres les plus
intéressants) : « même si Montaigne, à deux reprises, dans la
relation extraordinaire qu’il fait de son accident de cheval parle d’essai de la mort, l’expérience propre à
l’humain est beaucoup plus profondément travaillée par le “sans expérience” de
la naissance [...] je veux penser dans ce livre, dans cette loque toute
naissante, toute sanglante de débuts et d’ébauches, cette “expérience” qui ne
peut se répéter même une fois, cette expérience hors de toute expérimentation ».
(Les Désarçonnés, p. 60)
Quignard procède par courts chapitres-récits (tous ne sont pas titrés dans le
livre, mais tous ont un titre à la table des matières). Attendre peut-être, on
ne rentre pas toujours illico dans la prose quignardienne, parfois il faut la
laisser infuser, avant de décider si tasse de thé ou non…. et peut-être lire Catherine Pomparat. Ce qui
épaissit le mystère, mais ça c’est plutôt une bonne chose !
Afanassiev
« Je mène une vie qui me serait inconnue si je ne jouais pas du piano
régulièrement [...] Je connais le monde à travers le son du piano. Les gens,
les poèmes, tout passe par le son dans ma vie, tout naît du son. [...] Je
travaille sur le son et la vie devient tangible. »
→ je reconnais là, mais poussé à l’extrême, par quelqu’un qui a consacré toute
sa vie à la musique, un mode de fonctionnement qui m’est propre et qui me
semble prendre de plus en plus le pas sur d’autres formes d’appréhension du
monde. Plus je vais plus je ferme les yeux et ouvre les oreilles ! Plus j’écoute
le monde, l’autre, le silence, la musique. Avec ce corollaire parfois
problématique, une sorte de peur de l’image, de son impact excessif sur moi. Je
ne peux pratiquement plus aller au cinéma, l’image dans ces conditions, salle
obscure, grand écran, musique prégnante, ne me laisse pas d’espace, elle m’envahit
trop et je ne sais pas me défendre de son impact émotionnel, je ne peux avoir
de recul, penser son artifice, sa fabrication, elle est la réalité et à ce
titre peut vite devenir très difficile à supporter. Je dois cependant
relativiser, l’image documentaire par exemple me retient, me passionne. L’image
artistique aussi. Et je suis souvent avec le plus grand intérêt les
démonstrations de Georges Didi-Huberman. C’est sans doute l’image fictionnelle
si l’on peut forger cette étrange expression qui ne m’est plus supportable
(mais il en va de même du roman, serait-ce la question de l’artifice qui serait
première ?)
Français, allemand, Wismann
Wismann (in Penser entre les langues)
écrit à propos de l’allemand : « l’esprit qu’encourage cette langue
est le principe d’action, tandis que c’est celui de la spatialité qui domine en
France ». Et il poursuit en montrant que les conséquences de cette
différence se retrouvent dans les arts ; impressionnisme vs
expressionnisme, musique française proche de la littérature, plus illustrative
vs musique allemande purement formelle, structurée par le souci de la dynamique
→ même si je trouve cette division un peu trop poussée, ces comparaisons entre
les arts un peu systématiques, j’y vois aussi un bon guide de compréhension des
arts de part et d’autre du Rhin. Et je trouve passionnante l’idée que la langue
à la fois exprime et informe ces différences. Et il est heureux de pouvoir l’expérimenter
quasi physiquement par ce réapprentissage tardif de la langue allemande. Il en
va un peu comme du piano, c’est la pratique qui permet de comprendre les
processus en profondeur et peu importe le « niveau » atteint. C’est
le faire qui compte ici, pour tenter de vivre de l’intérieur aussi bien le
propos d’Afanassiev le pianiste que celui de Wismann le philosophe-linguiste. Et
ce n’est bien sûr pas un hasard si mes pas m’ont portée vers ces livres !
Wismann et Benjamin
Wismann rappelle avec discrétion qu’il fut l’initiateur de la connaissance
et de l’étude de Walter Benjamin en France, via un colloque qu’il organisa en
1983. Il s’explique sur les raisons pour lesquelles il le fit et signifie que par-delà
le fait qu’il trouvait que Benjamin n’était pas vraiment « perçu en France »,
il avait découvert que « selon Benjamin, la finalité des langues
consistait peut-être à balayer la totalité de ce qu’il est possible d’exprimer.
Dans ce cas, le véritable intérêt d’une langue est qu’elle ne coïncide pas avec
une autre et qu’elle oblige à naviguer entre les deux pour éprouver cette
tension entre deux manières de se rapporter à la réalité, non pas sur le mode
du reflet, où la langue reproduirait simplement, mais sur le mode de la
création de la réalité comme ce à quoi on est invité à se référer grâce à l’exploit
linguistique. » (84)
→ tout cela me semble cohérent et fort de conséquences. Fabius aurait dit
récemment que « les Allemands ne sont pas des Français qui parlent
allemand ». Apparente boutade, portée immense et ce n’est pas un hasard si
ce propos vient d’un homme politique, ministre des Affaires étrangères. Une
certaine connaissance de la langue allemande pourrait permettre de se
comprendre mieux, pas seulement superficiellement (comprendre le sens du propos
actuel du locuteur), mais beaucoup plus profondément, comprendre comment l’autre
s’insère dans la réalité et éventuellement agit sur elle. Sa lecture du monde, son action potentielle
sur le monde, à toute échelle, microscopique ou macroscopique. Apprend-t-on
cela aux diplomates ? Car ce qui est vrai pour deux langues européennes,
celles de pays mitoyens, doit l’être plus encore quand on aborde le chinois ou
le japonais. Et enfin comment ne pas penser au désastre de la disparition,
quotidienne dit-on, de langues dans le monde, après la mort des dernières
personnes à les parler. Est-ce à dire que ce sont autant de façon de voir le
monde, mais aussi d’agir sur lui qui disparaissent ainsi ?
Rédigé par Florence Trocmé le 20 septembre 2012 à 10h34 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (1)
Rédigé par Florence Trocmé le 18 septembre 2012 à 11h29 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Schubert
Afanassiev (in Notes de pianiste)
écrit des choses troublantes et émouvantes à propos de son rapport avec la
toute dernière sonate de Schubert. Bien qu’il pense l’avoir jouée en concert
plus de huit cents fois, il dit à quel point elle lui échappe, lui fait peur,
pas pour ses difficultés techniques bien sûr, mais pour ce qu’elle est, son
mystère impénétrable. Sa fréquentation est pour lui dangereuse, problématique,
difficile. Il en parle comme d'une personne, c'est assez impressionnant.
Faisant une petite recherche sur cette sonate, via Wikipédia, je
découvre :
« Marcel Schneider y voit un testament musical où Schubert se surpasse : “Car
de même qu'il réussit enfin en cette même année 1828 à étendre le lied aux
dimensions de la symphonie, avec sa Grande symphonie en ut, il parvient aussi à
faire de sa dernière sonate une sorte de lied continu, illimité, si long, si
varié, si touffu, à la fois si particulier et si général qu'il donne
l'impression de l'infini”» (source)
De l’époque et des crocodiles
Je balance entre deux pôles par rapport à la critique que je fais, que
nombre font de « l’époque ». Un pôle serait lucidité nécessaire, l’autre
très commun rejet de son époque. Il faut sans cesse faire bouger le curseur
pour ne pas tomber dans la détestation universelle, qui n’est ni justifiée ni
constructive. Mais il faut aussi savoir regarder un peu sous ses propres
enthousiasmes, notamment pour la technologie, de quoi il en retourne vraiment
ou plus exactement ce que cela peut impliquer. Quel outil cela peut-il devenir et là encore deux pôles opposés : pour le créateur comme pour le
dictateur, pour l’homme dit de bien comme pour le salaud. La critique actuelle, quel que soit le
domaine, me paraît souvent manichéenne. Tel par exemple ce libraire,
dont je conçois bien qu’il ait peur pour son avenir et celui de son métier, qui
parle ce matin des grandes plates-formes de vente en ligne comme de « pourvoyeurs
dématérialisés » dont il s’agirait d’éloigner « les spectres. »
Afanassiev est très sévère pour les interprètes d’aujourd’hui et aussi pour le
public. Une preuve ? : « Le goût du public est infaillible :
on choisit toujours le pire » (178). Mais comment ne pas rire sous cape
quand il se met à parler des crocodiles. Crocodiles qui deviennent en fait le
support de ses réflexions décapantes sur la question de l’image, crocodiles qui
sont une sorte de référence à d’autres animaux, autrement dit les loups avec
renvoi évident à la fameuse « pianiste aux loups », j’ai nommé Hélène
Grimaud (que lui ne nomme pas mais son propos est transparent). Il s’agit de
montrer comment la question de l’image a tout envahi aussi dans le domaine
musical, comment on fabrique des stars à qui on demande surtout d’être aptes à
se prêter au travail sur l’image. Alors là évidemment, Grimaud, 5 sur 5…. Mais
la musique ? Haskil était nettement moins sexy et n’élevait pas des
cacatoès ! Mais son « Oiseau Prophète » des « Scènes de la
Forêt » de Schumann me bouleversera jusqu’à la fin de mes jours. Et me fait
en plus me poser des questions sur l’absence, la disparition, la mort, les
moyens de l’art.
Du silence (Afanassiev)
Nombreuses et belles réflexions sur le silence, et pas uniquement le
silence en musique. « Écoutez le silence. Cessez le bavardage. C’est le
premier pas. Si vous apprenez à écouter le silence, vous entendrez le silence
musical » (191).
→ c’est Richter qui le premier m’a permis de comprendre ce que c’est vraiment
qu’un silence musical, pas simplement un suspens de la musique, pas un vide,
pas un moment d’arrêt, pas seulement une indispensable respiration, mais un
pont, une entité emplie de ce qui a précédé et ouverte sur ce qui va suivre
(tout à fait célibidachien !), une vibration elle aussi, au même titre que
celles des notes, mais plus mystérieuse. Essentielle. Les musiciens lisent les
silences de la partition (i.e. les signes de silence, a-t-on assez songé ce que
ça veut dire, cet art qui a des signes spécifiques pour le silence, qui de plus
s’appellent soupirs ?) exactement comme les notes. Autrement dit pression
sur le monde et retrait ont la même valeur et sont aussi intrinsèquement
nécessaires à la musique.
Des langues, toujours (Wismann)
Et on n’est pas si loin de la musique, sans doute… avec Vismann auquel je
reviens, Wismann qui analyse (in Penser
entre les langues) quelques grandes caractéristiques de la langue allemande.
Il rappelle qu’en allemand, dans une subordonnée « le verbe est placé en
dernière position, révélant ainsi que tous les foncteurs qui le précèdent n’en
sont que les spécifications, en fonction d’un autre principe syntaxique tout à
fait déterminant qui veut que le déterminant précède toujours le déterminé
[...] cela implique qu’il faut penser ce que l’on veut dire avant de l’exprimer
sauf à quitter la structure contraignante de cette syntaxe, ce qui est d’ailleurs
le cas de l’allemand courant. » (78)
→ ce qui renvoie à cette expérience faite couramment : se lancer, à la
française, dans une réflexion orale un peu complexe et se trouver comme dans un
cul-de-sac, d’autant plus incapable de se dépêtrer dans la langue allemande qu’on
est moins compétent ! Et Wismann d’ajouter que l’allemand est plus « violent »,
car il « force la totalité du réel à s’agencer de manière déterminante
dans une dynamique régie par le verbe, où toutes les catégories sont engendrées
les unes par les autres ». → ce qui doit constituer sans doute une grille de lecture de l’histoire et des
aptitudes reconnues des Allemands pour la philosophie ou la musique ?
Il dit, chose que je n’avais pas encore remarquée, que l’homophonie et l’homonymie
n’existent pas en allemand, car elles « supposent que l’on sache par avance de
quoi l’on parle avant d’avoir parlé mais surtout avant que la situation ne soit
rendue claire. » (80)
Interrogation implicite (Wismann)
Mais il me semble que cet aspect « violent » doit être en partie
adouci, gommé, par une autre analyse de Wismann, que je trouve en fait
surprenante : « toute la rhétorique allemande joue sur le phénomène d’une
interrogation implicite », montre-t-il, comme si il y avait en permanence
réponse à une question non exprimée. « Il y a d’innombrables affirmatives
qui, par leur structure, sont des réponses à des questions qu’il est impossible
de formuler »
Cela tempère en effet car qui dit question, dit deux choses, doute éventuel et
implication de l’autre… Et Wismann dit en effet un peu plus loin : « Le
récepteur se trouve entraîné dans une démarche intellectuelle qui est à égale
distance de la certitude dogmatique et de la perplexité. Dans un entre-deux que
la langue elle-même aménage et qui est l’espace de la réflexivité. » (83)
→ et avec cette distance entre certitude
dogmatique et perplexité, pour
moi, aujourd’hui, dans ces notes, l’impression d’avoir suivi une sorte de
boucle, en partant de la réflexion sur la critique de l’époque et en arrivant à celle-ci sur la langue allemande !
Rédigé par Florence Trocmé le 18 septembre 2012 à 11h26 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)