Caroline Sagot Duvauroux
Page 11 de Le livre d’El, d’où : « ainsi les livres s'adressent à
tous que la lecture solitaire rend chacun »
Cette articulation de l’appartenance à la communauté humaine et de la solitude
ontologique me renvoie à la remarque de Marc Dugardin, disant qu'il aimait
aussi se penser parmi les autres qui écoutent de la musique, qu’ils soient
présents (concert par exemple) ou non. Lire ne serait pas seulement un acte
solitaire mais une sorte d'acte solidaire, solidaire des autres, à la fois summum
de la solitude et communication avec plus que soi et autres que soi.
Refoulement (Sebald)
Page 86 de De la destruction, Sebald revient encore sur l’occultation des faits,
avant d’aborder pendant plusieurs pages la question des réactions à ses
conférences : « Pourquoi les écrivains allemands ne voulaient ou ne
pouvaient-ils pas décrire cette dévastation des villes allemandes qui avait été
vécue par des millions de personnes » [...] écrit-il avant d'évoquer « la
manière dont la mémoire individuelle, la mémoire collective et la mémoire
culturelle procèdent lorsqu’elles sont confrontées à des expériences qui
dépassent le seuil du supportable »
→ Sebald ne me semble pas y faire référence, mais il décrit ici le mécanisme du
refoulement, rejet dans les profondeurs d’évènements inassimilables mais qui
vont venir perturber durablement l’état ou la marche de la psyché et le phénomène
du déni, comme le déni de grossesse, ne pas voir ce qui est évident, ce qui « saute
aux yeux ». Il parle un peu plus loin des enquêtes d’un certain Dr
Schröder et dit qu’elles « négligent pour une bonne part la psychologie de
la mémoire d’évènements traumatiques. » (88)
→ Ce qui est bien ici un des points qui me retient, sans doute dans le sillage
de la si forte impression laissée par Qui
si je criais…?, le livre de Claude Mouchard. Sebald précise qu’il sait bien
qu’il y a eu des souvenirs de ces nuits où tout fut dévasté mais qu’il « ne
fait pas confiance à la forme sous laquelle ils sont relatés, même en dehors de
la littérature et qu’il ne croit pas qu’en dehors de l’optique de la
reconstruction ils aient constitué une donnée importante pour l’élaboration de
la conscience collective en République fédérale »
→ sauf à dire, pour poursuivre la réflexion plus psychanalytique, que comme
tout refoulé, ces évènements agissent en profondeur. D’autre part, la mise en
avant de l’idée de reconstruction montre bien pourquoi il n’a pas été possible
de s’approprier ces souvenirs qui auraient pu compromettre ou entraver la
remise en marche (et dieu sait qu’elle fut spectaculaire !) ;
peut-être aussi qu’au-delà du souvenir des destructions, c’est le souvenir de l’ensemble
de ce qui s’est passé entre les années 30 et la fin de la guerre qui est
proprement impensable pour un peuple
qui aspire à continuer, alors qu’une part de son humanité (mais aussi de la
nôtre, tous, aucune raison de s’exclure, toutes les raisons de prendre part) a
été atteinte d’une façon sans doute irrémédiable.
Bribes, vie matérielle (Sebald)
→ Il n’y a que des bribes…qui « permettent de comprendre qu’il est impossible
de sonder les profondeurs du traumatisme subi par ceux qui ont fui les
épicentres de la catastrophe ». Et l’un des mérites du livre de Sebald, c’est
de recoller ces bribes et de les analyser en les contextualisant de sorte qu’il
parvient, lui, même imparfaitement à dire quelque chose de cette catastrophe.
→ Il faudrait aussi sans doute réfléchir à l’articulation entre d’un côté vie
matérielle et focalisation sur les détails et de l’autre traumatisme de l’expérience,
qui me semble un des aspects soulignés par Claude Mouchard dans les récits des
témoins des camps et des déportations, comme le seul moyen peut-être d’approcher
de l’épicentre.
Dresde : « personne, pas même les écrivains chargés de conserver la
mémoire collective de la nation, ne fut plus tard en droit de rappeler des
images aussi ignominieuses que celle, par exemple, du Vieux Marché de Dresde,
où, en février 1945, 6865 cadavres furent brûlés sur des bûchers par un
commando de SS qui s’était rôdé à Treblinka. » (104)
Stefan George (Sebald)
Suis troublée par de nombreuses allusions
au livre L'étoile de l'alliance de
George : « une ligne directe mène de L’Etoile
de l’alliance de George au Reich à venir ».
Théories du complot
(Sebald)
Sebald dans toutes ces pages poursuit l'analyse d'une lettre à la fois sensée
et délirante reçue après ses conférences. Il montre comment l’auteur de la
lettre « subodore partout des complots secrets contre les intérêts vitaux
de la germanité » (105).
→ Important qu’il souligne le lien entre théories du complot, toujours en œuvre,
tout le temps et partout, et le fascisme.
« Cet amalgame entre élucubrations d’une part et conduite d’une vie
normale de l’autre définit précisément la tare qui a germé dans la tête des
Allemands au long de la première moitié du XXème siècle » (106) Puis de
montrer la relation faite entre « un ennemi à la fois invisible et
omniprésent censé gangrener la substance populaire », et la minorité
juive.
→ il est important de lire et relire ces faits, car ils montrent bien les
mécanismes à l’œuvre et qui sont des mécanismes non pas strictement locaux et
historiquement datés, mais des mécanismes universels (le thème du bouc
émissaire entre autres mis en évidence par René Girard). Certains évènements
contemporains sont à penser sous cet angle-là, avec en perspective ce danger-là
d’un retour aux aberrations catastrophiques du siècle dernier.
charpie
carreau blanc sang, blocs pâteux
filant direct à cœur – tombées en théories interminables, pans à pans jetées au
tas, là ici ici là, feux et sifflements – déchirements air et chairs, papiers
lacérés en broyeuse, incinérés, vies déchiquetées, illisibles, charpie et cendres
©f.trocmé
Commentaires