Christa
Wolf, « Un jour dans l’année »
C. W. pendant près de 40 ans a
suivi une consigne : écrire un jour dans l’année. Pour elle ce fut le 27
septembre. Cela commence en 1960. L’introduction m’a intéressée, sur la
mémoire, sur le désir d’engranger (que fait d’autre ce flotoir !?), sur le tri opéré par la mémoire, sur la surprise
à retrouver dans les écrits personnels des faits, des choses, voire des êtres
oubliés….. Mais les deux premières journées, années 60, m’ont un peu ennuyée,
elles sont trop « communistes » et en ce sens datées. Une fois encore
je me montre si peu historienne ! J’imagine que pour l’historien c’est
pain béni que ce grand écrivain prenant le pouls de sa vie, de son contexte,
des questions qu’elle se pose, une fois par an…
Cette importante réflexion tirée de l’introduction :
« La subjectivité demeure le critère prédominant de ce journal. Ce qui a
quelque chose de scandaleux dans une époque où l'on nous submerge de choses et
tente également de nous chosifier ; car le flot des révélations apparemment
subjectives et impudiques dont nous inondent les médias est aussi un élément
froidement calculé de cette marchandisation. Je ne saurais dire comment nous
protéger, comment nous pourrions échapper à cette réification forcenée qui
s'infiltre dans nos émotions les plus intimes si ce n'est pas l'épanouissement
et aussi par la verbalisation de notre subjectivité, quel que soit l'effort que
cela exige. » (Christa Wolf, Un Jour
dans l'année, 1960 – 2000, édition Fayard, 2006, page 11)
→ peut-être que le flotoir fait aussi
cela, opposer une subjectivité à la réification
forcenée, se situer en marge, sur les marges, à contre-courant des
dominantes, dans l’écoute de ce qui sourd sous le bavardage universel (y inclus
la déferlante de l’information, tous domaines confondus), dont le but est à la
fois de cacher le vide et d’asservir la pensée pour la rendre plus vulnérable à
la manipulation. Laquelle est sans doute moins aujourd’hui politique
qu’économique : asservir à production et consommation, sources sans pareil
pour générer profit et pouvoir. Les 140 signes de Twitter sont à cet égard
édifiants…un maillage de messages vides comme le sont la plupart du temps les
textos, mais un maillage ininterrompu car le moindre suspens peut susciter
l’avalement par le trou noir qui est juste derrière ou dessous !
De la musique (Marc Dugardin)
Marc Dugardin a répondu à ma question ;
il écrit : « écouter met en relation avec une part de soi qui
s'ouvre, c'est de la solitude reliée. Mais je risquerais de m'égarer ici vers
autre chose (à quoi je suis très sensible aussi) le fait d'être relié à
d'autres "écoutants" (que ce soit dans la réalité d'un concert ou
chez soi, partageant avec d'autres -même si c'est virtuellement - ce moment
privilégié d'humanité qu'est l'écoute musicale)... »
Il renvoie aussi aux premières expériences (et sur ce sujet, je lui ai répondu
en lui parlant des livres du Pr Tomatis : « Écouter, être écouté:
cela nous renvoie peut-être au plus profond de nous, de notre histoire...
quand, dans un ventre nous "entendions" (sans pouvoir vraiment
"écouter" encore) des bruits, des sons, des voix, nous-mêmes
écoutés déjà, enveloppés d'écoute (une écoute qui nous appelait à venir au
monde) ? Je dis là quelque chose de notre expérience commune (mais dont
personne ne se "souvient" vraiment, nous le "reconstituons"
plutôt, ou nous y "remontons" lors de certaines expériences d'écoute
?) ».
Il me parle enfin d’un livre Lila ou la
lumière de Vermeer (la psychanalyse à l'écoute des artistes) d’Alain
Didier-Weill, chez Denoël, 2003 dont il tire pour moi cette très belle
citation : « Je pars de cette première constatation: tout se
passe, dès lors que nous sommes "touchés" par la musique, comme si,
grâce à elle, nous recevions une certaine réponse. Le problème commence par le
fait que cette réponse fait surgir en nous l'antécédence d'une question qui
nous habitait sans que nous le sachions. Nous découvrons que la musique est une
altérité qui aurait entendu en nous quelque chose que nous ne pouvions pas
entendre par nous-mêmes et qu'à ce titre, dans un premier temps logique, nous
sommes moins l'auditeur de la musique qu'elle n'est notre auditrice". »
Musique, Perahia et Cassard
Écouté hier le magnifique disque
numéro six du coffret de tous les enregistrements de Murray Perahia depuis ses
débuts. Il comporte les Études
symphoniques de Schuman que je n'avais pas écoutées depuis fort longtemps
et qui sont admirables. Perahia les jouent avec une diversité d'approches qui
les rendent extraordinairement vivantes et émouvantes. Le disque est complété
par Papillons.
→ deux remarques :
un des critères pour moi est de savoir si le disque me « tire l’oreille » :
tant de disques de jeunes pianistes d’aujourd’hui peuvent s’écouler in extenso sans que, si je suis en train
de faire autre chose, rien de me retienne. A l’inverse, ce disque de Perahia,
hier, m’a sans cesse distraite, tirée hors de ma lecture, avec parfois presqu’une
sorte d’effet de sidération, de suspens très étrange, comme accès à un autre
mode d’activité intérieure.
Je me suis aussi demandé si chez les grands pianistes, ce que je préférais n’était
pas d’une part les enregistrements des débuts, quand il y a encore une sorte d’enthousiasme
parfois un peu fou, un plaisir de jouer, une jouissance de la technique, bref
une vie, une pulsation immense. Et d’autre part les enregistrements tardifs,
quand est passée toute une vie de musique, que les œuvres ont été approfondies,
qu’ont été laissées de côté celles qui ne sont pas essentielles au pianiste et
qu’il n’a plus rien à perdre. A ces deux extrémités du spectre d’une vie, il me
semble que parfois la musique est à son plus intense.
Puis hier soir j’ai écouté un long moment le podcast d’un Matin des Musiciens,
un des ateliers
de Philippe Cassard. Il s’agissait de la 5ème sonate de Beethoven,
op. 10 n° 1, en ut mineur. L’approche de Cassard est à la fois érudite, mais
sans peser, et très vivante, dans la mesure où tout ce qu’il explique, i l’illustre
concrètement en le jouant au piano en même temps. Ainsi par exemple, d’un
rapprochement, soudain évident, entre le début de cette sonate et la sonate en
ut mineur de Mozart. Il choisit aussi avec beaucoup de soin les enregistrements
qui peuvent éclairer son propos, par exemple quand il s’interroge sur l’épineuse
question du tempo : allegro molto
con brio, oui mais encore ? Et de passer Gilels passablement lent et
qui marque beaucoup la mesure à trois temps et Gould qui joue ça comme un fou,
avec une unité de temps qui est plutôt 4 ou 8 mesures qu’une et enfin Christian
Zacharias.
Il insiste aussi beaucoup sur l’extraordinaire minutie de l’écriture de
Beethoven, avec un nombre inouï d’indications, ce qui ne se pratiquait que très
peu à l’époque.
J’ai plus appris en une heure d’écoute de cette émission que depuis des années !
Drôles de jeux avec les mots (Mathieu Potte-Bonneville)
Pendant ce temps lu un drôle de
petit bouquin qui une fois n'est pas coutume, m'a bien amusée ; il s'agit de Dictionnerfs de Mathieu Potte-Bonneville et Francois Matton. Ce
sont des définitions fantaisistes, mais très variées et amusantes en ce sens
que l'humour fait appel à plusieurs registres et techniques, du simple jeu sur
les mots, du mélange des langues (ici français, anglais, allemand), de la
parodie, voire même du nonsense à l’anglais.
Quelques allusions érudites très amusantes, comme si l’auteur se moquait de
lui-même et d’une possible prétention intellectuelle. Un exemple : es mousse sein [cit.] : apéritif
catégorique. Peut-être en donner quelques extraits dans Poezibao. Et en faire une courte note de
lecture, histoire de changer un peu le style de ce dont on parle dans le site.
Avec cette double question : on (je
en tous cas) ne comprend(s) pas tout loin de là et par ailleurs y a-t-il des
allusions qui sont perceptibles à certains et pas à d’autres, question de
références sans doute. Bien évidemment tout ce qui tourne autour de l’allemand
comme dans cette parodie de la citation
de Beethoven m’a particulièrement attirée. Mais il me faut aussi avouer ma
difficulté à entrer dans les petits dessins de François Matton, mon monde étant
indéniablement moins visuel que sonore et linguistique. Je n’ai aucune culture
BD ou cartoons et je pense que Matton se réfère beaucoup à ces univers-là.
coupe ombres dents si longues…
Coupe ombres dents si longues,
scies sauteuses profondes entailles, coulent suc substance à pleines pores oui
du pire coule du pire de toutes pores et parts à vif d'os et cervelles bouillies
écervelées ébouillantées, coulent bains d'huile pour rouages réfractaires – il
faut chanter la chanson voix aigües perchées, faussées par treuil tirées haut
filets imbéciles, dénaturé grain personnel – note collective de grave en
fluette évidée, le grave aux maîtres seuls, heil
Commentaires