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Rédigé par Florence Trocmé le 27 novembre 2012 à 13h58 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Dresde,
encore
Hier mis la dernière main à
mon mini-exposé sur la destruction et la reconstruction de la Frauenkirche de Dresde. Pourquoi le sort
de cette ville me hante-t-il à ce point ? Et toutes ces sources
littéraires qui convergent là en un point focal, Alain Lance qui me parle ce matin
d’un poème de Volker Braun, la chaîne première entre Thomas Bernhard et Hélène
Cixous (si mon souvenir est juste, évocation par cette dernière d’un texte de
Bernhard, terrible, où il raconte avoir marché dans les décombres de la ville sur
quelque chose, qu’il a pris pour une main de poupée et qui était celle d’une
petite fille…), et maintenant Sebald. L’impression étrange, mais comment être
sûre qu’elle n’est pas artificiellement fabriquée intérieurement, qui m’a
semblé régner dans cette ville, sous l’effervescence de la vie. Marquage des
lieux par l’histoire, mais aussi par la littérature, souvent en strates
impossibles à distinguer.
Démons de l’analogie
Et cette question liée, d’où
viennent nos tropismes vers tel ou tel pays, tel ou tel peuple, alors qu’apparemment
rien ne l’explique dans notre petite histoire individuelle ? J’ai aussi
reçu hier deux livres de Paul Louis Rossi Démons
de l’analogie et Un Monde analogique :
il parle de cette expérience, que j’ai immédiatement reconnue : « à
peine ai-je énoncé une idée, recueilli une impression, entendu une parole, qu’elle
se dirige avec une surprenante agilité vers une autre sensation, une autre
vision, une autre perception semblable ou contraire [...] Cette ordonnance me
donne à l’avance une sorte de joie, car je sais, une fois écrite la paraphrase –
une fois achevée la construction – qu’elle révèlera sa propre figure, sa vérité
qui ne réside pas dans le sens, mais dans sa propre organisation. » (Paul
Louis Rossi et Eric Fonteneau, Un monde
analogique, éditions Joca Seria, bibliothèque municipale de Nantes, 4ème
de couverture)
→ démons ou dieux de l’analogie, ce flotoir
ne leur est-il pas entièrement voué… ? Et je retiens dans la citation de
Paul Louis Rossi, ce dernier mot, organisation.
Il me semble parfois tirer un nombre important mais limité de fils sur une
longue période et que chacun, tout en suivant son cours propre, finit par
rencontrer, momentanément ou plus durablement, les autres fils, pour tisser,
parfois, une sorte de figure. Ce constat a cela de réconfortant qu’il permet de
prendre conscience qu’en dépit de ce qui trop souvent semble dispersion, il y a
une forme de cohérence, comme si tout le for intérieur se dessinait, se
modelait selon des lignes assez stables et précises. Un peu plus haut dans
cette présentation du livre, il est fait allusion à une exposition consacrée à
Paul Louis Rossi « dans laquelle l’inscape
ou paysage intérieur invitait à la spéculation imaginative comme mode d’élucidation
du monde ». N’est-on pas ici bien « sur zone » !!!????
Christa
Wolf et Tchekhov
J'aime
toujours énormément quand un écrivain m'amène vers un autre écrivain. Hier
soir, c'est Christa Wolf qui m'entraîne vers Tchekhov… elle décrit, toujours
dans Un jour dans l’année, une
journée de 1983 qui s’ouvre par une lecture d’Oncle Vania et elle s’étonne de trouver dans ce livre ce qui lui
semble être une des toutes premières défenses de l’environnement dans les mots
que prononce le médecin Astrov, à propos des forêts : « il faut être un
barbare insensé pour brûler dans son poêle cette beauté, pour détruire ce que
nous ne pouvons recréer. L'homme est doué de raison et de force créatrice pour
accroître ce qui lui a été donné mais jusqu'à ce jour il n'a rien créé, il n'a
fait que détruire. Il y a de moins en moins de forêts, les fleuves se
tarissent, le gibier se fait rare, le climat est pourri, et chaque jour la
terre devient plus pauvre et plus anonyme. » (Rappel, Oncle Vania : 1897)
Hier, cet article sur l’embolie des arbres ; aujourd'hui le début de la
conférence de Doha dont, dès maintenant, personne ne semble rien attendre.
Ce que la littérature peut déclencher (Gerd Wolf)
Un peu plus loin Christa
parle avec son mari Gerd, qui s'étonne de l'incroyable
écho qu'ont pu susciter pendant des décennies des prises de position exprimées
dans des livres assez peu volumineux, comme par exemple les textes de Blok.
C’est chaque fois surprenant, ce
que la littérature peut déclencher, dit-il. Dans un cercle restreint, lui répond Christa, C'est déjà ça, réplique-t-il enfin.
→ c’est dans le « déjà ça » que doit se concentrer sans aucun doute
le combat pour l’art, la littérature… sans grandes illusions, mais avec l’idée
qu’il y a surtout un relais à transmettre. Une espèce à protéger…
→ dans la citation de Tchekhov, si terriblement prémonitoire, cet adjectif d’anonyme… on en parle assez peu, lorsque
l’on parle des espèces en voie de disparition, des paysages saccagés, etc. La
question de l’uniformisation. Qui fait que le centre-ville de la plupart des agglomérations,
en France mais aussi dans d’autres pays, est identique… que tout ce qui a
façonné, strate après strate, l’identité de tel lieu est bouleversé au point
que les repères deviennent impossibles à percevoir et que ce qui peut encore
émaner de cette histoire-là est comme étouffé (boucle bouclée me semble-t-il
avec les premières réflexions de ce jour sur Dresde). La destruction des traces
n’est jamais très bon signe.
Silencieux, déracinés, fantomatiques (Sebald)
Après avoir refermé De la destruction, Sebald toujours et retour
à Les Émigrants, avec l’histoire
tellement mélancolique, forte et belle de Paul Bereyter. Pour l’instant, je ne
sais rien encore de la méthode de W.G. Sebald : est-il parti de
personnages ayant réellement existé, a-t-il reconstruit leurs vies ? Il y
a des photos, en noir et blanc, difficiles à lire dans le format du livre de
poche, mais qui de ce fait peut-être ont cette aura propre aux photos très
anciennes (Didi Huberman ?) et ce pouvoir de donner un sentiment très
particulier du temps. Croisent dans les parages à la fois Walser et Benjamin,
peut-être en tant que figures d’errants, de Wanderer
plus ou moins éternels, désormais partie intégrante de nos figurations
intérieures (auxquelles vient s’agréger aussi la figure de Pessoa…). Que nous
disent-ils ? Un début de réponse peut-être avec la courte présentation au
dos du livre : « Sebald se remémore – et inscrit dans nos mémoires –
la trajectoire de quatre personnages de sa connaissance que l’expatriation (ils
sont pour la plupart juifs, d’origine allemande ou lituanienne) aura conduits –
silencieux, déracinés, fantomatiques – jusqu’au désespoir et à la mort ».
Très belle traduction de Patrick Charbonneau, livre qu’il faudra tenter, un peu
plus tard, de lire en allemand….
Et toujours tant d’échos, de rapprochements, de liens avec le contemporain,
bombardements de villes ici, fugitifs, expatriés, émigrants, sans papiers,
rejetés, bannis, poursuivis, partout…
Rédigé par Florence Trocmé le 27 novembre 2012 à 10h04 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Balises: Benjamin, Christa_Wolf, Cixous, Paul-Louis_Rossi, Pessoa, Sebald, Walser
Dresde, bombardements, jugements
J’ai commencé à préparer un peu le
tout petit exposé de 5 mn que je dois faire la semaine prochaine à mon cours d’allemand
sur la destruction et la reconstruction de la Frauenkirche de Dresde.
Je ne peux m’empêcher de faire une sorte de rapprochement entre la chute de la
Frauenkirche qui s’est effondrée sur elle-même, minée par les incendies qui la
ravageaient et les tours jumelles. L’église n’avait pas été bombardée, mais les
incendies étaient tellement intenses que les pierres ont en partie fondu !
Tout cela préparé aussi par ma lecture de De
la destruction de Sebald.
Et bien sûr, difficile de ne pas faire un rapprochement avec la Syrie et Gaza
(mais dans ce dernier cas, je tiens absolument à tenter d’être juste dans mon
jugement et de comprendre aussi le point de vue israélien, ce qui n’est pas le
cas de trop de sources d’informations… sans non plus tomber dans la défense
sans conditions d’Israël, comme le fait le bulletin du CRIF que je reçois tous
les jours…)
Un peu de mal aussi avec la lecture d’Un
jour dans l’année de Christa Wolf.
Mais un des mérites, parmi tant d’autres de ce livre, est de me renvoyer à
l’extrême difficulté de tenter de se faire une idée juste des évènements, des
êtres, des situations dans lesquelles ils se trouvèrent, sans jugement arbitraire,
mais en tentant de comprendre (sans tout excuser non plus !). La question de la contextualisation me semble essentielle et souvent trop oubliée.
Petite feuille de gingko
Petite feuille du ginkgo du musée Guimet perdue seule, loin, dans le
couloir du métro.
Variante avec QCM : cocher : ▞choc des civilisation ; ▞mondialisation ; ▞ouverture
aux autres cultures ; ▞ De la destruction comme élément de l’histoire
naturelle ; ▞haïku
▞ autre (préciser)
De l’embolie chez les arbres
« Les arbres se montrent beaucoup plus vulnérables à la sécheresse que
ce que les scientifiques imaginaient. Quand ils manquent d'eau, ils font des
embolies : des bulles d'air obstruent les vaisseaux de transport de la
précieuse sève des racines à leurs cimes. Un dessèchement fatal les guette.
Toutes les espèces sont concernées : feuillus ou conifères. Tous les climats
également : humides ou secs.
Pour la première fois, une vaste étude internationale jette un regard global
sur ce phénomène. Sur plus de 220 espèces réparties dans 80 régions aux climats
variés, leurs conclusions, publiées en ligne dans la revue Nature mercredi 21 novembre, pointent une vulnérabilité
alarmante pour l'avenir des écosystèmes. La probabilité d'apparition de
bulles d'air dans la sève augmente si l'arbre est contraint d'aspirer plus fort
la sève dans ses ramifications. C'est ce qui arrive en cas de fortes chaleurs,
qui augmentent la transpiration de l'arbre, ou lors d'une carence en eau, qui
oblige la plante à pomper intensément. »
→ constat très alarmant, un de plus ! Il suffit d’imaginer notre
environnement immédiat, même en ville, surtout en ville, si 2 arbres sur 3
venaient à disparaître. Il y a là surtout un phénomène global qu’on peut à ce
titre rapprocher de la question des abeilles décimées (mais de ce côté-là, il
semble qu’il y ait un léger mieux).
Question, avec variante
Si on évaluait la masse totale de la haine manifestée dans le monde et
celle de l’amour (en excluant les formes d’amour qui s’apparentent à la haine),
de quel côté pencherait la balance ?
Variante : si on évaluait la masse totale de la haine inconsciente dans le
monde et celle de l’amour (en excluant les formes d’amour qui s’apparentent à
la haine), de quel côté pencherait la balance ?
→ dans le premier cas et sans faire, je crois, preuve d’un indéfectible
optimisme, je dirais sans doute que l’amour l’emporte, celui dont on ne parle
jamais par définition, parce qu’il n’est pas spectaculaire, celui que nous nous
manifestons tous, que nous manifestons à nos proches, l’attention que nous
portons aux autres, l’entraide, la fraternité, notre capacité compassionnelle.
→ dans le second cas, plus lucidement peut-être, il faut sans doute tempérer
cet optimisme, ce qui revient à s’interroger sur les ressorts profonds de l’amour
porté à l’autre (voir notamment le paragraphe suivant)
Et sans doute faudrait-il ajouter une troisième force, si on peut l’appeler
force et qui aurait un poids considérable, l’indifférence.
Christa Wolf, un jour dans l’année
Étrange ambivalence avec le livre Un Jour
dans l’année (1960-2000)… et finalement la méthode de l’ouvrir et de lire
un jour au hasard se révèle très valable compte tenu de la nature du livre (rappel :
il s’agit d’écrire une fois par an, à date fixe, une sorte de “journal”). Les
différences de contexte n’en sautent que plus aux yeux et dieu sait qu’ici,
elles sont considérables, depuis la RDA des années soixante jusqu’à l’an 2000.
Alain Lance me dit que le tome des années 2000-2010 va paraître incessamment en
Allemagne. Ce livre est un témoignage exceptionnel. Témoignage sur la vie et
les troubles d’une conscience, celle d’une femme, exposée à des situations
extrêmement complexes et difficiles, sujette dans doute à des erreurs, mais
sans concessions pour elle-même il me semble et d’une profonde honnêteté. D’une
intelligence hors-pair aussi et pas cantonnée sur un monde étroitement individuel même si son quotidien et bel et bien là et douée d'une
forte conscience historique et sociale. Et bien sûr un très grand écrivain.
Et terminant la rédaction du paragraphe précédent, je me souvenais des propos
lus hier soir (année 1985) où elle a des mots très durs pour l’indifférence, l’égotisme
et l’égoïsme des jeunes écrivains. L’ensemble de la rédaction de cette journée
de septembre 1985 est consacré aux préparatifs et au compte rendu d’une grande
cérémonie littéraire en l’hommage d’Heinrich Böll (mort en effet en juillet
1985), occasion pour Christa Wolf de scruter de plus près tout le petit
microcosme littéraire : « le narcissisme absolu de ces jeunes hommes,
les prétendues “relations” qui ne résistent pas à leur impitoyable égoïsme, le
délitement progressif du “milieu”, cette surestimation de soi. » (322)
(tout rapport avec une situation actuelle serait bien sûr le fait du hasard !!!)
Rédigé par Florence Trocmé le 26 novembre 2012 à 09h47 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 22 novembre 2012 à 10h24 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Caroline Sagot Duvauroux
Page 11 de Le livre d’El, d’où : « ainsi les livres s'adressent à
tous que la lecture solitaire rend chacun »
Cette articulation de l’appartenance à la communauté humaine et de la solitude
ontologique me renvoie à la remarque de Marc Dugardin, disant qu'il aimait
aussi se penser parmi les autres qui écoutent de la musique, qu’ils soient
présents (concert par exemple) ou non. Lire ne serait pas seulement un acte
solitaire mais une sorte d'acte solidaire, solidaire des autres, à la fois summum
de la solitude et communication avec plus que soi et autres que soi.
Refoulement (Sebald)
Page 86 de De la destruction, Sebald revient encore sur l’occultation des faits,
avant d’aborder pendant plusieurs pages la question des réactions à ses
conférences : « Pourquoi les écrivains allemands ne voulaient ou ne
pouvaient-ils pas décrire cette dévastation des villes allemandes qui avait été
vécue par des millions de personnes » [...] écrit-il avant d'évoquer « la
manière dont la mémoire individuelle, la mémoire collective et la mémoire
culturelle procèdent lorsqu’elles sont confrontées à des expériences qui
dépassent le seuil du supportable »
→ Sebald ne me semble pas y faire référence, mais il décrit ici le mécanisme du
refoulement, rejet dans les profondeurs d’évènements inassimilables mais qui
vont venir perturber durablement l’état ou la marche de la psyché et le phénomène
du déni, comme le déni de grossesse, ne pas voir ce qui est évident, ce qui « saute
aux yeux ». Il parle un peu plus loin des enquêtes d’un certain Dr
Schröder et dit qu’elles « négligent pour une bonne part la psychologie de
la mémoire d’évènements traumatiques. » (88)
→ Ce qui est bien ici un des points qui me retient, sans doute dans le sillage
de la si forte impression laissée par Qui
si je criais…?, le livre de Claude Mouchard. Sebald précise qu’il sait bien
qu’il y a eu des souvenirs de ces nuits où tout fut dévasté mais qu’il « ne
fait pas confiance à la forme sous laquelle ils sont relatés, même en dehors de
la littérature et qu’il ne croit pas qu’en dehors de l’optique de la
reconstruction ils aient constitué une donnée importante pour l’élaboration de
la conscience collective en République fédérale »
→ sauf à dire, pour poursuivre la réflexion plus psychanalytique, que comme
tout refoulé, ces évènements agissent en profondeur. D’autre part, la mise en
avant de l’idée de reconstruction montre bien pourquoi il n’a pas été possible
de s’approprier ces souvenirs qui auraient pu compromettre ou entraver la
remise en marche (et dieu sait qu’elle fut spectaculaire !) ;
peut-être aussi qu’au-delà du souvenir des destructions, c’est le souvenir de l’ensemble
de ce qui s’est passé entre les années 30 et la fin de la guerre qui est
proprement impensable pour un peuple
qui aspire à continuer, alors qu’une part de son humanité (mais aussi de la
nôtre, tous, aucune raison de s’exclure, toutes les raisons de prendre part) a
été atteinte d’une façon sans doute irrémédiable.
Bribes, vie matérielle (Sebald)
→ Il n’y a que des bribes…qui « permettent de comprendre qu’il est impossible
de sonder les profondeurs du traumatisme subi par ceux qui ont fui les
épicentres de la catastrophe ». Et l’un des mérites du livre de Sebald, c’est
de recoller ces bribes et de les analyser en les contextualisant de sorte qu’il
parvient, lui, même imparfaitement à dire quelque chose de cette catastrophe.
→ Il faudrait aussi sans doute réfléchir à l’articulation entre d’un côté vie
matérielle et focalisation sur les détails et de l’autre traumatisme de l’expérience,
qui me semble un des aspects soulignés par Claude Mouchard dans les récits des
témoins des camps et des déportations, comme le seul moyen peut-être d’approcher
de l’épicentre.
Dresde : « personne, pas même les écrivains chargés de conserver la
mémoire collective de la nation, ne fut plus tard en droit de rappeler des
images aussi ignominieuses que celle, par exemple, du Vieux Marché de Dresde,
où, en février 1945, 6865 cadavres furent brûlés sur des bûchers par un
commando de SS qui s’était rôdé à Treblinka. » (104)
Stefan George (Sebald)
Suis troublée par de nombreuses allusions
au livre L'étoile de l'alliance de
George : « une ligne directe mène de L’Etoile
de l’alliance de George au Reich à venir ».
Théories du complot
(Sebald)
Sebald dans toutes ces pages poursuit l'analyse d'une lettre à la fois sensée
et délirante reçue après ses conférences. Il montre comment l’auteur de la
lettre « subodore partout des complots secrets contre les intérêts vitaux
de la germanité » (105).
→ Important qu’il souligne le lien entre théories du complot, toujours en œuvre,
tout le temps et partout, et le fascisme.
« Cet amalgame entre élucubrations d’une part et conduite d’une vie
normale de l’autre définit précisément la tare qui a germé dans la tête des
Allemands au long de la première moitié du XXème siècle » (106) Puis de
montrer la relation faite entre « un ennemi à la fois invisible et
omniprésent censé gangrener la substance populaire », et la minorité
juive.
→ il est important de lire et relire ces faits, car ils montrent bien les
mécanismes à l’œuvre et qui sont des mécanismes non pas strictement locaux et
historiquement datés, mais des mécanismes universels (le thème du bouc
émissaire entre autres mis en évidence par René Girard). Certains évènements
contemporains sont à penser sous cet angle-là, avec en perspective ce danger-là
d’un retour aux aberrations catastrophiques du siècle dernier.
charpie
carreau blanc sang, blocs pâteux
filant direct à cœur – tombées en théories interminables, pans à pans jetées au
tas, là ici ici là, feux et sifflements – déchirements air et chairs, papiers
lacérés en broyeuse, incinérés, vies déchiquetées, illisibles, charpie et cendres
©f.trocmé
Rédigé par Florence Trocmé le 22 novembre 2012 à 10h19 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé par Florence Trocmé le 21 novembre 2012 à 14h47 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Écriture (Anne Malaprade, Caroline Sagot Duvauroux)
Intense note
de lecture d’Anne Malaprade sur le livre de Caroline Sagot Duvauroux, Le Livre d’El d’où
« Nous ne sommes si totalement ignorants qu’en écrivant. C’est pour ça qu’il
nous faut penser ardemment et cette ardeur écrit. La stupeur suit. C’est la
phrase sidérée sur la page. Noyée, immobile, ferme. Patiente. »
Vivre l’être-soi (Claude Mouchard)
…. ce matin, tout se
répond : note de lecture et extraits de Caroline Sagot Duvauroux, mail de Marc
Dugardin, notes
de Claude Mouchard, sonate de Beethoven, notamment le largo con gran espressione de la sonate n° 4, op 7 en mi bémol
majeur, par Murray Perahia.
Se répond, pourquoi et comment, en cela peut-être qu’écrit Claude Mouchard :
« vivre l’être-soi, l’être échu à soi, là d’où il provient et là où il se
rend ...
non pas dans des moments solennels ou mythiques mais à tout instant : par
lapements élémentaires et vitaux »
→ ou cela encore, tout aussi
décisif
« Des instants-loupes :
grâce à la conversation, ou contre elle, la bloquant soudain, voici une
inclusion pure, celle d’un fragment ou de quelques fragments – fougères, restes
d’insectes – de vie perdue dans un bloc de résine translucide mordorée. »
(feuilleton
de Claude Mouchard, ce jour)
et un peu plus, loin, coïncidence
stupéfiante, cela :
« Est-ce qu’il croit, est-ce qu’il sent, comme ça m’arrive, que la
musique, soudain, écoute ? »
Alors que tous ces échanges,
ces jours-ci avec Marc Dugardin et la découverte de cette notion d’écoute non
pas seulement de la musique mais par la musique, qui a été une sorte de
révélation.
Correspondances / Marc Dugardin, Bartók
et Berg
Avec Marc précisément, sur Bartók,
dont parlait hier ce flotoir :
« Bartók. J'ai aimé passionnément ce compositeur, depuis que je l'avais
découvert, adolescent (et en rupture totale avec les "bons goûts"
musicaux admis dans ma famille). Je suis allé à Budapest (fin des années 70),
entre autres "sur ses traces". Je me suis un peu éloigné (mais sans
"rupture"...) de sa musique. [...] je me souviens avoir beaucoup aimé
cette "suite en plein air" et cette pièce a marqué mon
écriture...
Bartók reste comme mon point de passage vers la musique
"contemporaine".
Et l'allegro barbaro est parfois venu
se glisser (très exactement) dans mes rêves (je veux dire que je me réveillais
en le "chantant", très exactement, ne l'ayant plus écouté depuis
longtemps - il suffit d'ailleurs que j'y fasse allusion ici, et ses notes me
reviennent en tête aussitôt...) »
→ À ma demande de m’aider à entrer dans l’univers de Berg, qu’il dit devenu
essentiel pour lui et qui m’est resté fermé à ce jour, il m’écrit :
« Cette musique (le "concerto à la mémoire d’un ange", pour commencer),
j'avais essayé des tas de fois de l'écouter, je ne parvenais pas à la saisir
(ou à me laisser saisir...), cela me paraissait chaotique, incohérent, sans fil
conducteur, sans rien à quoi me raccrocher (et bien sûr, la quasi absence de
toute mélodie et l'"indécision tonale" peuvent en partie
l'expliquer). Puis un jour (je ne sais évidemment "pourquoi"), [...] je
n'ai plus cherché à y repérer un fil, quelque chose m'a porté, d'une manière
évidente, de bout en bout.
Ensuite sont venues les "explications" (le "sujet" de l'œuvre,
une œuvre à programme déguisée, si l'on veut: la mort de Manon Gropius / la
tension entre l'aspect très élaboré de l'œuvre et son lyrisme contenu - pas
toujours ! - / "le miracle" que constitue la rencontre entre la
"série" sur laquelle est bâtie l'œuvre et un choral de Bach "es
ist genug"...etc).
[...] le rapport entre le dodécaphonisme
de l'œuvre et la façon dont Berg lui donne une certaine ambiance tonale (ce que
lui permet la série choisie).
La manière dont cette série s'appuie sur le plus élémentaire de ce qu'est la
musique: sol, ré, la mi... les quatre notes à vide du violon que l'on
accorde...
Mais tout cela ne serait rien (rien que des explications): il y a que cette œuvre
un jour m'a remué plus que tout autre (peut-être du fait même de ma résistance
à l'entendre ?)
J'y entends toute la détresse et toute la tendresse de l'humanité
d'aujourd'hui, les déchirements, les désespoirs, l'obstination du vivre
"malgré tout / avec tout".
Le livre d'Etienne Barilier ("Alban Berg" / L’âge d'homme, 1992[...] est
venu [...] mettre des mots sur mes propres intuitions d'écoute et m'accompagner
dans l'écriture poétique (voir "à la mémoire d'un ange" dans
"Solitude du chœur").
Ensuite j'ai découvert d'autres œuvres de Berg, l'essentiel de son œuvre, en
finissant par accéder aussi à Wozzeck (surtout) et à Lulu - mais pour ces
opéras, les résistances furent encore plus difficiles à vaincre. Wozzeck,
c'est, pour moi, la musique de "qui, si je criais..." (je pense à
Claude Mouchard bien sûr). »
→ voilà comment, il me semble, on peut entraîner les autres à sa suite dans la
découverte de la musique ou de tel ou tel musicien. Demande souvent formulée à
la supposée sachante que je suis (supposée, à tort bien entendu, un tel fossé
avec ceux qui savent vraiment, ce qui demande huit heures de travail quotidien,
sept jours sur sept, depuis la toute petite enfance !) et à laquelle je
réfléchis souvent, désireuse parfois de fermer Poezibao pour ouvrir Muzibao
et renonçant par manque de temps mais plus profondément par sentiment d’incompétence.
D’autant que je suis de plus en plus sensible à la parole creuse et vaine,
celle notamment des soi-disants experts dont les pronostics sont déjoués
quelques heures après avoir été énoncés sans que cela semble les gêner le moins
du monde.
Sebald
Lire Sebald en ces temps de
bombardements et de destruction,
partout, de bâtiments, de villes, de vies… et savoir qu’on n’est pas indemne,
même au chaud dans sa sécurité.
« À la fin de la guerre, j’avais tout juste un an et je ne saurais avoir
gardé de cette époque de la destruction des impressions fondées sur des
évènements réels. Et pourtant, aujourd’hui encore, quand je regarde des
photographies ou des films documentaires datant de la guerre, il me semble que
c’est de là que je viens, pour ainsi dire, et que tombe sur moi, venue de
là-bas, venue de cette ère d’atrocités que je n’ai pas vécue, une ombre à
laquelle je n’arriverai jamais à me soustraire tout à fait » (p. 78)
→ comme s’il y avait en nous, non seulement transmission génétique, de
génération en génération (et on n’y pense pas assez à ce fait que nous ne
sommes, dans notre prétendue singularité, que la résultante de ce pot-pourri)
mais aussi transmission historique. Notre humanité nous imprègne parfois à
notre corps défendant, nous rendant solidaires (peut-être même, mais c’est
infiniment plus difficile à accepter, responsables) de ce qui advient à notre
humanité.
Rédigé par Florence Trocmé le 21 novembre 2012 à 14h36 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
De la poésie (Christa
Wolf)
Une citation qui éclaire un peu ce
que j’appelle parfois l’aporie centrale de la poésie, de la littérature :
parvenir à dire ce qui ne peut se dire.
« Le style du récit montrera à quel point ma langue est imprégnée des
terminologies à ma disposition. Ce qui entraîne pour moi des difficultés
analogues à celles que rencontre un physicien qui doit décrire une expérience de
mécanique quantique avec le langage de la physique classique. »(Christa
Wolf, Un jour dans l’année, p.271)
Monologue (Ludovic Degroote)
Monologue, le nouveau
livre de Ludovic Degroote, tout récemment paru chez Champ Vallon : livre
terrible construit autour de la mort d'une jeune fille de 18 ans, la sœur de
l'auteur alors qu’il avait 7 ans et sa survie dans la mémoire de son frère
aujourd'hui plus de quarante ans après.
Chaque paragraphe semble engendrer le suivant et il me semble que c'était déjà
le cas avec la Digue. Comme si le
mouvement de l'écriture était nécessaire à la continuation de l'écriture et si c'était
dans le mouvement d'écrire qu'il trouvait la force de continuer en s’appuyant
presque physiquement sur chaque paragraphe pour pouvoir aller au suivant.
P. 36, comme un jeu de miroirs : (on est ici dans le premier des quatre
monologues qui composent le livre, celui de la jeune disparue,
Godeleine) : « parler de toi m'est plus facile parce que je te vois de
l'espace où tu me reconstitues et où les mots naissent en me ramenant à des
semblants de vie, et quand je te vois écrire ceci je me dis que non,
décidément, tu es incapable de sortir de ma mort autant que tu es incapable de
sortir de toi-même, alors il te reste à continuer, à chercher des façons de
vivre en échappant à ce que la vie constitue et réclame de disparitions ».
→ il y a là aussi, fugitive, comme un écho de cette image qui se forme souvent
en moi, de la foule humaine semblant monter de l’obscurité, de l’abîme de
l’antérieur, du pas encore formé, puis passer brièvement sur le devant de la scène
pour être entraînée comme sur un tapis roulant et cranté vers la mort :
« ceux qui montent peu à peu dans le présent se voient choisis pour
disparaître au fond d’un labyrinthe, d’une voiture ou d’eux-mêmes ».(p. 37)
→ Ce livre est bien sûr une très forte réflexion sur la mort, la disparition,
la trace ; ainsi page 37 : (toujours dans le monologue de la jeune morte) :
« je ne peux oublier tous ceux qui restent en vie, puisque ma matière de
morte est condamnée à chercher sa forme à travers eux »
Il y a toute une réflexion autour de la question de la survivance des
disparus ; ici les quelques très petits souvenirs directs que l’auteur a
de sa sœur, tout le jeu et le lot des dires de ses parents, explicites ou
tacites et cette accroche sans cesse de la vie par la disparue, même des
décennies après. Qui donne forme à la
matière de la morte.
Puis viennent les monologues du père et de la mère, terribles
Page 57, avec pour la mère, cela, souvent entendu : le ventre arraché. Il y a une mémoire
ineffaçable du corps qui a porté l’enfant et la disparition arrache « une
partie du ventre de façon si intime et profonde » que les hommes sont
incapables de comprendre et ici au premier chef, le mari parce qu’ « il
ignore ce que c’est qu’un ventre qui reçoit).
« je ne peux me défaire de mourir parce qu’en engendrant la vie j’ai
engendré la disparition, l’amour et le chagrin au lieu de la haine et de tout
ce qui aurait dû me révolter, dans ce geste je suis tombée à genoux à
l’intérieur de moi-même »
Et le « monologue de Ludo », de l’auteur donc, n’est pas le moins
terrible. Mais ce mot de polyphonies
intérieures : « chacun nous vivons avec des polyphonies intérieures
auxquelles nous n’accédons pas toujours, comme si nous demeurions seulement à
l’écoute de nous-mêmes au lieu de nous ouvrir aux paroles qui nous traversent
et que nous ignorons le plus souvent » et un peu plus loin, dans le début
de ce quatrième monologue (pp. 71 et 72) : « peut-être ne meurt-on pas
chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou les uns à la place des
autres, puisque dès qu’elles tombent des voix tombent en nous ».
Ce monologue de l’auteur semble bien décrire de quoi il s’agit ici, donner
voix, éviter la disparition complète, mais aussi être requis, sans possibilité
de l’éluder, par cette tâche dans l’écriture.
On peut alors se demander si les écrivains ne sont le ventre de la mère ?
Je relève le terme de spirale à deux
reprises, une fois chez la mère, p. 65 (« reliée par une spirale
intérieure à ma propre parole ») et une autre fois, page 73 « nous
nous arrangeons des spirales pour nous contenir »
« J'écris de ma main perdue » (74), celle que tenait Godeleine, la
grande sœur, la main du petit frère « une main de sept ans qui ne peut
imaginer » qu’elle le lâche.
La culpabilité aussi, terrible, celle des parents qui se reprocheront toute
leur vie de ne pas avoir senti le
moment où leur fille mourait, brûlée vive dans cet accident de voiture en
Angleterre… celle du narrateur qui ne se pardonne pas d’avoir pris pour des
rires les cris de ses parents au moment de l’annonce.
« Cela fait quarante ans que je n’arrive pas à vivre sans toi, j'ai essayé
d'écrire pour m'en aller et sans cesse tu m’as ramené à la maison ».
Cette impression qu’il faudrait confirmer en relisant tous les livres dans leur
chronologie que Ludovic Degroote s’approche de plus en plus du cœur de ce qui
le meut et l’entrave, lui dans sa vie et son écriture, dans le même temps.
P. 85 : « j’ignore ce qu’on peut s’approprier de ce qui a disparu ou
gravite autour de la disparition, c’est comme s’il s’agissait de parler avec
une autre langue alors qu’on essaie seulement d’atteindre la
sienne » : n’y a-t-il pas là une très forte approche de la question
de l’écriture et de la poésie, cette aporie d’une langue étrangère et qui
serait pourtant la sienne. Ludovic Degroote le fait en grande économie de
moyens, avec des mots de tous les jours, passant comme très fragilement de
paragraphe en paragraphe. On a le sentiment d’un terrain grignoté petit à
petit, chèrement, vers cet étranger propre, sien, inatteignable et qu’on
s’efforce néanmoins de cerner.
Il faut poursuivre la citation que me semble essentielle « la sienne, dont
on a parfois l’impression qu’elle est si bien immergée qu’elle devient
inatteignable, alors que ce qui est inatteignable, c’est ce qu’on doit dire,
qui ne peut se dire qu’à travers une forme immergée dont nous ne voyons pas les
reliefs, parce que la disparition nous heurte aux poncifs » (p. 86)
→ quelle évidence et quel courage dans cette remarque : la disparition,
fait universel, nous heurte aux poncifs, contre lesquels ont œuvré un Roubaud (quelque chose noir) un Deguy (à ce qui n’en finit pas), une Françoise
Clédat ou dans une autre dimension, Paul Celan, Nelly Sachs…
Puis, page 87, un paragraphe presque long (pour l’auteur !) qui me semble
très proche des découvertes proustiennes, et que je cite en entier :
« car nous reprenons dans nos mémoires le cours de nos vies, parfois des
années après, sans que nous puissions nous y attendre, d’une façon si naturelle
qu’il semble que nous ayons arrêté l’intimité d’un geste ou d’une conversation
et que le temps ne soit ni brisé ni même suspendu, mais qu’il ait glissé sous
un autre temps qui en aurait été en quelque sorte la matière ou la caution, de
sorte que ce temps en réapparaissant continue au lieu de rompre et nous
continue au lieu de nous rompre dans notre geste et dans notre
conversation »
Et vers la fin du dernier monologue, cela : « j’en reviens toujours à
toi, comme si le point de départ n’était pas ma naissance mais ta mort, qui a
produit ma naissance dans ta mort ». Naissance à l’écriture sans doute,
toute la marche en avant du livre, car c’est une marche en avant, le montre. Où
est venue se fonder l’écriture.
Il faut enfin noter que le mot du titre, Monologue,
est au singulier alors qu'il y a quatre voix et quatre monologues, celui de la
jeune morte, celui du père, celui de la mère et celui de l’auteur. Il y a là
sans doute une référence, voire un emprunt à la musique ; et plutôt qu’un
quatuor, une fugue à quatre voix, dont le thème serait la mort de la sœur. (Lire aussi la note de lecture de ce livre dans Poezibao)
Sebald
W.G. Sebald, dans la préface de De la destruction (titre original, Luftkrieg und Literatur) parle du fait
que l'expérience des habitants des villes allemandes détruites pendant la
seconde guerre n'a jamais été mise en mots (et Sebald d’énumérer : quatre
cent mille vols de la Royal Air Force, un million de tonnes de bombes, cent
trente et une villes attaquées, six cent mille victimes civiles, trois millions
et demi de logements détruits, sept millions et demi de personnes sans abri,
42,8 mètres cubes de décombre par habitant à Dresde et de s’étonner :
« tout cela « ne semble guère avoir laissé de séquelles dans la
conscience collective » (17) : « Lorsque nous regardons en
arrière, en particulier vers les années trente à cinquante, c’est toujours pour
détourner les eux de ce que nous voyons. De ce fait, les productions des
auteurs allemands postérieures à 1945 sont, à maints égards, le fruit d’une
perception incomplète, voire fausse, du monde et de soi, d’une conscience que
se sont façonnée ceux qui écrivaient pour asseoir leur position extrêmement
précaire dans une société sur l’ensemble de laquelle, ou presque, pesait le
discrédit moral. »
→ on peut me semble-t-il aller encore plus loin et dire que pour toute la
civilisation actuelle et pas uniquement occidentale, la question de ce qui est
arrivé au XXème siècle n’est pas vraiment regardée, élaborée, travaillée.
Documentée oui, il me semble, mais pas regardée en face comme une atteinte sans
doute irrémédiable à tout ce qui nous constitue aujourd’hui en tant que
société, en réalité impliquée, sans doute pour cela aussi, dans une fuite en
avant suicidaire.
→ Profonde impression laissée cet été par notre visite de la ville de Dresde,
par son étonnante reconstruction mais je pense que nous avons perçu sous les
apparences de prospérité, de vitalité, d’insouciance, le martyre de cette ville
et que ce fut la source de notre émotion.
Musique, night’s music, Bartok
Écoutant le début de « The night’s music, lento », 4ème
pièce de Out of Doors de Béla Bartók,
composé en 1926, joué par Murray Perahia
(en 1981), pense que tout Morton Feldman pourrait être sorti de là (ajouter une
petite dose de Debussy aussi ? les pas sur la neige, notamment… ?)
De la destruction (Sebald)
Poursuite de la lecture du livre de
W.G. Sebald, De la destruction.
Dans tout ce début du livre, il explore le silence quasi-total dans lequel est
tombée l’histoire de la destruction des villes allemandes. Destruction
systématique à partir de février 1942 et qui avait entre autres pour but de
miner le moral de la population allemande. En la sacrifiant. Moral bombing, disaient les Anglais. « En
vertu d'un consensus tacite et valable au même titre pour tous, l'état réel d’anéantissement
matériel et moral dans lequel était plongé le pays tout entier ne devait pas
être décrit. C'est ainsi que les aspects les plus sombres de l'acte final de la
destruction auquel assista l'immense majorité de la population allemande sont
demeurés un secret de famille, honteux, frappé de tabou en quelque sorte, et
que peut-être on n’osait pas même s'avouer en son for intérieur. » (p.21)
Sebald explique que seul Heinrich Böll en son livre Le Silence de l'ange a pu donner une idée approchante de « l'effroi
abyssal menaçant alors de saisir tous ceux qui ouvraient réellement les yeux au
milieu des ruines ». (p.22) lequel livre qui ne sera finalement publié
qu'en 1992 !
Il se penche ensuite sur le redressement de l’Allemagne et écrit que le
catalyseur du miracle allemand fut « ce flot d'´énergie psychique,
intarissable jusqu'à ce jour, dont la source est le secret gardé par tous les
cadavres emmurés dans les fondations de notre système politique. » (p.24)
Il faut se souvenir que Luftkrieg und
Literatur est paru en Allemagne en 1999, c’est à dire hier !
Sebald analyse alors les quelques très rares et problématiques récits du temps
des bombardements et de la destruction. Il écrit : « La réalité de la
destruction totale, qui échappe à la compréhension tant elle paraît hors norme,
s’estompe derrière des tournures toutes faits comme “la proie des flammes ”,
“la nuit fatidique”, “le feu embrasait le ciel”, “les puissances infernales s’étaient
déchaînées”, “le terrible destin réservé aux villes allemandes”, etc. Leur
fonction est de masquer et de neutraliser des souvenirs vécus qui dépassent le
concevable. » (p.35). À rapprocher de la remarque de Ludovic Degroote sur
les poncifs !
À partir de la page 36, la terrifiante description de l'attaque sur Hambourg du
28 juillet 43, selon la « méthode éprouvée », d’abord des bombes qui
font sauter toutes les portes et fenêtres, puis des petites charges incendiaires
qui mettent le feu aux greniers tandis que d’autres bombes, énormes, pénètrent
les fondements des maisons : « le feu qui montait à deux mille mètres
dans le ciel aspirait l’oxygène avec une telle puissance que l’air déplacé
avait la force d’un ouragan et bruissait comme de gigantesques orgues dont on
aurait simultanément actionné tous les registres ».
Du recours obligé aux clichés et poncifs
Lecture donc, dans le livre de
Sebald, de larges citations des quelques rares récits existants (Hermann
Kasack, Hans Erich Nossack et Peter de Mendelssohn), mauvaise littérature
remplie de clichés et ce qui est emblématique de bi-mots (on pense à Michèle
Grangaud) : tapis de bombes, mur de feu, torches humaines, etc. Je voudrais subsumer tout cela et mon
ébranlement dans un petit bloc sonore qui serait précisément particulièrement
sonore et c’est impossible ! J’efface les trois premiers mots écrits qui me
paraissent insupportables. Et je deviens plus indulgente pour les clichés
dénoncés ci-dessus et pense, une fois encore, à la remarque courageuse de
Ludovic Degroote sur les poncifs : « la disparition nous heurte aux
poncifs. »
Il semblerait d'ailleurs que cela fasse partie de la démonstration de Sebald :
seule une poignée de deux ou trois assez mauvais écrivains s’est lancée dans
une sorte de rapport sur les villes allemandes dévastées. Peut-être parce que
les grands écrivains se sont heurtés à une totale impossibilité (c’est à
rapprocher peut-être de ce qu’on sait sur l’impossibilité de dire ou d’écrire
de nombreux survivants des camps). C’est une question cruciale qui se pose à la
littérature. Noter toutefois que s’est imposé à moi plusieurs fois et comme en
filigrane le livre de H.G. Adler, Un
Voyage.
Et n'y a-t-il pas dans l'enseignement aussi là un point aveugle. Cette
destruction des villes allemandes et le sort des populations civiles me semble n’avoir
jamais été évoqué dans les cours d’histoire (mais peut-être est-ce aujourd’hui
le cas ?). Comme si on était dans la ligne du châtiment d'ordre divin et
mérité infligé aux Allemands et dont il n'y a rien à dire.
trace doigt à peine
(et toutefois, ce petit bloc, mais
écrit avant la lecture d’hier soir)
Trace doigt à peine vitre vite éteinte, sa face de l'autre côté noir nuit effroi
dans le froid sans fin – feu froid de métal brûlure glacée, qui si je criais… ? déchiré du cri
non entendu – brûlant ou glacé l’effroi ? et le couteau retourné, plaie à
plaie ouvertes, voix perdues perdurent et tranchent vif
Rédigé par Florence Trocmé le 20 novembre 2012 à 10h24 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)
Balises: Bartok, Christa_Wolf, clichés, De_la_Destruction, Dresde, Feldman, Ludovic_Degroote, poncifs, W.G._Sebald
Rédigé par Florence Trocmé le 18 novembre 2012 à 11h51 dans photomontages | Lien permanent | Commentaires (0)
Christa
Wolf, « Un jour dans l’année »
C. W. pendant près de 40 ans a
suivi une consigne : écrire un jour dans l’année. Pour elle ce fut le 27
septembre. Cela commence en 1960. L’introduction m’a intéressée, sur la
mémoire, sur le désir d’engranger (que fait d’autre ce flotoir !?), sur le tri opéré par la mémoire, sur la surprise
à retrouver dans les écrits personnels des faits, des choses, voire des êtres
oubliés….. Mais les deux premières journées, années 60, m’ont un peu ennuyée,
elles sont trop « communistes » et en ce sens datées. Une fois encore
je me montre si peu historienne ! J’imagine que pour l’historien c’est
pain béni que ce grand écrivain prenant le pouls de sa vie, de son contexte,
des questions qu’elle se pose, une fois par an…
Cette importante réflexion tirée de l’introduction :
« La subjectivité demeure le critère prédominant de ce journal. Ce qui a
quelque chose de scandaleux dans une époque où l'on nous submerge de choses et
tente également de nous chosifier ; car le flot des révélations apparemment
subjectives et impudiques dont nous inondent les médias est aussi un élément
froidement calculé de cette marchandisation. Je ne saurais dire comment nous
protéger, comment nous pourrions échapper à cette réification forcenée qui
s'infiltre dans nos émotions les plus intimes si ce n'est pas l'épanouissement
et aussi par la verbalisation de notre subjectivité, quel que soit l'effort que
cela exige. » (Christa Wolf, Un Jour
dans l'année, 1960 – 2000, édition Fayard, 2006, page 11)
→ peut-être que le flotoir fait aussi
cela, opposer une subjectivité à la réification
forcenée, se situer en marge, sur les marges, à contre-courant des
dominantes, dans l’écoute de ce qui sourd sous le bavardage universel (y inclus
la déferlante de l’information, tous domaines confondus), dont le but est à la
fois de cacher le vide et d’asservir la pensée pour la rendre plus vulnérable à
la manipulation. Laquelle est sans doute moins aujourd’hui politique
qu’économique : asservir à production et consommation, sources sans pareil
pour générer profit et pouvoir. Les 140 signes de Twitter sont à cet égard
édifiants…un maillage de messages vides comme le sont la plupart du temps les
textos, mais un maillage ininterrompu car le moindre suspens peut susciter
l’avalement par le trou noir qui est juste derrière ou dessous !
De la musique (Marc Dugardin)
Marc Dugardin a répondu à ma question ;
il écrit : « écouter met en relation avec une part de soi qui
s'ouvre, c'est de la solitude reliée. Mais je risquerais de m'égarer ici vers
autre chose (à quoi je suis très sensible aussi) le fait d'être relié à
d'autres "écoutants" (que ce soit dans la réalité d'un concert ou
chez soi, partageant avec d'autres -même si c'est virtuellement - ce moment
privilégié d'humanité qu'est l'écoute musicale)... »
Il renvoie aussi aux premières expériences (et sur ce sujet, je lui ai répondu
en lui parlant des livres du Pr Tomatis : « Écouter, être écouté:
cela nous renvoie peut-être au plus profond de nous, de notre histoire...
quand, dans un ventre nous "entendions" (sans pouvoir vraiment
"écouter" encore) des bruits, des sons, des voix, nous-mêmes
écoutés déjà, enveloppés d'écoute (une écoute qui nous appelait à venir au
monde) ? Je dis là quelque chose de notre expérience commune (mais dont
personne ne se "souvient" vraiment, nous le "reconstituons"
plutôt, ou nous y "remontons" lors de certaines expériences d'écoute
?) ».
Il me parle enfin d’un livre Lila ou la
lumière de Vermeer (la psychanalyse à l'écoute des artistes) d’Alain
Didier-Weill, chez Denoël, 2003 dont il tire pour moi cette très belle
citation : « Je pars de cette première constatation: tout se
passe, dès lors que nous sommes "touchés" par la musique, comme si,
grâce à elle, nous recevions une certaine réponse. Le problème commence par le
fait que cette réponse fait surgir en nous l'antécédence d'une question qui
nous habitait sans que nous le sachions. Nous découvrons que la musique est une
altérité qui aurait entendu en nous quelque chose que nous ne pouvions pas
entendre par nous-mêmes et qu'à ce titre, dans un premier temps logique, nous
sommes moins l'auditeur de la musique qu'elle n'est notre auditrice". »
Musique, Perahia et Cassard
Écouté hier le magnifique disque
numéro six du coffret de tous les enregistrements de Murray Perahia depuis ses
débuts. Il comporte les Études
symphoniques de Schuman que je n'avais pas écoutées depuis fort longtemps
et qui sont admirables. Perahia les jouent avec une diversité d'approches qui
les rendent extraordinairement vivantes et émouvantes. Le disque est complété
par Papillons.
→ deux remarques :
un des critères pour moi est de savoir si le disque me « tire l’oreille » :
tant de disques de jeunes pianistes d’aujourd’hui peuvent s’écouler in extenso sans que, si je suis en train
de faire autre chose, rien de me retienne. A l’inverse, ce disque de Perahia,
hier, m’a sans cesse distraite, tirée hors de ma lecture, avec parfois presqu’une
sorte d’effet de sidération, de suspens très étrange, comme accès à un autre
mode d’activité intérieure.
Je me suis aussi demandé si chez les grands pianistes, ce que je préférais n’était
pas d’une part les enregistrements des débuts, quand il y a encore une sorte d’enthousiasme
parfois un peu fou, un plaisir de jouer, une jouissance de la technique, bref
une vie, une pulsation immense. Et d’autre part les enregistrements tardifs,
quand est passée toute une vie de musique, que les œuvres ont été approfondies,
qu’ont été laissées de côté celles qui ne sont pas essentielles au pianiste et
qu’il n’a plus rien à perdre. A ces deux extrémités du spectre d’une vie, il me
semble que parfois la musique est à son plus intense.
Puis hier soir j’ai écouté un long moment le podcast d’un Matin des Musiciens,
un des ateliers
de Philippe Cassard. Il s’agissait de la 5ème sonate de Beethoven,
op. 10 n° 1, en ut mineur. L’approche de Cassard est à la fois érudite, mais
sans peser, et très vivante, dans la mesure où tout ce qu’il explique, i l’illustre
concrètement en le jouant au piano en même temps. Ainsi par exemple, d’un
rapprochement, soudain évident, entre le début de cette sonate et la sonate en
ut mineur de Mozart. Il choisit aussi avec beaucoup de soin les enregistrements
qui peuvent éclairer son propos, par exemple quand il s’interroge sur l’épineuse
question du tempo : allegro molto
con brio, oui mais encore ? Et de passer Gilels passablement lent et
qui marque beaucoup la mesure à trois temps et Gould qui joue ça comme un fou,
avec une unité de temps qui est plutôt 4 ou 8 mesures qu’une et enfin Christian
Zacharias.
Il insiste aussi beaucoup sur l’extraordinaire minutie de l’écriture de
Beethoven, avec un nombre inouï d’indications, ce qui ne se pratiquait que très
peu à l’époque.
J’ai plus appris en une heure d’écoute de cette émission que depuis des années !
Drôles de jeux avec les mots (Mathieu Potte-Bonneville)
Pendant ce temps lu un drôle de
petit bouquin qui une fois n'est pas coutume, m'a bien amusée ; il s'agit de Dictionnerfs de Mathieu Potte-Bonneville et Francois Matton. Ce
sont des définitions fantaisistes, mais très variées et amusantes en ce sens
que l'humour fait appel à plusieurs registres et techniques, du simple jeu sur
les mots, du mélange des langues (ici français, anglais, allemand), de la
parodie, voire même du nonsense à l’anglais.
Quelques allusions érudites très amusantes, comme si l’auteur se moquait de
lui-même et d’une possible prétention intellectuelle. Un exemple : es mousse sein [cit.] : apéritif
catégorique. Peut-être en donner quelques extraits dans Poezibao. Et en faire une courte note de
lecture, histoire de changer un peu le style de ce dont on parle dans le site.
Avec cette double question : on (je
en tous cas) ne comprend(s) pas tout loin de là et par ailleurs y a-t-il des
allusions qui sont perceptibles à certains et pas à d’autres, question de
références sans doute. Bien évidemment tout ce qui tourne autour de l’allemand
comme dans cette parodie de la citation
de Beethoven m’a particulièrement attirée. Mais il me faut aussi avouer ma
difficulté à entrer dans les petits dessins de François Matton, mon monde étant
indéniablement moins visuel que sonore et linguistique. Je n’ai aucune culture
BD ou cartoons et je pense que Matton se réfère beaucoup à ces univers-là.
coupe ombres dents si longues…
Coupe ombres dents si longues,
scies sauteuses profondes entailles, coulent suc substance à pleines pores oui
du pire coule du pire de toutes pores et parts à vif d'os et cervelles bouillies
écervelées ébouillantées, coulent bains d'huile pour rouages réfractaires – il
faut chanter la chanson voix aigües perchées, faussées par treuil tirées haut
filets imbéciles, dénaturé grain personnel – note collective de grave en
fluette évidée, le grave aux maîtres seuls, heil
Rédigé par Florence Trocmé le 18 novembre 2012 à 11h26 dans Bribes de Flotoir | Lien permanent | Commentaires (0)