Écriture (Anne Malaprade, Caroline Sagot Duvauroux)
Intense note
de lecture d’Anne Malaprade sur le livre de Caroline Sagot Duvauroux, Le Livre d’El d’où
« Nous ne sommes si totalement ignorants qu’en écrivant. C’est pour ça qu’il
nous faut penser ardemment et cette ardeur écrit. La stupeur suit. C’est la
phrase sidérée sur la page. Noyée, immobile, ferme. Patiente. »
Vivre l’être-soi (Claude Mouchard)
…. ce matin, tout se
répond : note de lecture et extraits de Caroline Sagot Duvauroux, mail de Marc
Dugardin, notes
de Claude Mouchard, sonate de Beethoven, notamment le largo con gran espressione de la sonate n° 4, op 7 en mi bémol
majeur, par Murray Perahia.
Se répond, pourquoi et comment, en cela peut-être qu’écrit Claude Mouchard :
« vivre l’être-soi, l’être échu à soi, là d’où il provient et là où il se
rend ...
non pas dans des moments solennels ou mythiques mais à tout instant : par
lapements élémentaires et vitaux »
→ ou cela encore, tout aussi
décisif
« Des instants-loupes :
grâce à la conversation, ou contre elle, la bloquant soudain, voici une
inclusion pure, celle d’un fragment ou de quelques fragments – fougères, restes
d’insectes – de vie perdue dans un bloc de résine translucide mordorée. »
(feuilleton
de Claude Mouchard, ce jour)
et un peu plus, loin, coïncidence
stupéfiante, cela :
« Est-ce qu’il croit, est-ce qu’il sent, comme ça m’arrive, que la
musique, soudain, écoute ? »
Alors que tous ces échanges,
ces jours-ci avec Marc Dugardin et la découverte de cette notion d’écoute non
pas seulement de la musique mais par la musique, qui a été une sorte de
révélation.
Correspondances / Marc Dugardin, Bartók
et Berg
Avec Marc précisément, sur Bartók,
dont parlait hier ce flotoir :
« Bartók. J'ai aimé passionnément ce compositeur, depuis que je l'avais
découvert, adolescent (et en rupture totale avec les "bons goûts"
musicaux admis dans ma famille). Je suis allé à Budapest (fin des années 70),
entre autres "sur ses traces". Je me suis un peu éloigné (mais sans
"rupture"...) de sa musique. [...] je me souviens avoir beaucoup aimé
cette "suite en plein air" et cette pièce a marqué mon
écriture...
Bartók reste comme mon point de passage vers la musique
"contemporaine".
Et l'allegro barbaro est parfois venu
se glisser (très exactement) dans mes rêves (je veux dire que je me réveillais
en le "chantant", très exactement, ne l'ayant plus écouté depuis
longtemps - il suffit d'ailleurs que j'y fasse allusion ici, et ses notes me
reviennent en tête aussitôt...) »
→ À ma demande de m’aider à entrer dans l’univers de Berg, qu’il dit devenu
essentiel pour lui et qui m’est resté fermé à ce jour, il m’écrit :
« Cette musique (le "concerto à la mémoire d’un ange", pour commencer),
j'avais essayé des tas de fois de l'écouter, je ne parvenais pas à la saisir
(ou à me laisser saisir...), cela me paraissait chaotique, incohérent, sans fil
conducteur, sans rien à quoi me raccrocher (et bien sûr, la quasi absence de
toute mélodie et l'"indécision tonale" peuvent en partie
l'expliquer). Puis un jour (je ne sais évidemment "pourquoi"), [...] je
n'ai plus cherché à y repérer un fil, quelque chose m'a porté, d'une manière
évidente, de bout en bout.
Ensuite sont venues les "explications" (le "sujet" de l'œuvre,
une œuvre à programme déguisée, si l'on veut: la mort de Manon Gropius / la
tension entre l'aspect très élaboré de l'œuvre et son lyrisme contenu - pas
toujours ! - / "le miracle" que constitue la rencontre entre la
"série" sur laquelle est bâtie l'œuvre et un choral de Bach "es
ist genug"...etc).
[...] le rapport entre le dodécaphonisme
de l'œuvre et la façon dont Berg lui donne une certaine ambiance tonale (ce que
lui permet la série choisie).
La manière dont cette série s'appuie sur le plus élémentaire de ce qu'est la
musique: sol, ré, la mi... les quatre notes à vide du violon que l'on
accorde...
Mais tout cela ne serait rien (rien que des explications): il y a que cette œuvre
un jour m'a remué plus que tout autre (peut-être du fait même de ma résistance
à l'entendre ?)
J'y entends toute la détresse et toute la tendresse de l'humanité
d'aujourd'hui, les déchirements, les désespoirs, l'obstination du vivre
"malgré tout / avec tout".
Le livre d'Etienne Barilier ("Alban Berg" / L’âge d'homme, 1992[...] est
venu [...] mettre des mots sur mes propres intuitions d'écoute et m'accompagner
dans l'écriture poétique (voir "à la mémoire d'un ange" dans
"Solitude du chœur").
Ensuite j'ai découvert d'autres œuvres de Berg, l'essentiel de son œuvre, en
finissant par accéder aussi à Wozzeck (surtout) et à Lulu - mais pour ces
opéras, les résistances furent encore plus difficiles à vaincre. Wozzeck,
c'est, pour moi, la musique de "qui, si je criais..." (je pense à
Claude Mouchard bien sûr). »
→ voilà comment, il me semble, on peut entraîner les autres à sa suite dans la
découverte de la musique ou de tel ou tel musicien. Demande souvent formulée à
la supposée sachante que je suis (supposée, à tort bien entendu, un tel fossé
avec ceux qui savent vraiment, ce qui demande huit heures de travail quotidien,
sept jours sur sept, depuis la toute petite enfance !) et à laquelle je
réfléchis souvent, désireuse parfois de fermer Poezibao pour ouvrir Muzibao
et renonçant par manque de temps mais plus profondément par sentiment d’incompétence.
D’autant que je suis de plus en plus sensible à la parole creuse et vaine,
celle notamment des soi-disants experts dont les pronostics sont déjoués
quelques heures après avoir été énoncés sans que cela semble les gêner le moins
du monde.
Sebald
Lire Sebald en ces temps de
bombardements et de destruction,
partout, de bâtiments, de villes, de vies… et savoir qu’on n’est pas indemne,
même au chaud dans sa sécurité.
« À la fin de la guerre, j’avais tout juste un an et je ne saurais avoir
gardé de cette époque de la destruction des impressions fondées sur des
évènements réels. Et pourtant, aujourd’hui encore, quand je regarde des
photographies ou des films documentaires datant de la guerre, il me semble que
c’est de là que je viens, pour ainsi dire, et que tombe sur moi, venue de
là-bas, venue de cette ère d’atrocités que je n’ai pas vécue, une ombre à
laquelle je n’arriverai jamais à me soustraire tout à fait » (p. 78)
→ comme s’il y avait en nous, non seulement transmission génétique, de
génération en génération (et on n’y pense pas assez à ce fait que nous ne
sommes, dans notre prétendue singularité, que la résultante de ce pot-pourri)
mais aussi transmission historique. Notre humanité nous imprègne parfois à
notre corps défendant, nous rendant solidaires (peut-être même, mais c’est
infiniment plus difficile à accepter, responsables) de ce qui advient à notre
humanité.
Commentaires